Je décortique les cadres financiers des partis politiques à chaque campagne électorale. Vous savez, ces comptes rendus chiffrés qui servent à éclairer les électeurs sur le coût des promesses et leur impact sur nos finances collectives.

Or, en grattant, j’ai découvert cette année que le cadre financier du Parti libéral du Québec (PLQ) contenait une erreur importante, qui a pour effet de sous-estimer la dette du Québec de 12 milliards de dollars.

Essentiellement, le « parti de l’économie » estime que la dette brute du Québec, sous le PLQ, atteindrait 240,6 milliards de dollars au terme du mandat, soit à la fin de l’année financière 2026-2027. En réalité, le chiffre sera plutôt de 252,6 milliards si l’on se fie aux mesures proposées par le parti de Dominique Anglade, soit 12 milliards de plus.

L’erreur a été découverte en comparant le cadre financier du PLQ avec le rapport préélectoral et en discutant avec deux analystes férus de finances publiques.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Carlos Leitão, responsable du cadre financier au Parti libéral du Québec

En soirée, le responsable du cadre financier au PLQ, Carlos Leitão, a reconnu l’erreur. « Vous avez entièrement raison et on va ajuster notre calcul de la dette pour en tenir compte. Je pense que nous n’avons pas additionné l’effet cumulatif des déficits annuels de notre programme », a expliqué l’ex-ministre des Finances lors d’une conversation téléphonique. Le document sera corrigé au plus tard mercredi, me dit M. Leitão.

La bévue n’est pas sans conséquence. Dans son cadre financier, le PLQ justifie les importants déficits annuels de son programme – qui comprend des baisses d’impôt de plusieurs milliards – par le contexte économique difficile.

Surtout, écrit le PLQ : « bien que notre cadre financier ne propose pas un retour à l’équilibre budgétaire sur l’horizon de cinq ans, le ratio dette/PIB, lui, maintiendra sa chute ».

Or, avec les nouveaux chiffres, cette dette relative ne reculera pratiquement plus. Selon le rapport préélectoral, la dette brute équivaudra à 39,7 % du produit intérieur brut (PIB) au 31 mars 2023, puis baissera jusqu’à 37 % au 31 mars 2027.

Avec la nouvelle dette corrigée de l’erreur, le rapport dette/PIB sous le PLQ atteindrait 39,6 % du PIB au 31 mars 2027, soit pratiquement le même niveau que les 39,7 % du 31 mars 2023.

Ce n’est pas tout. Dans son cadre financier, le PLQ a choisi d’omettre les dépenses liées à la COVID-19 pour l’année en cours et les deux prochaines années, inscrites au rapport préélectoral. L’omission de ces dépenses de 2,8 milliards – dont plus de 80 % sont pour l’année financière débutée il y a six mois – a encore pour effet de sous-estimer la dette brute au terme du mandat, cette fois de 2,8 milliards.

Dans la première version de son cadre financier sur l’internet, le PLQ n’en soufflait mot. Mais le parti a récemment choisi de rajouter une annexe à son document pour expliquer l’impact d’une telle omission sur les équilibres financiers et la dette, après des discussions avec des économistes de l’Association des économistes québécois (ASDEQ).

Au téléphone, Carlos Leitão s’explique. « Ce n’est pas une erreur, mais une décision que nous avons prise [de ne pas les inclure]. Il y a systématiquement des dépenses budgétées qui ne se réalisent pas, notamment pour des salaires. On ne voit d’ailleurs pas de telles dépenses dans le récent rapport mensuel des opérations financières du gouvernement », dit M. Leitão.

Ce rapport mensuel dresse l’état des revenus et dépenses déjà réalisés, et non des projections. Il porte sur les deux premiers mois de l’année financière (avril et mai 2022). Il a été publié le 2 septembre, la veille du cadre financier du PLQ, le 3 septembre.

Mais attendez, je n’ai pas fini. En plus de l’erreur de 12 milliards et de l’omission des dépenses de COVID-19 (2,8 milliards), un autre élément non négligeable a un impact sur l’estimation de la dette. Le PLQ a choisi de dépenser l’entièreté des 2 milliards de dollars de provisions pour risques économiques inscrits pour chacune des 5 prochaines années dans le rapport préélectoral.

Cette décision de 10 milliards, une fois de plus, rend discutable l’estimation de la dette du PLQ au terme du mandat. Un contexte économique plus favorable que prévu permettrait au gouvernement de ne pas utiliser la provision et donc d’engranger des surplus plus imposants, qui viendraient réduire la dette.

Avec son programme, le PLQ ne disposerait plus d’une telle marge de manœuvre – déjà dépensée – et sa dette brute ne pourrait être réduite comme celle du rapport. L’écart entre la dette du PLQ et du rapport préélectoral grossit donc encore de 10 milliards.

Carlos Leitão n’est pas d’accord avec cette lecture. « C’est une provision qui finit généralement par être dépensée au terme de l’année fiscale », dit-il.

Tout compte fait, on peut raisonnablement estimer que le cadre financier du PLQ sous-estime la dette brute du Québec de près de 25 milliards par rapport à celle du rapport préélectoral (12 + 2,8 + 10) au 31 mars 2027.

Cela dit, le PLQ n’est pas le seul parti qui puise dans ces provisions de 10 milliards. Le Parti québécois (PQ) a transformé ces réserves en divers engagements, lui aussi, et la Coalition avenir Québec (CAQ) a détourné 2 des 10 milliards à d’autres fins. Ces décisions ont aussi des impacts sur notre endettement collectif, bien qu’il faille rappeler, quand même, qu’il est passé sous l’objectif que nous nous sommes fixé il y a plusieurs années, de 45 % du PIB.

Enfin, le PLQ n’a pas le monopole des erreurs. Dans son cadre financier, la CAQ a aussi commis une erreur en additionnant erronément le coût de certaines promesses dans une de ses listes. L’erreur de 4,3 milliards sur 5 ans n’a toutefois pas été répliquée dans les pages suivantes de son cadre, et n’a pas d’impact sur les équilibres financiers de la CAQ ni sur sa dette. Une nouvelle version du cadre a aussi été mise en ligne, me dit-on.