La campagne fédérale est encore très jeune, mais après six jours, les chefs montrent déjà certaines de leurs priorités. Où ont-ils passé le plus de temps ? Quelles circonscriptions ont été visées ? Et à quoi peut-on s’attendre pour la suite ? Pour répondre à ces questions, La Presse a compulsé les itinéraires des chefs relayés quotidiennement par les différents partis politiques. Depuis dimanche, des dizaines d’évènements se sont tenus dans plus d’une quarantaine de circonscriptions au pays.

Trudeau et les compétences

Pour l’heure, Justin Trudeau a visité 6 des 10 provinces canadiennes. Il semble avoir concentré sa campagne dans des circonscriptions conservatrices, où sept de ses activités se sont tenues dans la semaine. Au Québec, mis à part sa circonscription de Papineau, le chef libéral a visité deux circonscriptions bloquistes, soit Longueuil–Saint-Hubert et Thérèse-De Blainville. En promettant jeudi d’investir 6 milliards supplémentaires pour établir des normes nationales en matière de soins de longue durée, Justin Trudeau a d’ailleurs relancé le débat de compétence avec les provinces et les territoires. Si Ottawa ne compte pas « microgérer » ses homologues, l’annonce s’accompagnait néanmoins de conditions, dont la formation de 50 000 nouveaux préposés aux bénéficiaires. Les provinces avaient pourtant demandé quelques jours avant de faire passer la proportion du financement fédéral en santé de 22 % à 35 %, soit 28 milliards. Un souhait qui ne risque pas d’être exaucé selon Olivier Jacques, professeur adjoint au département de gestion, d’évaluation et de politiques de santé de l’Université de Montréal.

Dans plusieurs provinces, les normes comme les 25 $ l’heure risquent d’être faciles à atteindre, donc les libéraux se gardent aussi une porte de sortie. Au fond, accorder des transferts en santé, ce n’est pas particulièrement payant pour un gouvernement fédéral qui veut montrer sa capacité d’intervention en pleine campagne.

Olivier Jacques, professeur adjoint au département de gestion, d’évaluation et de politiques de santé de l’Université de Montréal

Les conservateurs et l’avortement

Le chef conservateur Erin O’Toole, lui, a surtout visité des circonscriptions libérales en Ontario. Cela dit, il a aussi visité deux circonscriptions dans la région de Québec, où il tente de faire des gains comme dans plusieurs autres secteurs. Cette semaine, M. O’Toole s’est mis les pieds dans les plats en abordant la question de l’avortement, qui divise au sein de son parti. Après s’être ouvertement dit pro-choix, il a dû s’expliquer sur la volonté annoncée de son parti de protéger le « droit de conscience » des professionnels de la santé, pour faire en sorte que les médecins et les infirmières n’aient pas l’obligation d’orienter les patients qui en font la demande vers des services comme l’avortement. Vendredi, après avoir été critiqué de tous les côtés, M. O’Toole est finalement revenu sur sa position, en soutenant que les médecins et les infirmières seraient obligés d’adresser à des collègues les patients qui veulent l’aide médicale à mourir ou un avortement, malgré ce que leur dicte leur conscience. En vérité, M. O’Toole cherche à concilier deux éléments irréconciliables : l’attrait de son parti dans l’espace public et le soutien crucial des conservateurs sociaux, qui ont déjà pris position pour la protection du droit de conscience. « Il est un peu pris entre l’arbre et l’écorce, résume la politologue Stéphanie Chouinard, de l’Université Queen’s. Comme député, Erin O’Toole était pro-choix, mais pour obtenir la chefferie, il a un peu vendu son âme au diable en courtisan les conservateurs sociaux. Sauf que maintenant, il a des comptes à rendre. »

Au Bloc, des acquis à conserver

Le chef bloquiste Yves-François Blanchet est celui qui avait le plus grand nombre d’évènements publics à son agenda cette semaine. La plupart de ses annonces étaient d’ailleurs alignées sur les enjeux mis de l’avant par le Québec pendant la pandémie, dont la gestion des frontières et la crise climatique. Mais lorsqu’on regarde les endroits qu’il a visités, on constate qu’il a concentré ses activités dans une dizaine de circonscriptions, pour la plupart libérales. Il n’a visité qu’une seule circonscription que son parti détient déjà, Mirabel, et une circonscription conservatrice, Montmagny–L’Islet–Kamouraska–Rivière-du-Loup. D’après Olivier Jacques, « le Bloc québécois serait probablement satisfait d’obtenir le même nombre de sièges ». « Si les libéraux ne gagnent pas de sièges au Québec, ça devient plus ou moins probable qu’ils forment une majorité. C’est en partie l’objectif de M. Blanchet », dit-il.

L’objectif ardu du NPD

Le chef du Nouveau parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, a visité cinq provinces au total : l’Ontario, la Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan et le Québec. Pour l’heure, il semble avoir concentré ses activités dans des circonscriptions libérales et conservatrices, abordant les thèmes de la taxation des riches, du logement abordable et de l’environnement. M. Singh est toutefois attendu lundi à Montréal. Depuis dimanche dernier, ce sera sa deuxième présence au Québec, où il espère faire des gains, ce qui s’annonce difficile avec la popularité toujours forte du Bloc québécois. Alexandre Boulerice, dans Rosemont, représente le dernier vestige de la vague orange de Jack Layton, survenue il y a 10 ans déjà.

La seule stratégie possible pour M. Singh au Québec, c’est de mettre de l’avant ses candidats et de prendre un peu de recul, parce qu’en tant que personnage politique, il n’est pas très populaire. Il ne résonne pas vraiment auprès de l’électorat québécois. Mais mettre de l’avant ses candidats, surtout en milieu urbain, pourrait s’avérer être une stratégie payante pour lui.

Stéphanie Chouinard, politologue à l’Université Queen’s

Les verts à Toronto, Bernier en Beauce

La cheffe du Parti vert du Canada, Annamie Paul, s’est surtout concentrée sur la circonscription dans laquelle elle tente de se faire élire, celle de Toronto-Centre, détenue par les libéraux. Elle y a fait campagne trois jours de suite. Elle a aussi tenu deux évènements dans d’autres circonscriptions de Toronto, ainsi qu’un évènement avec l’environnementaliste David Suzuki dans Vancouver-Centre lundi dernier. Quant au chef du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier, il a concentré la plupart de ses activités dans la circonscription de Beauce, que les conservateurs lui ont ravie aux dernières élections, mais aussi dans la grande région de Toronto.

Au moins deux chefs ont organisé des évènements virtuels cette semaine : Erin O’Toole en a tenu cinq, et Jagmeet Singh, deux. Deux circonscriptions ont par ailleurs été visitées par plus d’un chef, soit Québec (Bloc et conservateurs) et Vancouver-Centre (libéraux et verts).

Avec Thomas de Lorimier, La Presse, et La Presse Canadienne