(Ottawa) Au centre d’une controverse depuis jeudi soir pour une question jugée anti-Québec, la Commission des débats des chefs est critiquée de toutes parts : le bloquiste Yves-François Blanchet remet en question son existence.

Il reconnaît toutefois qu’il est peut-être gagnant dans cette controverse et qu’il y a peut-être un « effet » dans la campagne actuelle.

En bravade, il invite même ses adversaires à se regrouper pour faire une publicité non-partisane contre le « Québec bashing ».

La commission a été créée pour mettre fin aux machinations des partis visant à contrôler comment, quand, sur quels sujets et avec qui les chefs débattraient pendant les campagnes électorales.

Choqué par la fameuse question qu’il jugeait biaisée jeudi soir, Yves-François Blanchet suggère de se débarrasser de la commission.

Il a cité en exemple le débat de la semaine précédente en français, organisé par TVA, qui a obtenu de tout aussi bonnes cotes d’écoute.

« Il n’était en aucune façon moins pertinent que la drôle de patente organisée jeudi soir », a-t-il commenté en conférence de presse samedi matin à Sherbrooke.

« C’est quoi cette patente qui dit que le premier ministre doit s’inventer un cossin pour organiser des débats à la place de ceux dont c’est le métier. »

Capital de sympathie

Même s’il se plaint du débat, le chef bloquiste a gagné un capital de sympathie au Québec dont il a profité. Ses adversaires l’ont même appuyé dans son indignation.

« C’est sûr que… peut-être que cela a un effet », a-t-il dit en conférence de presse à Granby vers midi.

Des passants croisés à Magog samedi matin lui ont parlé de cet épisode du débat avec indignation et lui ont manifesté leur appui.

« Jeudi soir, particulièrement, mon Dieu qu’on vous a aimé », lui a lancé une femme devant le marché public de Granby.

Tous les chefs autant sur la scène fédérale qu’à l’Assemblée nationale ont dénoncé la question posée par la modératrice Shachi Kurl au chef bloquiste.

Cinglant, M. Blanchet a invité ses adversaires à faire une publicité ensemble en anglais pour déclarer que « ce n’est pas correct de dire que les Québécois sont xénophobes ou racistes ».

Mme Kurl est accusée d’avoir posé une question biaisée en évoquant la loi « discriminatoire » du Québec sur la laïcité – qui interdit à certains fonctionnaires de porter des symboles ou des vêtements religieux au travail – et sur un projet de loi visant à renforcer le rôle du français dans la province.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

La modératrice Shachi Kurl pose devant les chefs avant le débat en anglais de jeudi soir.

« On m’a posé une question odieuse, on m’a injurié », a insisté M. Blanchet, en protestant aussi contre le fait qu’on ait entendu son commentaire à Erin O’Toole après la conclusion du débat sur le plateau : « Ça te prend un chien de garde et le chien de garde c’est le Bloc. »

Le Bloc concédait-il ainsi la victoire aux conservateurs aux élections, mais minoritaires ?

« Je fais une blague à Erin (O’Toole) et ça se retrouve dans le point de presse. Je n’aurais pas dû répondre à ça, des conversations privées ne devraient pas être utilisées dans un point de presse. »

Règles du débat

La commission a établi les critères de participation au débat en anglais de jeudi et au débat en français de mercredi, ce qui a entraîné l’exclusion du chef du Parti populaire de Maxime Bernier.

Mais elle a confié l’essentiel de la responsabilité de produire les débats aux consortiums de réseaux. Pour le débat en anglais, le consortium comprenait CBC News, CTV News, APTN News et Global News.

Dans un communiqué publié vendredi, le consortium a déclaré qu’il « sélectionne le modérateur et les journalistes participants, qui jouissent d’une indépendance journalistique et éditoriale complète par rapport à la Commission des débats des chefs ».

La commission a confirmé qu’elle n’était pas impliquée dans le choix des thèmes, des questions ou du modérateur.

Et c’est là le problème, selon Elly Alboim, ancien chef du bureau parlementaire de la CBC qui a participé à la production de débats électoraux de 1977 à 1993 et a depuis aidé divers chefs libéraux provinciaux et fédéraux à s’y préparer.

« La commission semble avoir accepté les conseils de celui qui produit la chose pour en faire une émission télévisée », a déclaré Elly Alboim dans une interview.

Il a déclaré que les réseaux sont « intéressés à maintenir l’audience, en fournissant une sorte de télévision intéressante et au rythme rapide » et que les journalistes impliqués « agissent sur une impulsion journalistique : qu’est-ce qui fait l’actualité ? Comment tenir les chefs responsables ? Comment signalons-nous quand ils sont incohérents ? Comment expliquons-nous au public quels sont leurs raccourcis ? »

Mais ce n’est pas ce que devrait être un débat électoral, a soutenu Elly Alboim.

« Il doit s’agir des dirigeants des partis qui demandent des comptes, expliquent leurs programmes et font appel à leurs électeurs. Ils n’ont pas besoin de l’intermédiaire des journalistes », a-t-il déclaré.

Elly Alboim a déclaré que le format de jeudi ne laissait qu’un temps « minuscule » aux chefs pour discuter sérieusement d’un problème ou faire avancer leurs politiques.

Mais, à son avis, le fait qu’il ne laissait souvent pas le temps à un leader de réfuter une attaque directe d’un rival était inexcusable.

« Ne pas comprendre que vous avez créé un format où les gens peuvent lancer des accusations en l’air et n’obtenir aucune réponse ou aucune réfutation est un manquement au devoir », a déclaré Elly Alboim.