Sur le terrain, la campagne électorale en est visiblement rendue à l’épreuve du lancer de la boue. Mais dans les « war rooms » des partis, on n’a pas attendu que le dernier sprint soit entamé avant de tenter de salir l’adversaire. L’arme de prédilection ? Des demandes d’enquête à répétition – un stratagème cynique, juge un ex-stratège conservateur.

Au jour 34, ce vendredi, au moins 11 requêtes avaient été formulées – autrement dit, tous les trois jours, si l’on fait une moyenne. Ont été interpellés, notamment, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique et le commissaire aux élections.

La vaste majorité des demandes sont venues du Parti conservateur. Afin de donner un aperçu de la nature des requêtes, voici certaines des récriminations formulées dans des communiqués de presse depuis le coup d’envoi de la campagne – aucune allégation n’a été prouvée. Celui qui a reçu le plus de courrier est Mario Dion, commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique.

Les conservateurs lui ont demandé de mener une enquête sur Mélanie Joly au sujet d’un contrat « qui pourrait avoir bénéficié à un membre de sa famille », et de déterminer si David Lametti et Diane Lebouthillier avaient erré en matière de nominations judiciaires.

On lui a aussi demandé de se pencher sur le cas de Mary Ng, qui ne se serait pas récusée au moment de se prononcer sur une nomination. La dernière requête en date remonte à mardi passé : enquêter sur le fait que la biographie de Justin Trudeau a été publiée par une maison d’édition chinoise en 2016 – le SCRS a simultanément reçu une requête similaire.

De leur côté, les libéraux ont écrit le 8 septembre dernier à Yves Côté, commissaire aux élections, pour savoir si la présence de Fred DeLorey, qui a été lobbyiste d’un groupe de défense des propriétaires d’armes à feu, comme directeur de la campagne conservatrice contrevenait à la loi.

Le NPD et le Bloc s’abstiennent

Dans le camp néo-démocrate, on n’a pas entrepris de démarches de cet ordre – exception faite de cette lettre qu’une députée sortante a écrite à Justin Trudeau pour lui demander d’ouvrir une enquête sur Raj Saini, candidat visé par des allégations de harcèlement qui a finalement renoncé à se présenter sous la bannière libérale.

Le Bloc québécois, quant à lui, n’a « pas demandé d’enquête sur des candidats », a écrit un porte-parole, Julien Coulombe-Bonnafous. « Tout ce que nous avons fait qui puisse s’y apparenter, c’est proposer à nouveau la création d’un comité transpartisan chargé de recommander un processus neutre et impartial de nomination des juges en marge des allégations contre Diane Lebouthillier », a-t-il précisé.

Chez le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, on a plaidé la neutralité quand est venu le temps de répondre aux questions de La Presse sur ces demandes d’enquête qui ont échoué sur le bureau de l’agent du Parlement alors que la campagne électorale était en cours.

« Le commissaire Dion applique la Loi et le Code de manière non partisane et ne tient donc pas compte de l’éventuelle affiliation politique d’un plaignant », a écrit Melanie Rushworth, responsable des relations avec les médias.

« En vertu de la Loi, les sénatrices ou sénateurs et les députées ou députés qui ont des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention à la Loi peuvent demander à la ou au commissaire d’étudier la question », a-t-elle ajouté.

Le commissaire n’est pas tenu d’ouvrir une enquête s’il juge que la situation ne l’exige pas.

Lancer de la boue, pas si payant

En revanche, l’ancien stratège conservateur Yan Plante ne s’est pas privé de critiquer la manœuvre partisane.

Plusieurs sondages au fil des années ont démontré qu’environ 80 % de la population ne fait pas instinctivement confiance aux politiciens. En agissant ainsi, les partis ne font qu’alimenter la mauvaise perception du public à l’égard de l’ensemble des politiciens et des partis.

Yan Plante, ancien stratège conservateur

Quant à savoir si les attaques rapportent des dividendes, l’ancien chef de cabinet du ministre conservateur Denis Lebel, qui est maintenant vice-président à l’agence de relations publiques TACT, en doute fortement.

« La raison est simple : la population n’a pas vraiment plus confiance en celui qui lance la boue qu’en celui qui la reçoit. Autrement dit, sauf dans des cas extrêmes comme le scandale des commandites dont tout le monde se souvient, il y a rarement des transferts de votes avec de telles manœuvres, à mon avis », analyse M. Plante.

Sans vouloir commenter les demandes d’enquête formulées depuis le coup d’envoi de la campagne, il explique que si les partis y ont recours, c’est parce que c’est « généralement une simple tactique pour amplifier une perception qu’on tente d’installer à l’égard d’un adversaire, ou encore une façon d’essayer de faire dérailler la journée de campagne de celui-ci parce qu’il se fera demander ce qu’il pense de cette demande ».