(Québec) Justin Trudeau ne partage pas l’enthousiasme des conservateurs au sujet du troisième lien. De passage dans la capitale nationale jeudi, le chef libéral s’est dit inquiet de l’« acceptabilité sociale » du tunnel Québec-Lévis, notamment en matière d’environnement.

Le député libéral sortant de Québec s’est lui aussi montré préoccupé par ce projet, qui va entraîner la création de deux sorties autoroutières dans des quartiers centraux de la capitale.

« Dans ma circonscription, il y a des gens qui s’inquiètent beaucoup. Dans les quartiers Saint-Jean-Baptiste, Vieux-Québec, Saint-Roch, Saint-Sauveur, Limoilou et Vanier, les gens savent c’est quoi, des autoroutes qui passent à travers leur milieu de vie », a lancé Jean-Yves Duclos, qui cherche à se faire élire pour la troisième fois.

« J’entends leurs préoccupations. Je suis député de Québec et j’ai besoin de les refléter », a-t-il ajouté.

Son chef a aussi soufflé le chaud et le froid au sujet de ce projet phare du gouvernement de la CAQ dans la région de la Capitale-Nationale.

« Le troisième lien est un projet entièrement nouveau, nous avons des préoccupations environnementales, des inquiétudes sur l’acceptabilité sociale pour ce projet », a affirmé Justin Trudeau, de passage à Québec pour une annonce sur la bonification du Supplément de revenu garanti pour les personnes de 65 ans et plus.

Un calcul politique ?

Les libéraux se disent encore ouverts à un financement partiel du tunnel de 8,3 kilomètres que veut construire la CAQ entre Québec et Lévis. Mais ils se sont montrés jeudi plus critiques que jamais dans leurs déclarations.

Ces commentaires des libéraux ne sont pas anodins, selon Thierry Giasson, chercheur principal au Groupe de recherche en communication politique de l’Université Laval.

Selon lui, les libéraux fédéraux tentent de conserver leurs deux circonscriptions de la région – Québec et Louis-Hébert – et de faire un gain dans Beauport–Limoilou, où avait d’ailleurs lieu l’annonce libérale. Cette circonscription avait été remportée par le Bloc québécois en 2019.

« Là, on a un projet, disons pharaonique, qui polarise la ville. Ça crée deux clans : les résidants de la ville centrale qui vont possiblement devoir composer avec l’arrivée de ce tunnel, avec plus de transport routier, et puis les gens des couronnes, surtout la couronne sud, qui disent que c’est un projet intéressant pour eux », analyse M. Giasson.

Ce clivage entre ville et périphérie pourrait selon lui expliquer la position prudente des libéraux dans le dossier du troisième lien. « Les deux circonscriptions libérales sont plus proches du centre de la ville. On comprend un peu le positionnement plus discret, moins affirmé du Parti libéral », estime-t-il.

La question de ce futur tunnel autoroutier continue de planer sur la campagne fédérale. Le tunnel Québec-Lévis – aussi appelé troisième lien – doit être l’un des plus larges au monde, avec un diamètre de 19,4 mètres.

Le Parti conservateur et le Bloc québécois se sont déclarés favorables à un financement fédéral à hauteur de 40 % du projet, comme le demande le premier ministre du Québec. La facture totale pourrait frôler les 10 milliards.

Le Bloc est aussi favorable à un financement fédéral. Le Nouveau Parti démocratique (NPD), lui, s’y oppose pour des raisons avant tout environnementales. Des experts en transport et en urbanisme ont déjà dénoncé ce projet qui pourrait accroître la circulation automobile et l’étalement urbain.

Le Parti libéral est beaucoup plus vague. Il dit vouloir attendre que Québec peaufine son projet. Il pourrait alors se montrer ouvert au financement de la portion qui concerne le transport en commun. Deux des six voies autoroutières devraient être réservées à temps partiel aux autobus.

Pas comparable au tunnel George-Massey

Mais mercredi, le chef libéral a déclaré sur les ondes de CKNW à Vancouver qu’un gouvernement libéral se devait d’être « partenaire » de la réfection du tunnel George-Massey, en Colombie-Britannique.

Le gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique propose d’agrandir ce tunnel au coût de 4,15 milliards de dollars. L’ouvrage passerait de quatre à huit voies. Deux d’entre elles seraient réservées aux autobus.

Le tunnel de 629 mètres traverse le fleuve Fraser, dans les banlieues au sud de Vancouver. L’ouvrage remodelé doit compter de l’espace pour les cyclistes et les piétons.

Justin Trudeau s’est défendu jeudi à Québec de tenir un double discours et de favoriser un projet de tunnel dans l’Ouest.

« Le tunnel Massey est un tunnel qui existe depuis très longtemps, qui arrive à la fin de sa vie, fait face à des questions de sécurité. On va être partenaire comme on a été partenaire pour la réfection du tunnel La Fontaine, du nouveau pont Champlain », a dit le chef libéral. « Le troisième lien, c’est un nouveau projet », a-t-il ajouté.

Les libéraux rappellent qu’ils n’ont pas hésité à investir 428 millions pour la réfection du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine à Montréal, un projet de 1,142 milliard.

Les explications de Justin Trudeau n’ont pas paru convaincre François Legault. Lors d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale pour présenter les demandes du Québec aux partis fédéraux, il a réitéré sa demande en faveur du troisième lien.

« J’ai vu un chef de parti promettre à Vancouver de l’argent fédéral pour agrandir un tunnel routier. Je ne vois pas pourquoi les partis fédéraux ne s’engageraient pas à financer 40 % du tunnel Québec-Lévis », a dit le premier ministre du Québec.

Pour François Legault, le fait que le tunnel George-Massey existe déjà n’est pas important. « Ce sont deux projets semblables, on parle d’agrandir de façon importante un tunnel. Donc on ajoute des voies pour les autos. Nous, on a déjà deux ponts, on ajoute un tunnel », a-t-il dit.

Puis, en guise d’avertissement, il a lancé : « Je demande aux Québécois, surtout les Québécois de la région de Québec, d’écouter attentivement les réponses des chefs fédéraux sur cet enjeu important. »