(Québec) Le premier ministre du Québec, François Legault, penche pour un gouvernement conservateur minoritaire à Ottawa et appelle les nationalistes québécois à se méfier de Justin Trudeau, dont le programme est « dangereux », comme ceux du Nouveau Parti démocratique et du Parti vert.

François Legault s’est livré jeudi à une deuxième intervention dans la campagne électorale fédérale, plus fracassante encore que la précédente. Sa sortie, inusitée de la part d’un premier ministre du Québec, a rapidement été récupérée sur les réseaux sociaux par le camp conservateur. Elle a été dénoncée par les partis de l’opposition à l’Assemblée nationale.

Pour François Legault, « les Québécois qui sont nationalistes, qui tiennent à ce que la nation québécoise ait plus de pouvoirs, doivent se méfier de trois partis : le Parti libéral, le NPD et le Parti vert ». Et les intentions de Justin Trudeau en particulier, « ça me fait peur », a-t-il lancé.

Quant à Erin O’Toole, « son approche » est « bonne » pour la nation québécoise, a-t-il soutenu, même s’il reproche au chef conservateur de vouloir déchirer l’entente sur les services de garde qui prévoit un transfert sans condition de 6 milliards de dollars au Québec.

Tout bien considéré, François Legault conclut qu’il serait « plus facile » de négocier avec M. O’Toole comme premier ministre à Ottawa, en particulier pour rapatrier des pouvoirs.

« Dans le contexte actuel, étant donné qu’aucun parti ne répond à tous nos besoins, on est obligé de dire que pour la nation québécoise, ce serait mieux » que le prochain gouvernement soit minoritaire, a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse, en marge d’une réunion de son caucus pour préparer la rentrée de l’Assemblée nationale, le 14 septembre. Il a fait sa sortie au lendemain du débat des chefs en français et juste avant le débat en anglais.

« Je trouve ça très inquiétant de voir trois partis – le Parti libéral, le NPD et le Parti vert – qui non seulement ne sont pas ouverts à donner plus d’autonomie au Québec, mais veulent centraliser, s’approprier des pouvoirs qui sont clairement de la compétence des provinces », par exemple dans le domaine de la santé.

Trois partis veulent nous donner moins d’autonomie, je trouve ça dangereux.

François Legault, premier ministre, en parlant du Parti libéral, du NPD et du Parti vert

Il leur reproche également de ne pas s’être montrés ouverts à transférer au Québec des pouvoirs en matière d’immigration. « J’ai entendu M. Trudeau dire qu’il n’exclut pas de participer à des recours contre la loi 21. Or il y a un grand consensus dans la nation québécoise qui veut interdire les signes religieux pour les personnes en autorité. M. Trudeau ne respecte pas ça. Je trouve ça inquiétant », a-t-il ajouté, accusant même le chef libéral de vouloir « détruire » la Loi sur la laïcité de l’État.

« Le Parti conservateur a été clair  »

François Legault a un reproche à faire à Erin O’Toole : « Il est en train de penser à annuler notre entente de 6 milliards sur les garderies, a-t-il dit. Je pense qu’il doit s’expliquer. »

Mais pour le reste, il voit d’un très bon œil plusieurs promesses du chef conservateur.

« Le Parti conservateur a été clair : ils veulent augmenter les transferts en santé sans condition, ils veulent transférer des pouvoirs en immigration. M. O’Toole prend l’engagement de ne pas participer à une contestation de la loi 21. Pour la nation québécoise, c’est une bonne approche, l’approche de M. O’Toole », a-t-il soutenu.

Il a ajouté qu’Erin O’Toole est le seul chef à vouloir financer 40 % du projet de tunnel Québec-Lévis dont la facture est estimée à environ 10 milliards. Ce dernier engagement représente « un montant important », a souligné M. Legault. Il a tout de même rappelé par la suite que le chef conservateur veut « nous priver de 6 milliards sans condition », ce qui « n’est pas rien ».

Lorsqu’on lui rappelle que M. O’Toole répond en partie seulement à sa demande au sujet des transferts en santé, François Legault convient que son engagement « n’est pas suffisant », mais il s’empresse de souligner à grands traits que M. Trudeau se contente de dire qu’il veut « discuter » de transferts avec les provinces et « propose des programmes ciblés où il s’ingère dans les compétences des provinces ». « Ça, ça me fait peur ! », a-t-il lancé.

M. Trudeau a une approche où il veut se mêler de santé, ne pas nous donner de pouvoirs en immigration alors que c’est important pour défendre notre identité, notre nation, il n’exclut pas de s’opposer à la loi 21. C’est très inquiétant pour tous les Québécois qui sont nationalistes.

François Legault, premier ministre

François Legault fait valoir que M. Trudeau a tort de dire que l’entente sur les services de garde permettra de créer 37 000 nouvelles places, puisque l’accord prévoit un transfert d’argent sans condition. Québec peut utiliser les 6 milliards comme bon lui semble, a insisté M. Legault, tout en disant que son gouvernement s’était déjà engagé à créer des places avant la conclusion de cette entente.

Dans son allocution, il n’a pas dit un mot sur le Bloc québécois.

Le 26 août, au moment de présenter sa liste de demandes aux chefs fédéraux, François Legault avait lancé des fleurs à Erin O’Toole pour son engagement à augmenter les transferts en santé. Il envoyait le pot à Justin Trudeau et à Jagmeet Singh, leur reprochant d’empiéter sur les champs de compétence du Québec avec leurs promesses en santé. Là encore, il était demeuré muet au sujet de la formation d’Yves-François Blanchet.

« Assez paternaliste », accuse Anglade

La cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade, a accusé le premier ministre d’avoir « une approche qui est assez paternaliste » en disant aux Québécois « comment voter » aux élections fédérales. Elle reproche à François Legault d’avoir « abdiqué » et d’accepter « de déchirer l’entente de 6 milliards » pour les services de garde.

« En faisant ce qu’il a fait, il est en train de cautionner qu’on n’aurait pas un 6 milliards en transfert. Je pense que c’est grave parce que c’est laisser tomber les familles du Québec », a-t-elle tonné lors d’un point de presse mettant fin au caucus présessionnel de sa formation politique, à Orford.

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Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

Je pense que les Québécois sont parfaitement capables de prendre leur décision eux-mêmes, on n’a pas besoin de leur dire pour qui voter.

Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

Selon Québec solidaire, François Legault fait la démonstration qu’il préfère « son » tunnel Québec-Lévis aux CPE.

« Ce que François Legault a fait est extraordinaire. Il a annoncé qu’il appuyait le parti qui veut déchirer le chèque de 6 milliards dont les familles du Québec ont besoin pour avoir une place en CPE », s’est indigné Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire, en marge du caucus de son parti qui s’est terminé jeudi, à Sherbrooke.

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Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire, et Manon Massé, co-porte-parole de la formation

« Tout ça parce que M. O’Toole lui a promis un autre chèque pour financer son troisième lien. Ce que ça veut dire, c’est que M. Legault préfère le troisième lien aux CPE », a-t-il poursuivi. Il n’a pas voulu se prononcer sur le parti fédéral qui servirait le mieux les intérêts du Québec.

Selon le chef parlementaire de Québec solidaire, François Legault a révélé la « vraie nature de sa vision pour le Québec » en appuyant le Parti conservateur. « Quand je dis qu’on n’a pas la même vision pour le Québec, c’est exactement ça ! », a-t-il ajouté.