« Je regarde les rassemblements de François Legault depuis deux jours et je suis obligé de constater qu’il y a plus de gardes du corps qu’il y a de monde. Mais nous autres, on n’a pas besoin de gardes du corps, parce que le peuple est avec nous… »

Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, a prononcé ces paroles dans un rassemblement partisan à Saint-Romuald, lundi soir1.

Il a dit cela dans un contexte d’inquiétude généralisée face à la multiplication des menaces faites aux élus, ici au Québec et ailleurs dans le pays, et quelques heures après que Paul St-Pierre Plamondon a révélé que la SQ lui avait suggéré un essayage de gilet pare-balles, au cas où il en aurait besoin pendant la campagne2… 

Éric Duhaime a prononcé ces paroles alors que des reportages soulignaient l’omniprésence de policiers dans l’entourage des chefs politiques, en ce début de campagne.

Le chef conservateur a prononcé ces paroles après une fin de semaine où la vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, a été victime d’une attaque verbale d’un taupin désinformé qui se croit en dictature, en Alberta, qui l’a traitée de traître à grands coups de fuckin’ ci et de fuckin’ ça et d’insultes misogynes… 

Éric Duhaime pourrait faire un appel au calme sans équivoque. Il pourrait, comme les autres chefs, déplorer en termes clairs ceux qui polluent le climat à coups de menaces et de harcèlement.

Éric Duhaime pourrait dire clairement, souvent et directement que cela n’a pas sa place en politique. Il pourrait le dire spontanément, pas juste parce qu’il est dénoncé. Il le fait plutôt quand la pression devient intense : son premier reflexe, lundi soir, fut de blaguer à propos des menaces à la sécurité du premier ministre.

Or, il ne le fait pas.

Le chef du Parti conservateur du Québec préfère blaguer sur le fait qu’il n’a rien à craindre, car « le peuple » est avec lui… LOL.

Jeudi, au lendemain de l’arrestation d’un fêlé harcelant qui a appelé la police pour faire croire qu’il venait de la tuer3, la députée libérale Marwah Rizqy a interpellé Éric Duhaime, l’accusant de « canaliser la haine et la colère ».

Ce qu’a dit Mme Rizqy, c’est une observation factuelle.

Non, M. Duhaime ne dit pas qu’il faut pendre des politiciens ; non, il ne prône pas des procès calqués sur ceux de Nuremberg, comme le souhaitent les gens englués dans les sables mouvants de la désinformation… 

Mais Éric Duhaime courtise ces gens. Il est allé parader à leurs manifestations antisanitaires, il explique et banalise leurs dérapages en disant qu’ils se sont sentis sacrifiés, pendant la pandémie. Alors oui, il « canalise » des sentiments déplorables.

Éric Duhaime pourrait porter les doléances de ces « sacrifiés » dans l’espace public, tout en condamnant avec fermeté les appels aux meurtres. Il ne le fait pas.

Pourquoi ?

Pour la même raison, je crois, que le chef du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier, n’a pas condamné l’agression contre Chrystia Freeland. Pour la même raison que Pierre Poilievre, qui aspire à diriger le Parti conservateur du Canada, n’a condamné cette attaque contre Mme Freeland que du bout des lèvres (en réponse à une question d’un journaliste) sans jamais relayer cette condamnation sur les réseaux sociaux où il est pourtant plus actif qu’une influenceuse payée au clic…

Cette raison est simple : si MM. Duhaime, Bernier et Poilievre dénoncent les fantasmes de violence de certains électeurs, ils vont dénoncer des gens qui forment leur base politique.

Je ne suis pas le seul à le penser. Alain Rayes, député du Parti conservateur du Canada, ex-compagnon de route de M. Duhaime à l’ADQ, me l’a dit sans détour, jeudi, à la radio, à propos de la vague de menaces visant des politiciens : « Je considère que ces gens-là [MM. Duhaime, Bernier et Poilievre] n’osent pas le faire [dénoncer] pour ne pas déplaire à une partie des gens qui les supportent. »

Ce n’est pas la première fois qu’Éric Duhaime banalise la violence et l’intimidation. En 2016, alors qu’un fêlé avait déposé une tête de porc à la porte de la grande mosquée de Québec, il avait plaidé à son micro radiophonique qu’il s’agissait… d’une bête plaisanterie4… LOL.

Ceux qui parmi ses auditeurs détestent les musulmans ont dû la trouver bien drôle, cette « blague », en effet.

Et après le massacre de ladite mosquée, l’année suivante, qu’a dit Éric Duhaime du tueur ?

Il a dit que c’était un « prisonnier politique5 ».

Quand des étudiantes de l’Université Laval ont été victimes d’agressions sexuelles dans une résidence du campus, qu’a dit Éric Duhaime, à la radio ?

Il a comparé ça au vol d’une voiture dont le propriétaire n’aurait pas verrouillé les portières6 : fallait qu’elles verrouillent leurs portes, les pauvres.

En politique, Éric Duhaime fait comme il faisait à son micro : il ménage les susceptibilités des plus excités de son électorat cible. Il canalise des sentiments répréhensibles.

Alors, Éric Duhaime aura beau dire des gens échaudés par les mesures sanitaires qu’ils ont le droit d’être représentés, c’est à la fois vrai et faux. Car il faut faire le tri entre des colères légitimes et des colères dopées par le complotisme, la paranoïa et la désinformation… 

Je cite le candidat au leadership du Parti conservateur fédéral Scott Aitchison, qui a décrit la ligne droite entre le conspirationnisme et les appels à la violence : « Chaque jour, je reçois des courriels de gens qui sont incroyablement fâchés et paranoïaques. Ils pensent qu’on devrait juger Trudeau pour crimes contre l’humanité. Ils affirment que les vaccins tuent des millions de personnes et les comparent à l’Holocauste. C’est ce que la peur, la colère et la désinformation font, au Canada. »

Au Québec, ces gens-là se reconnaissent principalement dans un parti : le Parti conservateur d’Éric Duhaime. C’est quantifié : 50 % des électeurs attirés par M. Duhaime adhèrent à des théories du complot, selon une étude de l’Université de Sherbrooke7.

Et il ne faut pas fouiller longtemps dans les comptes Twitter ou Facebook de partisans du Parti conservateur du Québec pour y découvrir des gens qui ont des vues complètement délirantes. Tous les partisans conservateurs ne sont bien sûr pas des conspirationnistes. Mais M. Duhaime est l’homme des conspirationnistes.

Le flirt d’Éric Duhaime avec les idées délirantes est une tragédie parce que traditionnellement, l’absence de relais politique enlevait de l’oxygène à ces idées de fou. Duhaime donne de l’oxygène à ces idées.

Je l’ai dit en 2017 dans une chronique quand il était dans le monde médiatique8 : T’es toxique, Éric.

Je le redis maintenant qu’Éric Duhaime est en politique, en 2022 : T’es toxique, Éric.

Et tu l’es encore plus qu’en 2017.

1. Lisez un article du Journal de Québec 2. Lisez un article de Radio-Canada 3. Lisez un article de Radio-Canada 4. Lisez notre article « Les largesses de la liberté d’expression » 5. Lisez un article du Soleil 6. Consultez une publication du Club des mal cités 7. Lisez un article du Soleil 8. Lisez la chronique de Patrick Lagacé « T’es toxique, Éric »