Il y a quatre ans, le 21 septembre 2018, Gatineau était secoué par une tornade en pleine campagne électorale. Quelques jours après, par un séisme : la Coalition avenir Québec (CAQ) arrachait trois des cinq sièges de la région traditionnellement acquis au Parti libéral du Québec (PLQ). S’ajoute cette année un potentiel boom minier. Portrait régional.

(Gatineau) Une région longtemps sous-financée

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Les candidats libéraux André Fortin, Maryse Gaudreault et Caryl Green lors d’une rencontre avec les étudiants du cégep Héritage, à Gatineau

Le paysage politique a changé en 2018, mais les enjeux du sous-financement en santé et de la pénurie de logements sont toujours présents.

Un pied au Québec (officiellement), l’autre en Ontario (officieusement) : l’Outaouais est l’équivalent d’un flyover state aux États-Unis – ces États entre l’est et l’ouest du pays où l’on ne s’attarde pas. Les politiciens à Québec, en tout cas, ne se sont longtemps pas attardés à la région, si bien qu’en 2019, ils ont adopté une motion à l’Assemblée nationale pour convenir qu’il était urgent d’y réinvestir en santé, en éducation et en culture.

Le parrain de ladite motion, l’élu caquiste sortant Mathieu Lacombe, n’en est pas peu fier. « Mais en même temps, il faut que les bottines suivent les babines, et chaque fois qu’on a l’occasion de le faire, on le fait », assure-t-il. Au cours de son premier mandat, la CAQ a annoncé la construction d’un hôpital attendu depuis des lustres, à Gatineau, et a offert des primes de 42 000 $ sur deux ans aux infirmières qui choisissent de s’établir en Outaouais.

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Éric Tremblay, directeur de la maison Mon chez nous, discute
 avec le candidat caquiste Mathieu Lacombe

« Il faut que je lui donne une médaille, à Mathieu Lacombe : dans les communications et les annonces, il est très bon. L’école secondaire Mont-Bleu, où la tornade a traversé il y a quatre ans, est encore en rénovation. Et on nous promet un hôpital dans 10 ans ? Non. Il ne faut pas prendre le monde pour des nouilles », lance la députée libérale sortante Maryse Gaudreault, qui brigue un sixième mandat de suite dans la circonscription de Hull.

Pour stopper l’exode des infirmières québécoises qui traversent de l’autre côté de la rivière des Outaouais, les libéraux ont proposé au début de la campagne électorale la parité salariale avec l’Ontario, au coût de 60 millions par année, ainsi que des salaires plus concurrentiels pour d’autres professionnels de la santé. « La frontière nous a toujours mis dans le pétrin pour ce qui est de la pénurie de main-d’œuvre, mais la pandémie a tout exacerbé », explique l’élue sortante.

Ces promesses, Mathieu Lacombe les tourne en dérision. « C’est intéressant qu’ils [les libéraux] s’inspirent de nos actions, parce que quand ils étaient là, ils nous disaient qu’il n’y avait pas de problème en santé », ironise celui qui tente de se faire élire pour une seconde fois dans la circonscription de Papineau. Il ne considère pas que le problème pourrait s’accentuer en maintenant les seuils actuels d’immigration. « La proximité avec l’Ontario, ça apportera toujours des défis », argue-t-il.

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Gabrielle Sexton, copropriétaire du café Petites gamines

Loin de ces attaques verbales par journaliste interposée, derrière la vapeur que crache sa machine à espresso, Gabrielle Sexton soupire. « Moi, ça fait huit ans que mon médecin a pris sa retraite. Et ça fait huit ans que je suis en attente au guichet d’accès. Je sais qu’il y a un hôpital qui va être construit, mais ça fait des décennies que ça traîne », lâche la copropriétaire du café Petites gamines, dans un Vieux-Hull déserté par les fonctionnaires.

Transport et logement

Désert, parce que le télétravail a vidé les tours de bureaux gouvernementales.

