Tout au long de la campagne, La Presse visite des circonscriptions où rien n’est joué, à la rencontre des électeurs, des candidats, et des enjeux qui leur tiennent à cœur. Aujourd’hui : Chauveau.

(Québec) Le chef du Parti conservateur du Québec (PCQ) a choisi la circonscription de Chauveau pour tenter d’entrer à l’Assemblée nationale. Les sondages annoncent une lutte serrée avec le député caquiste sortant, Sylvain Lévesque. Pour l’emporter, Éric Duhaime mise sur la grogne antitramway.

Le chef conservateur se promène dans une rue de Chauveau, en banlieue de Québec, quand un homme passe dans un Ford Bronco flambant neuf. Le badaud baisse la fenêtre et lance « Let’s go Éric ! », tout en faisant un signe de cornes avec sa main gauche.

Le chef du PCQ le salue, tourne les talons, puis frappe à la porte d’un bungalow. Une dame ouvre et raconte avoir voté pour la Coalition avenir Québec (CAQ) en 2018. Mais cette fois-ci, elle lui promet son vote. Elle parle de la pandémie, du besoin de sang neuf.

Mais c’est surtout contre le projet de tramway qu’elle en a. « Ce projet n’a aucun sens pour nous autres », dit celle qui refuse d’être nommée. « Je travaille à la Ville de Québec, vous comprenez. »

Le chef conservateur s’empresse de rappeler que son parti est le seul à s’opposer à ce projet de quelque 4 milliards, qui doit voir le jour en 2028.

Éric Duhaime a pris une pause de sa campagne nationale dimanche pour faire du porte-à-porte dans Chauveau.

La course, ici, se joue à deux. L’agrégateur de sondages Qc125 place M. Duhaime et Sylvain Lévesque au coude-à-coude.

La bataille oppose un chef de parti dont les idées portent dans cette banlieue de Québec historiquement à droite et un député local qui, aux dires de plusieurs intervenants, a fait un excellent travail de terrain depuis quatre ans.

« Mon bilan parle par lui-même. Tout ce que j’ai promis a été fait », lance en entrevue Sylvain Lévesque.

Il cite une école secondaire en cours de réalisation à la limite de sa circonscription, l’élargissement de l’autoroute Laurentienne, la réfection de la « route de la honte » entre Lac-Beauport et Sainte-Brigitte-de-Laval…

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Sylvain Lévesque, candidat de la CAQ et député sortant dans Chauveau

L’air sympathique, d’un naturel affable et souriant, l’homme est décrit par son entourage comme un « bon député de terrain ». Depuis le début de la campagne, il multiplie les sorties, du Cercle des fermières aux maisons de jeunes en passant par la communauté de Wendake.

« J’ai appris quelques mots de wendat », glisse le député sortant.

Ce politicien d’expérience, qui en est à sa sixième élection, l’avait emporté avec près de 10 000 voix d’avance sur la candidate libérale en 2018.

Mais les choses ont radicalement changé depuis.

« Ça ne passe pas »

La pandémie et les mesures de confinement ont permis au PCQ, marginal auparavant, de bondir dans les intentions de vote. Éric Duhaime, animateur de radio bien connu à Québec, est devenu chef.

M. Duhaime a choisi de se présenter dans Chauveau contre l’avis de plusieurs observateurs très avisés de la région, qui lui conseillaient plutôt d’aller sur la Rive-Sud de Québec, où la droite est implantée de longue date.

Mais c’est dans Chauveau que le PCQ comptait le plus de membres. Et c’est aussi ici que le parti obtenait les meilleurs scores (8,6 % aux dernières élections).

Cette fois-ci, le chef conservateur mise beaucoup sur l’opposition d’électeurs au projet de tramway de la Ville de Québec, que le gouvernement sortant de la CAQ soutient.

