La décontamination des vieux radars de la guerre froide abandonnés dans le Grand Nord est en train de se transformer en fiasco financier et environnemental.

Piloté par le gouvernement du Canada, ce vaste projet a non seulement vu son coût doubler au cours des dernières années, il est également ralenti par une mauvaise gestion, un manque de transparence et un important laxisme environnemental, conclut un rapport de vérification interne mené pour le compte de la Défense nationale.

Portant sur le nettoyage des lieux contaminés de la ligne DEW (pour Distant Early Warning, ou alerte avancée), un réseau pancanadien de radars installé en Arctique au cours des années 50, le rapport obtenu par La Presse énumère un à un les nombreux problèmes qui hypothèquent ce projet d'envergure, dont on apprend que l'achèvement est maintenant reporté de cinq ans, à 2018.

La ligne DEW, composée de 63 radars disposés le long du 69e parallèle, a servi de réseau d'alerte contre les menaces soviétiques après sa mise en service en 1956. Contaminées par de grandes quantités de produits chimiques (BPC, plomb, hydrocarbures, etc.), ces installations font l'objet de travaux de nettoyage depuis leur abandon au début des années 90, dans la foulée de la fin de la guerre froide.

Le problème, constate le vérificateur dans ce rapport daté de janvier 2008, c'est que les administrateurs ont nié ces dernières années les règles administratives les plus élémentaires du gouvernement canadien, en plus de ne pas avoir imposé de règles strictes quant à l'élimination des matières toxiques.

«Une piètre délégation des responsabilités et une séparation inadéquate des tâches et des fonctions ont affaibli le contrôle et la gérance des fonds alloués au projet», peut-on lire dans le document de vérification.

Hausse des coûts

Cela se traduit d'abord par une hausse importante de la facture globale du projet, qui passe de 322 millions à 583 millions. Mais aussi par une série de problèmes administratifs comme le manque de transparence et l'absence de documents justificatifs.

«Une application tardive de la politique du gouvernement a fait augmenter les coûts et soulevé des questions au sujet de la transparence et de l'équité de certaines décisions contractuelles», note-t-on.

On rapporte par exemple que les administrateurs ont demandé à des entrepreneurs de participer à l'élaboration de documents de soumission pour lesquels ils pouvaient ensuite soumettre leurs propres propositions. Or, selon le vérificateur, cela contrevient aux principes de transparence et d'équité.

«Une assignation imprécise des rôles et des responsabilités, une séparation inadéquate des tâches et des ressources insuffisantes de surveillance indépendante ont donné lieu à un conflit d'intérêts potentiel et affaibli le contrôle et la responsabilisation à l'égard des dépenses contractuelles du projet», écrit-on.

Préoccupants

Pour Yves Bélanger, directeur du groupe de recherche sur l'industrie militaire de l'UQAM, les conclusions du chef du service d'examen, l'équivalent du vérificateur général auprès du ministère de la Défense nationale et du chef d'état-major, sont «très préoccupantes».

«Les mots utilisés dans ce rapport sont particulièrement crus, précise-t-il. Tout cela semble avoir été mené dans la plus grande improvisation, malgré les risques encourus.»

Le professeur Bélanger se dit moins inquiet de la hausse des coûts, que de l'impact que cette mauvaise gestion pourrait avoir sur la décontamination réelle des sites gorgés de produits toxiques.

«Le ministère de la Défense nationale devrait procéder rapidement à une analyse sur le terrain pour voir si le boulot a été bâclé de la même manière que la gestion du projet l'a été. Le cas échéant, il faut tout recommencer.»

Malheureusement, les Forces canadiennes n'ont pas répondu aux questions de La Presse, même si elles ont été posées au début du mois de novembre, soit il y a deux mois. «Nous travaillons toujours sur les réponses à vos questions», a simplement indiqué la porte-parole Christine Gauthier, dans un courriel daté de la semaine dernière.

Quant aux questions posées il y a plus d'une semaine au cabinet du ministre Peter McKay, ils sont restés sans réponse.



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Le projet en bref

Appelé le «projet d'assainissement du Réseau d'alerte avancé (DEW)», le projet de décontamination a été lancé en 1995 par le gouvernement du Canada. L'objectif est d'assainir les sols contaminés, de stabiliser les décharges existantes et de démolir l'infrastructure excédentaire sur 21 sites de l'ancien réseau de radars.

Une dispute avec les États-Unis, qui sont responsables de la construction de ces radars au milieu des années 50, a fait grand bruit dans les années 90. Elle s'était soldée par une entente qui donnait au Canada l'entière responsabilité de ces endroits et de leur décontamination, en échange d'équipements militaires d'une valeur de 100 millions.

- Avec la collaboration de William Leclerc