Ce qui est problématique notamment pour la Société de transport de l’Outaouais (STO), « la société de transports qui connaît la reprise la plus lente au pays », s’alarme la mairesse de Gatineau, France Bélisle. Elle « [s’attend] à ce que la STO vienne frapper à la porte de la Ville avec un déficit de plusieurs millions de dollars », ce qui nécessitera « un engagement du gouvernement du Québec ».

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Autobus de la Société de transport de l’Outaouais

Contrairement aux tours de bureaux, les tours d’habitation qui poussent comme des champignons dans la ville, elles, se remplissent à un rythme fou. La crise du logement frappe fort ici, comme en témoigne le taux d’inoccupation de 1 %. Là encore, la proximité avec l’Ontario est pointée – les logements sont moins chers du côté de Gatineau, ce qui met une « pression énorme », expose la mairesse France Bélisle.

Changer (encore) ou continuer ?

Le candidat de Québec solidaire dans la circonscription de Hull, Mathieu Perron-Dufour, fait de la crise du logement un cheval de bataille, à l’image de son parti, qui a promis de construire 50 000 logements sociaux, dont 25 000 dans un premier mandat. L’économiste, professeur à l’Université du Québec en Outaouais, a contribué à l’élaboration du cadre financier solidaire.

Il mise sur le désir de changement des électeurs, le 3 octobre prochain.

« Il y a beaucoup de monde qui veut changer. À la dernière campagne, il y a bien des gens qui ont réalisé qu’il n’y avait pas qu’une seule option [le Parti libéral] », explique-t-il.

Et c’est drôle, parce qu’il y a des citoyens qui me disent être prêts à changer, qui hésitent entre moi et la CAQ… alors que bon, moi, je dirais que nos propositions ne sont pas très proches de celles de la CAQ, mais bon...

Mathieu Perron-Dufour, candidat solidaire de la circonscription de Hull

Quant au candidat du Parti québécois (PQ) dans la circonscription de Gatineau, Raphaël Déry, il surfe en ce moment sur la vague Paul St-Pierre Plamondon, dont les prestations aux débats des chefs de TVA et de Radio-Canada ont attiré des commentaires élogieux de plusieurs analystes.

« Juste aujourd’hui [vendredi], quatre personnes m’ont dit que leur choix avait changé », dit-il.

Le porte-couleurs péquiste ne se berce pas pour autant d’illusions : la dernière victoire du PQ en Outaouais remonte à… 1976, dans la circonscription de Chapleau. Il se présente « par conviction », entre autres pour défendre la langue française. « On côtoie la capitale fédérale, alors on vit pas mal le déclin du français, et on comprend les conséquences de l’inaction, et on a envie de freiner le déclin », fait-il valoir.

Le PCQ, cette variable inconnue

Si un trio caquiste a pu causer la surprise en 2018, c’est en grande partie en raison d’un « effondrement de l’option indépendantiste », estime Benoît Pelletier, qui a été ministre libéral responsable de la région.

« Tant qu’il y avait cette “menace”, les gens votaient pour le parti qui leur semblait offrir le plus de stabilité, le plus de sécurité, celui qui était résolument fédéraliste, le Parti libéral du Québec. Là, il y avait une alternative », expose celui qui enseigne maintenant le droit à l’Université d’Ottawa.

Il y a, cette fois, un nouveau joueur : le Parti conservateur du Québec.

Selon des sources libérales et caquistes, il pourrait brouiller les cartes dans des circonscriptions plus rurales comme Pontiac ou Chapleau.

Le nombre des participants au « convoi de la liberté » a été grossi par des électeurs de ces secteurs. Et la promesse du chef Éric Duhaime d’abroger la loi 96 est douce aux oreilles des secteurs anglophones de ces circonscriptions.

D’après les projections du site Qc125, la CAQ pourrait cette fois gagner quatre sièges sur cinq (en ravissant celui de Maryse Gaudreault dans Hull), et la lutte pourrait être serrée dans la circonscription que représente le libéral André Fortin dans Pontiac.

Un possible boom minier qui inquiète

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Forage exploratoire à Lac-des-Plages, début septembre

La Coalition avenir Québec (CAQ) est la seule formation qui s’oppose à un moratoire sur les claims miniers, des titres d’exploration minière, qui se multiplient dans la circonscription de Papineau – souvent dans des sites de villégiature et à proximité des lacs.

