La nouvelle aire protégée de la rivière George, annoncée mercredi par le premier ministre Jean Charest, est coupée en deux par un gisement d'uranium que la compagnie Quest a bien l'intention d'exploiter, ce qui illustre selon les écologistes la suprématie qu'exerce toujours l'industrie minière sur le territoire québécois.

«On a trouvé une zone uranifère fortement intéressante », a dit Peter Cashin, de Quest Uranium Corporation, une société administrée par des vétérans de l'industrie et cotée à la Bourse de Toronto.Son plan serait d'ouvrir une mine à ciel ouvert qui serait reliée par rail au port de Voisey's Bay, au Labrador. «On est encore loin de là, mais c'est toujours dans notre pensée, a assuré M. Cashin. On a déjà dépensé 3,5 millions en exploration et on va continuer. C'est sûr qu'on ne voudrait pas perdre ces concessions-là. Tant qu'on continue à travailler, ils ne peuvent pas nous les reprendre.»

Troupeau de caribous

Les titres miniers de Quest couvrent 1300 kilomètres carrés de part et d'autre de la rivière George, dans deux zones distinctes. L'une des deux zones entoure sur trois côtés Wedge Point, lieu d'une passe migratoire du troupeau de caribous de la rivière George, l'un des plus grands du monde. C'est entre autres au bénéfice de ce troupeau que l'aire protégée a été créée.

Wedge Point est aussi un lieu de rencontre traditionnel des peuples autochtones. La pointe qui s'avance sur la rivière est fréquentée par les Innus depuis 6000 ans, selon ce qu'indiquent les fouilles archéologiques.

C'est aussi l'endroit où Serge Ashini Goupil exploite une entreprise de tourisme culturel. Il se dit très content de l'annonce de la protection de la rivière George. Il était d'ailleurs dans le parc de la Jacques-Cartier, avec le premier ministre Jean Charest, pour en être témoin.

Cependant, il a dû déchanter un peu quand il a regardé de plus près la carte de l'aire protégée. «Je suis entouré de concessions minières, a souligné M. Ashini Goupil. Pour l'instant, je ne m'inquiète pas trop. J'imagine que ce serait mal venu d'ouvrir une mine à quelques kilomètres de la George.»

Il ne voit pas comment les activités minières pourraient se concilier avec la mission de conservation. «Ce n'est pas seulement une mine, c'est une piste d'atterrissage, un chemin, une source d'énergie, a-t-il dit. Il y aura de nombreux impacts.»

«Conserver les droits de tout le monde»

Cependant, le curieux découpage de l'aire protégée de la rivière George satisfait Jean-Pierre Thomassin, de l'Association de l'exploration minière du Québec. «On a demandé de conserver les droits de tout le monde, dans la mesure du possible. C'est ce qui a été fait», a assuré M. Thomassin. Mais, a-t-il ajouté, la création de l'aire protégée n'est pas une bonne nouvelle pour les promoteurs miniers. «Le problème, c'est qu'il va y avoir de l'opposition.»

Un clic de souris suffit

L'annonce de mercredi permettait d'atteindre 7 % d'aires protégées au Québec. Mais, a remarqué Nicolas Mainville, directeur de la conservation à la Société pour la nature et les parcs, un groupe de pression, les titres miniers couvrent 9 % du territoire. Et s'il faut des années d'études et de tractations pour créer une aire protégée, il suffit d'un clic de souris pour établir une concession minière, a-t-il souligné. «Pour 40 $, n'importe quel investisseur sur la planète peut aller sur l'internet et en demander une. Après, on détient un territoire pendant quatre à six ans.»

Pour M. Thomassin, c'est faute de connaissances du terrain que les concessions minières prennent autant de place. «La cartographie devrait être plus détaillée, a-t-il souligné. Les concessions seraient alors plus petites.»

Mais ce n'est pas l'avis de M. Mainville : «Le Québec est l'un des territoires les plus connus du monde, au plan de la géomorphologie. C'est simplement la preuve que la priorité est toujours au secteur minier.»