Si on chantait ensemble
Des mots qui nous ressemblent
Si on chantait nos rêves
Et vu le temps qu’il fait
Si on ne chantait que la paix

— Jean Lapointe

En mai dernier se tenait le gala de l’Alliance médias jeunesse, l’organisme canadien qui récompense les artisans des émissions de télé pour enfants en français (c’est comme les Gémeaux, mais en plus spécialisé).

À la fin de l’évènement, l’animateur a demandé à la salle de chanter des ritournelles d’émissions pour enfants. Tout le monde les connaissait : Fanfreluche, Grujot et Délicat, Passe-Partout, Watatatow, etc. La foule exprimait en chansons tout un univers de souvenirs communs, des souvenirs magiques, des souvenirs d’enfance. Symbole puissant d’une culture commune. Moment fort d’appartenance.

Moment que les enfants d’aujourd’hui ne vivront pas.

Il n’y a pas, aujourd’hui, d’émission qui rejoigne assez d’enfants pour que la génération actuelle puisse, un jour, chanter à l’unisson son enfance télévisuelle en français. Le « nous » qui se construit avec les émissions pour enfants est en train de disparaître.

Avec l’aide de la nostalgie et des ressources actuelles de Télé-Québec, la nouvelle version de Passe-Partout rejoint 216 000 téléspectateurs par semaine. La version des années 1980 ? Une moyenne quotidienne de 400 000. Alors qu’il y a 25 ans des émissions comme Watatatow pouvaient rassembler jusqu’à 700 000 téléspectateurs par jour, dont une bonne proportion des ados du Québec, L’effet secondaire, cet hiver, a été suivie par 99 000 téléspectateurs en moyenne.

Dans le milieu, on me dit que pour les enfants, la chute d’auditoire de nos émissions est de deux pour un, et que pour les ados, c’est du dix pour un.

Devant pareil contexte, il faut se réjouir de l’engagement de la CAQ d’investir 65 millions pour bonifier le budget de Télé-Québec destiné à la création d’émissions jeunesse1. Le PQ veut, quant à lui, doubler le budget de Télé-Québec, notamment pour remplacer les émissions pour enfants traduites de l’anglais par des productions québécoises2. Objectif : que nos enfants, d’où qu’ils viennent, partagent un imaginaire québécois et que, dans 20 ans, ils puissent chanter ensemble les ritournelles de leur enfance. Dans les deux cas, c’est du nationalisme comme je l’aime.

Mais ce ne sera pas suffisant.

En plus de l’attraction de l’anglais lui-même, les nouveaux adversaires de notre télé s’appellent Netflix, YouTube, Disney+ et Treehouse, entre autres. Il faudra donc investir également dans la promotion de nos émissions pour qu’elles puissent se démarquer au milieu de toutes ces plateformes. Mais j’insiste, c’est un bon début.

Le combat est le même au cégep.

Le programme Art et technologie des médias du Cégep de Jonquière existe depuis 50 ans. Il attire de futurs journalistes, animateurs, caméramans, recherchistes, etc. Depuis quelques années, les profs qui y enseignent voyaient bien que leurs élèves connaissaient de moins en moins la télévision québécoise.

Par exemple, il ne leur est presque plus possible de faire des exercices « à la manière de telle émission… », ils ne trouvent plus d’émissions québécoises assez connues de l’ensemble des élèves. Je rappelle que les jeunes inscrits au programme veulent travailler en télé…

Les profs étant de vrais profs, ils ont voulu vérifier scientifiquement leurs impressions. Ils ont sondé les 640 élèves des programmes de l’École supérieure en Arts et technologie des médias3.

Quand on leur demande de nommer leur série québécoise préférée, 58,8 % nomment une série terminée depuis des années, comme s’ils avaient arrêté de s’intéresser à la télé québécoise quand ils ont quitté la maison. Tou.tv ? Ils ne connaissent pas. Je rappelle que la télé québécoise, c’est le domaine où ils veulent travailler.

De charmants étudiants pleins d’pep (hep !, hep !)
M’ont invité à leur cégep
Pour aller jouer d’la belle musique (zizique !)
Pas pour faire mon grand alcoolique (hic !, hic !)

— Plume Latraverse, Jonquière

Même scénario en musique. Si, aujourd’hui, ces étudiants invitaient Plume Latraverse à chanter, une bonne partie d’entre eux ne le connaîtraient pas : 51 % des élèves en communication écoutent uniquement ou majoritairement de la musique en anglais. On est à Jonquière. En communication.

Les profs ont commencé une autre étude où ils poseront les mêmes questions aux élèves des autres programmes.

Ce qui, pour l’instant, sauve la télé québécoise, c’est la langue évidemment, mais également la qualité et l’originalité sa production : l’ancrage dans notre identité local attire encore. Les Québécois veulent voir les lieux qu’ils habitent, entendre leur accent, apprendre leur histoire. Parce que nous avons une identité propre, nous résistons au géant américain. Mais le temps est compté : nos jeunes décrochent peu à peu. Je vous invite à lire un excellent texte de Louis Morissette sur le sujet : « Qui est Véronique Cloutier4 ? »

Émissions pour enfants, séries télé québécoises, musique, le combat est le même : dans quelle culture nos enfants grandiront-ils ? La culture anglo-américaine ? La nôtre ? Comprenez-moi bien, quoi qu’il arrive, ils grandiront en partie à l’américaine et en anglais. Comme on dit en Ontario français, le français, ça s’apprend, l’anglais, ça s’attrape. Le risque n’est pas de s’ouvrir sur le monde, c’est plutôt de disparaître dans le processus. Par disparaître, je veux dire ne plus chanter ensemble.

1. Lisez « Télé-Québec : La CAQ promet d’investir 65 millions en création d’émissions jeunesse » 2. Lisez « Le PQ veut remplacer les imitations de La Pat’Patrouille par des émissions québécoises » 3. Consultez l’étude « Portrait des habitudes médiatiques des étudiantes et des étudiants en Art et technologie des médias du Cégep de Jonquière » 4. Lisez « Le mot de Louis : Qui est Véronique Cloutier ? »