« C’est peut-être l’enjeu numéro un, ici, avec le coût de la vie », glisse M. Duhaime qui promet, s’il est élu, de retirer le financement provincial au projet. « C’est la même chose sur la Rive-Sud [de Québec]. Le tramway, ça ne passe pas. »

Il est difficile de savoir exactement quel est l’appui au projet de tramway dans Chauveau, circonscription suburbaine parmi les 25 plus riches du Québec.

Cette circonscription disparate inclut des secteurs de Québec comme Loretteville ou Saint-Émile – où M. Duhaime a fait son porte-à-porte dimanche –, mais aussi des municipalités comme Lac-Beauport et Stoneham-et-Tewkesbury.

Un sondage Léger mené en mai dernier pour la Ville de Québec montrait que c’est dans l’arrondissement de la Haute-Saint-Charles – qui contient Saint-Émile et Loretteville – que se trouvait la plus forte opposition au projet de tramway. Là, 73 % des sondés disaient être contre le projet.

Dimanche, Éric Duhaime n’avait pas de mal à les trouver, ces opposants. « C’est un projet de fou, ça ne roulera pas l’hiver ! », s’indigne Sylvain, camionneur rencontré devant son bungalow, visiblement peu convaincu par la présence de tramways en Norvège et en Suède.

Après des mois d’incertitude, la CAQ a choisi d’appuyer franchement le tramway porté par le maire Bruno Marchand. Sylvain Lévesque défend le projet qui, dans sa phase initiale, ne passera pas dans sa circonscription.

« Sur l’enjeu de la mobilité, je constate qu’il n’y a qu’un seul parti avec une vision globale. La colonne vertébrale sera le tramway, avec un troisième lien de centre-ville à centre-ville pour créer la deuxième métropole du Québec et des voies dédiées sur les axes nord-sud », énumère M. Lévesque, qui visiblement attendait la question.

Les gens en banlieue veulent des options, indique-t-il. « Les enfants d’antan sont rendus ados, ils veulent être autonomes et se rendre au centre-ville. Ce n’est pas toujours viable d’avoir deux, trois, quatre voitures dans l’entrée. »

Une campagne sous haute tension

Sylvain Lévesque admet que cette campagne est hors de l’ordinaire. Le député sortant a dû, à contrecœur, fermer son bureau de circonscription le temps de la campagne.

« Lorsqu’il y a eu l’histoire de la pancarte ensanglantée, j’avais des employés au bureau. Quand la personne a mis les coordonnées de mon bureau, j’ai pris la décision d’envoyer les employés en télétravail, de continuer à répondre aux appels, mais de la maison pour éviter qu’une personne mal intentionnée… On n’a pas pris de chance. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

De nombreuses affiches du député sortant ont été vandalisées.

Quand on se promène dans Chauveau, elles sautent aux yeux : les pancartes de Sylvain Lévesque ont à peu près toutes été découpées par des vandales.

« Je ne veux pas alimenter la violence. Je ne pointe personne. Je pense qu’aucun candidat ne souhaite de la violence en politique », dit-il prudemment.

Les autres candidats

Les autres partis essaieront tant bien que mal de se tailler une place dans cette lutte à deux dans Chauveau. Le Parti libéral du Québec (PLQ) compte sur Igor Pivovar, juriste de formation qui travaille à la cour municipale de Québec. Québec solidaire (QS) mise sur Jimena Ruiz Aragon, candidate à la maîtrise en relations industrielles qui a travaillé dans le milieu syndical. Charles-Hubert Riverin, étudiant en philosophie à l’Université Laval, se présente pour le Parti québécois (PQ).

Un tramway qui divise

Proportion de la population en désaccord avec le projet de tramway, par arrondissement de Québec

Sainte-Foy–Sillery–Cap-Rouge : 31 %

La Cité-Limoilou : 40 %

Charlesbourg : 48 %

Les Rivières : 56 %

Beauport : 71 %

La Haute-Saint-Charles : 73 %

Source : sondage Léger pour la Ville de Québec, mai 2022