Une vieille dame au chapeau courbée sur sa canne, à l’ombre du mont Royal. Son petit chien, vêtu d’un drapeau canadien, urine sur une affiche célébrant le centenaire de René Lévesque.

Disons-le comme ça : la caricature du jour de The Montreal Gazette passe mal. Très mal. Depuis mardi matin, les réactions fusent, outrées. Les Anglos pissent sur Lévesque ! La Gazette méprise les Québécois francophones, une fois de plus !

Paul St-Pierre Plamondon a dénoncé ce nouvel épisode de « Québec bashing » en point de presse. Il a exhorté les autres chefs à dénoncer la caricature honteuse. « Je ne laisserai jamais personne uriner sur la mémoire de l’indépendantisme », a-t-il dit avec émotion.

La twittosphère s’est déchaînée. « Pourquoi la Gazette déshonore ainsi la mémoire de Lévesque pour son centième anniversaire ? Que justifie un tel acharnement ? », se demande le Rassemblement des indépendantistes.

« Au moins c’est clair : les néo-rhodésiens de la Gazette pissent sur les Québécois », écrit pour sa part le chroniqueur du Journal de Montréal Mathieu Bock-Côté.

Mais… est-ce vraiment aussi clair que ça ?

On dirait bien que non. On dirait bien que tout ce beau monde n’a pas saisi le message qu’a voulu faire passer le caricaturiste Jacques Goldstyn, alias Boris.

« René Lévesque est un politicien que j’admire énormément, je considère que c’est le plus grand homme politique du Québec », me lance-t-il d’emblée en entrevue téléphonique.

Le caricaturiste est né au Saguenay–Lac-Saint-Jean il y a 64 ans. La grenouille du magazine Les Petits Débrouillards, c’est lui. Le prolifique auteur a été illustrateur pour de nombreuses autres publications, dont le défunt magazine Croc.

Ah, oui : Jacques Goldstyn a aussi voté Oui aux référendums sur la souveraineté du Québec…

Sa caricature avait pour but de dénoncer très précisément… ce que Paul St-Pierre Plamondon et d’autres dénoncent depuis ce matin : le mépris de certains anglophones pour le projet d’indépendance et pour René Lévesque, en particulier.

Pour moi, c’est une pauvre vieille Anglaise qui passe à côté d’une exposition sur René Lévesque et voilà, son chien témoigne de son mépris.

Le caricaturiste Jacques Goldstyn

Plus que tout autre politicien, René Lévesque l’a marqué. « C’était un profond humaniste, et c’est pour ça qu’il est resté dans le cœur des Québécois. Le paradoxe, c’est que pour le reste du Canada, il est vu comme un destructeur de nation. »

Jacques Goldstyn a donc voulu représenter en caricature la fameuse « vieille Anglaise de chez Eaton », qui craignait et détestait profondément le chef souverainiste.

« On se souvient, en 1976, la terreur qu’il y a eu quand René Lévesque avait été élu, puis quand on a adopté la loi 101. Des Anglais ont fui Westmount. […] Les gens de cette génération-là n’ont pas pardonné à René Lévesque. »

Jacques Goldstyn a imaginé cette vieille femme comme « le grain de sable dans la belle machine qui rend hommage à René Lévesque » pour marquer le 100anniversaire de sa naissance.

« Pour moi, une bonne caricature, c’est quelque chose qui fait réfléchir sur un phénomène. Là, c’est le phénomène René Lévesque, et j’ai voulu montrer la petite ombre noire sur le tableau. C’est une pauvre vieille, en fait. C’est une relique. Elle va bientôt faire partie des souvenirs. Elle va disparaître du paysage. »

Manifestement, Jacques Goldstyn a raté sa cible.

En pleine campagne électorale, cette caricature est un cadeau du ciel pour les péquistes, qui s’en serviront pour rallier le vote de ceux qui y verront une attaque inacceptable contre le peuple québécois. C’est de bonne guerre.

Il faut admettre que le fait que ce dessin soit publié par The Montreal Gazette brouille passablement le message. La première règle d’un caricaturiste – et d’un chroniqueur, j’en sais quelque chose – devrait être : sois compris.

Jacques Goldstyn regrette d’avoir été mal interprété. « Je pense que la Gazette va autant me haïr que les souverainistes qui vont y voir une insulte. Ce n’est pas une insulte. La caricature est là pour faire réfléchir. »

Si c’était à refaire… il ne le referait pas. « Je ne cherche pas la polémique à tout prix. Si c’est comme ça, je vais peut-être complètement arrêter. Je n’ai pas besoin de dessiner des caricatures politiques… »

Avant la publication, l’éditrice des pages éditoriales de The Montreal Gazette, Edie Austin, lui a dit qu’elle n’était pas d’accord avec sa caricature. Elle lui a soumis que les anglophones du Québec avaient changé, depuis le temps.

C’est vrai, admet Jacques Goldstyn. C’est pour ça qu’il a caricaturé la vieille Anglaise de chez Eaton, une espèce en voie de disparition, selon lui.

Puis, il ajoute : « Les choses ont changé, mais le jour où ça va vraiment changer, c’est peut-être quand le boulevard Dorchester à Westmount va s’appeler le boulevard René-Lévesque aussi… »