Le nombre de claims a explosé en Outaouais : en l’espace de 18 mois, il a augmenté de 211 %, selon le Regroupement de protection des lacs de la Petite-Nation, qui réclame un moratoire sur la délivrance de nouveaux titres.

Les sociétés minières espèrent y dénicher du graphite ou du lithium, ces minéraux que l’on utilise dans la fabrication de batteries, une filière chère aux yeux de la CAQ dans le cadre de la transition énergétique.

« C’est clair que ça peut susciter de l’inquiétude quand un projet minier veut s’installer dans une région. Mais pour moi, c’est clair, comme pour le premier ministre : s’il n’y a pas d’acceptabilité sociale, il n’y aura pas de projet », dit le caquiste Mathieu Lacombe.

Tous les partis invoquent l’acceptabilité sociale comme critère fondamental.

Tous les partis plaident pour un moratoire. À l’exception de la CAQ.

« Quand on demande un moratoire sur les claims, là, je suis obligé d’exprimer mon désaccord, parce que je pense qu’on doit au moins se poser la question, si on souhaite ou pas avoir un projet, quand il y a une possibilité », plaide le candidat Lacombe.

Se réclamant d’une approche « pragmatique », il explique que « des gens sur le terrain aimeraient ça, avoir des emplois de qualité payés plus de 100 000 $ par année dans une MRC comme la nôtre qui est dévitalisée ».

CARTE FOURNIE PAR LE REGROUPEMENT DE PROTECTION
DES LACS DE LA PETITE-NATION

Carte des claims miniers répertoriés par le Regroupement
de protection des lacs de la Petite-Nation

Son rival conservateur, Marc Carrière, estime que cela témoigne de la « déconnexion » du député sortant. « Il n’habite pas la circonscription ; dès qu’il a été nommé ministre responsable de la région, il a déménagé. Moi, je suis sur le terrain », reproche-t-il.

« Dans notre vision, l’exploitation de nos ressources naturelles, c’est important. C’est de l’argent [frais] qui rentrerait dans les coffres de l’État […] Il n’est pas question de dire non au projet, au contraire, on en veut », insiste cet ancien conseiller municipal gatinois.

« Mais prenons un pas de recul : il y a des ajustements qui doivent être faits sur le plan de la réglementation. On peut exiger des distances de 1000 mètres entre les résidences et l’exploitation d’une mine », illustre Marc Carrière.

Non au « Far West »

Chez Québec solidaire, on appuie aussi l’idée d’un moratoire en attendant de réformer la Loi sur les mines afin d’éviter que la région ne devienne un véritable « Far West », dit le candidat Mathieu Perron-Dufour.

Son adversaire libérale, Maryse Gaudreault, loge à la même enseigne. « C’est sûr que s’il n’y a pas d’acceptabilité sociale, il n’y a pas de mine. Je veux dire, à un moment donné, c’est notre sous-sol, c’est chez nous. Il doit y avoir des consensus », soutient-elle.

Le Parti québécois est aussi pour un moratoire. « On n’est pas contre l’exploitation du graphite, mais il faut permettre aux MRC d’élaborer les territoires incompatibles avec l’activité minière (TIAM) », note Raphaël Déry.

La position de la CAQ risque-t-elle de nuire aux chances de réélection de Mathieu Lacombe ?

Son prédécesseur Benoît Pelletier en doute.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Benoît Pelletier, ancien député de Gatineau et professeur de droit à l’Université d’Ottawa

L’impact électoral, à mon avis, va être faible, parce que c’est un sujet dont on entend moins parler. On entend beaucoup plus parler de la crise du logement et des problèmes en matière de santé.

Benoît Pelletier, ancien député de Gatineau et professeur de droit à l’Université d’Ottawa

Mais « moi, j’identifie cette question-là comme étant, en ce moment, le problème le plus préoccupant dans l’Outaouais », fait valoir l’ancien ministre libéral.