C’était l’une des cartes les plus attendues sur la scène fédérale : le chef libéral Justin Trudeau a dévoilé mercredi matin la plateforme électorale de son parti. Son parti prévoit dépenser trois fois plus qu’il ne générera de revenus dans les cinq prochaines années.

S’il est réélu le 20 septembre, son gouvernement compte dépenser pas moins de 78 milliards d’ici l’année fiscale 2025-2026, à travers une série de programmes, alors qu’il prévoit engendrer 25 milliards en « nouvelles recettes », notamment en surtaxant les banques et compagnies d’assurance de 3 % et en imposant un « impôt minimal » pour les plus riches.

En se montrant peu inquiet par cet écart, M. Trudeau a indiqué en conférence de presse que « le Canada est entré dans cette crise avec une des meilleures positions fiscales de tous les pays du G7 ». « On voit que même avec les investissements ambitieux qu’on est en train de mettre de l’avant, notre dette comme proportion de la taille de notre économie continue à diminuer, encore plus rapidement que ce qu’on avait prévu », a martelé M. Trudeau mercredi matin à Toronto, en parlant d’un plan « responsable et prudent ».

C’est important d’être fiscalement responsable, de vivre selon nos moyens. Mais c’est aussi important de faire les bons investissements pour que les générations futures puissent prospérer encore plus.

Justin Trudeau, chef du Parti libéral

Dans leur plateforme, la dernière des partis à être présentée, les libéraux précisent que le ratio dette-PIB du Canada « est à présent inférieur de cinq points de pourcentage aux prévisions du budget fédéral d’avril ». « Notre plan utilise environ la moitié de la marge de manœuvre créée par ces cinq points de pourcentage, incluant la marge de prudence, pour investir dans les gens et les communautés, tout en préservant son pouvoir financier pour de futures crises », y lit-on.

Le document d’une centaine de pages reprend une série de promesses qu’a déjà faites M. Trudeau pendant la campagne, dont la construction de 1,4 million de logements, l’embauche de 7500 médecins et infirmières et un nouveau transfert fédéral en santé mentale. Les libéraux réitèrent aussi leur volonté de rendre la vaccination obligatoire dans la fonction publique et d’allonger 1 milliard pour les provinces implantant un passeport vaccinal. La plateforme reste toutefois floue sur les progrès concernant l’assurance-médicaments universelle, une promesse libérale de 2019.

Sur la crise en Afghanistan, les libéraux promettent de faire venir 40 000 Afghans au pays d’ici 2022-2023, plutôt que les 20 000 annoncés. C’est plus que la promesse pour les Syriens en 2015 (25 000), et avec une échéance moins serrée.

Les libéraux promettent également d’établir des règlements, en vertu de la Loi canadienne sur la santé, pour s’assurer de l’accessibilité de l’avortement partout au pays. Ils prévoient sévir contre les provinces qui ne respecteraient pas cette norme – avec des pénalités automatiques appliquées aux transferts en santé – et allonger 10 millions à Santé Canada pour un portail sur des informations fiables à propos de l’interruption de grossesse. Toujours dans le thème de la santé des femmes, les libéraux s’engagent à fournir des tampons et des serviettes hygiéniques gratuitement dans les milieux de travail sous réglementation fédérale.

Des nouveautés, des projets de loi de retour

Reste que des nouveautés s’ajoutent : un gouvernement libéral réélu s’engage notamment à déposer un projet de loi « pour s’assurer que toutes les entreprises et les organisations qui décident d’exiger une preuve de vaccination de leurs employés et clients puissent le faire sans crainte d’une contestation judiciaire ».

En matière d’emploi, l’équipe de Justin Trudeau compte aussi créer un crédit d’impôt de 1650 $ pour la prolongation de la carrière, « afin que des aînés qui souhaitent rester dans la population active puissent le faire ». « Le crédit d’impôt permettrait aux personnes de 65 ans et plus gagnant un revenu de travail de réduire leurs impôts. Les aînés qui gagnent au moins 5000 $ au travail pourront éliminer l’impôt payable sur une partie de leur revenu et recevront un crédit d’impôt pouvant atteindre 1650 $ », explique-t-on dans ladite plateforme, rendue publique sur le site du Parti libéral.

Côté environnement, les libéraux promettent aussi d’éliminer les subventions à l’industrie des combustibles fossiles d’ici 2023, soit deux ans plus tôt qu’initialement, et à adopter d’ici le printemps 2022 un « étiquetage obligatoire des produits chimiques dans les produits de consommation ».

M. Trudeau promet de déposer de nouveau, dans les 100 premiers jours d’un nouveau mandat, de nombreux projets de loi qui sont morts au feuilleton avec le déclenchement de la campagne électorale. Parmi eux, on compte le projet de loi pour réformer la Loi sur la radiodiffusion, qui avait été vertement critiquée par les conservateurs, et le projet de loi sur le contenu haineux en ligne. Un gouvernement libéral réélu promet de faire adopter, en 100 jours, le projet de loi sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Son parti compte aussi déposer, dans les 100 premiers jours d’un autre mandat, un projet de loi qui obligerait les plateformes numériques tirant des revenus des sites de nouvelles à payer pour le contenu des médias, à l’instar de la législation australienne qui s’est attiré les foudres de Facebook.

Les libéraux estiment que leurs investissements dans les infrastructures sociales permettront une croissance économique durable. On compte donc 30 milliards pour le système de garderies, déjà prévus dans le dernier budget, et quelque 25 milliards sur cinq ans annoncés en santé pendant la campagne électorale.

En outre, le plan libéral pour le logement et l’accès à la propriété, qui a été présenté la semaine dernière, est estimé à près de 15 milliards sur cinq ans selon la plateforme. On espère ainsi améliorer l’accès à la propriété avec des incitatifs fiscaux et aider les municipalités à accélérer la construction d’habitations pour lutter contre la crise du logement.

Ils ont dit

Les Canadiens et les Québécois méritent mieux qu’un gouvernement avec des promesses recyclées. Ils méritent un plan pour leur avenir, nos emplois et notre économie. C’est notre approche.

Erin O’Toole, chef des conservateurs

Ce qui me dérange, c’est la légèreté. Tu ne peux pas dire : on a été tellement bons qu’on n’a plus besoin de faire attention à l’endettement. […] Ça me semble irresponsable et ça envoie un message inquiétant pour les contribuables.

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois, sur le crédit d’impôt pour la prolongation de la carrière

Le problème reste le même : Justin Trudeau fait des promesses sans garantir des actions concrètes. Et c’est souvent le cas. Il ne livre pas la marchandise.

. Jagmeet Singh, chef du NPD

Avec La Presse Canadienne