La Presse a demandé l’avis de trois experts à la suite du débat télévisé en anglais. Voici leur analyse.

Qui est le gagnant et pourquoi ?

Frédéric Boily, vice-doyen et professeur de science politique au campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta

Erin O’Toole est plus à l’aise en anglais et il a été en mesure d’entrer davantage dans les détails de son programme. Par conséquent, il a paru plus en contrôle que lors du débat en français et a gagné en crédibilité. Cependant, il est revenu trop souvent sur son « plan ». Jagmeet Singh a continué de critiquer Justin Trudeau sur le climat ou encore sur le coût de la vie, en étant un peu en retrait, mais concentré sur son message. M. Singh a adopté un style de communication différent, plus intime. Cela pourrait être électoralement payant, afin de maintenir les intentions de vote autour de 20 %. Annamie Paul a rectifié le tir et s’est montrée plus convaincante que lors du débat en français. Dès le départ, elle a attaqué Justin Trudeau sur la question du féminisme et celle du climat. Elle a aussi attaqué le chef néo-démocrate. Mais cela risque d’être insuffisant.

Peter Graefe, professeur agrégé au département de science politique de l’Université McMaster

M. Trudeau. Le premier ministre sort presque toujours gagnant d’un débat, car il se pose en chef d’État face à de simples chefs de parti. Mais c’était une mince victoire, car il n’a pas réussi à remettre en question l’image d’homme modéré que M. O’Toole a projetée. Ses tentatives de se positionner comme le réel progressiste face à l’amateurisme du NPD lui ont sans doute permis de marquer des points auprès des téléspectateurs d’un certain âge, mais ont dû paraître très hautaines aux plus jeunes.

Mireille Lalancette, professeure titulaire de communication politique à l’Université du Québec à Trois-Rivières

Justin Trudeau a réussi à défendre son bilan en utilisant des chiffres et des exemples concrets. Il s’est montré combatif et confiant. Même s’il était au centre des attaques parce qu’il était le seul à avoir un bilan à défendre, il a su rester calme. Ce ne sera peut-être pas suffisant pour « sauver les meubles », mais on peut dire qu’il se sera battu jusqu’au bout. Annamie Paul était la plus authentique et la plus constructive. Elle a plaidé pour la diversité et pour une modification des pratiques politiques. Il est dommage que le système politique actuel ne permette pas une plus grande diversité des perspectives et des partis politiques.

Qui est le perdant ? Pourquoi ?

Frédéric Boily, vice-doyen et professeur de science politique au campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta

Justin Trudeau a dû se défendre de nouveau sur la raison du déclenchement des élections. Il a toutefois mal paru sur la question du leadership. C’était à prévoir, la crise afghane ayant été au cœur des débats au Canada anglais. Il blâme Harper après six ans, ce qui n’est plus un argument fort. Il a eu du mal à se défendre des critiques combinées de Jagmeet Singh et d’Erin O’Toole et était parfois indiscipliné. Yves-François Blanchet a semblé déstabilisé par la première question au sujet du racisme systémique et de la Loi sur la laïcité de l’État, qui était un peu injuste. Il a été plus effacé et a mal paru sur les questions concernant le coût de la vie.

Peter Graefe, professeur agrégé au département de science politique de l’Université McMaster

Mme Paul. Avec ses problèmes financiers et organisationnels, ce débat représentait la meilleure occasion de présenter le Parti vert au public canadien. Mme Paul a soulevé beaucoup d’idées intéressantes, mais a dévoilé peu du programme du parti et n’a jamais expliqué pourquoi on aurait intérêt à l’appuyer. Une partie de son électorat de 2019 va donc rester avec le NPD et les libéraux, et il est fort probable que son parti terminera sixième, derrière le Parti populaire de Maxime Bernier.

Mireille Lalancette, professeure titulaire de communication politique à l’Université du Québec à Trois-Rivières

Même s’il débattait dans sa langue maternelle, Erin O’Toole n’a pas su préciser son fameux « plan ». Il est encore resté dans des explications floues sur les manières dont ce plan serait mis en action. Il a répété les mêmes lignes que lors des deux autres débats. Jagmeet Singh s’est moins démarqué que lors des débats en français. Il est resté en mode attaque. Il a constamment critiqué Justin Trudeau, sans pour autant mettre en valeur la plateforme de son parti. Il aurait gagné à prendre ce temps précieux pour promouvoir ses idées et se présenter comme une solution de rechange à Trudeau et O’Toole.

Quelle influence le débat aura-t-il sur les électeurs ?

Frédéric Boily, vice-doyen et professeur de science politique au campus Saint-Jean de l’Université d’Alberta

Comme l’élection est serrée et que l’on votera dans peu de temps, il se pourrait que même si le débat fait peu bouger les intentions de vote, cela produise tout de même des effets importants. Ce pourrait être le cas dans certaines régions précises, comme les villes de banlieue ontariennes pour les conservateurs ou la Colombie-Britannique pour les néo-démocrates.

Peter Graefe, professeur agrégé au département de science politique de l’Université McMaster à Hamilton

En fin de compte, le débat semble avoir cimenté les intentions de vote actuelles. Il n’y a pas eu de nouveaux doutes autour du programme de M. O’Toole, et on ne s’attend donc pas une chute de ses appuis, comme après le Face-à-Face du 2 septembre. M. Trudeau va sans doute aller chercher des votes dans le camp du NPD, mais M. Singh a posé les jalons d’une contre-attaque autour du manque de réalisations tangibles après les six ans au pouvoir du gouvernement Trudeau. Le Parti vert n’aura pas de nouvelle envolée. Ce sera une course très serrée jusqu’au 20 septembre.

Mireille Lalancette, professeure titulaire en communication politique à l’Université du Québec à Trois-Rivières

Les questions posées par les journalistes et l’animatrice, toutes des femmes fortes et brillantes, étaient vraiment centrées sur les plateformes des partis et leurs promesses. Elles ont su exiger des explications à ces politiciens qui restent malgré tout très centrés sur leurs formules. Néanmoins, le débat était très cacophonique lorsque les chefs et les journalistes se coupaient la parole. À la fin de ce débat, les électeurs ont pu constater que les chefs restaient systématiquement sur leurs positions et avaient parfois des difficultés à expliquer leurs politiques clairement. Ils sont malheureusement restés trop en surface et encore trop dans l’attaque les uns des autres.