Le chef libéral Justin Trudeau a promis jeudi d’investir 6 milliards pour établir des normes nationales dans les soins de longue durée. Sur la forme, l’idée risque toutefois de frustrer plusieurs provinces qui demandent plutôt d’augmenter les transferts fédéraux en santé, pour prendre elles-mêmes les décisions.

« Je n’ai pas l’intention de microgérer les soins de longue durée, qui sont de [compétence] provinciale, mais je pense que nous sommes tous d’accord sur le fait qu’en tant que pays, nous devons faire mieux pour nos aînés », a déclaré le chef libéral en mêlée de presse jeudi, en Colombie-Britannique, dans une maison pour retraités de Victoria. Il a souligné du même coup que la vague de morts survenue dans les centres d’hébergement de longue durée dans la dernière année « ne [pouvait] se reproduire ».

Si les libéraux étaient réélus le 20 septembre, ces 6 milliards s’ajouteraient aux 3 milliards déjà annoncés dans le plus récent budget fédéral. Un gouvernement libéral réélu consacrerait donc au total 9 milliards sur cinq ans aux provinces et aux territoires pour les aider à améliorer le sort des aînés.

Il y a toutefois un « mais », car cet argent est en effet assorti de conditions. Pour y avoir droit, les provinces doivent atteindre des « cibles » ; elles devront notamment former jusqu’à 50 000 nouveaux préposés aux bénéficiaires et augmenter leur salaire de sorte qu’il soit d’au moins 25 $ l’heure ainsi qu’améliorer la qualité des centres de soins de longue durée et hausser le nombre de lits. Ottawa s’attend également à des mesures plus strictes de prévention et de contrôle des infections, dans le cadre d’inspections.

En échange, les libéraux s’engagent à doubler le crédit d’impôt pour l’accessibilité domiciliaire afin de mieux soutenir les aînés qui choisissent de rester à la maison. Ce changement pourrait leur permettre d’obtenir jusqu’à 1500 $ supplémentaires pour rénover leur maison afin de la rendre plus adaptée, par exemple. Toutes ces normes nationales seront inscrites dans le cadre d’une loi sur les soins de longue durée sécuritaires qui viserait à uniformiser les soins aux aînés.

Sur fond de tensions

Le tout survient alors que, mardi, le président du Conseil de la fédération, Brian Pallister, a écrit aux chefs fédéraux pour réclamer d’« augmenter sans délai » la proportion du financement des dépenses fédérales en matière de santé. Il souhaite la faire passer de 22 % à 35 %, ce qui représente environ 28 milliards de dollars. Certaines provinces, dont le Québec, ont déjà exprimé de sérieuses réserves face à l’implication du fédéral dans leur système de soins de longue durée.

Questionné sur les raisons pour lesquelles il n’augmenterait pas plutôt les transferts fédéraux en santé, un enjeu qui fait déjà l’objet de débats entre les bloquistes, les néo-démocrates et les conservateurs, Justin Trudeau est demeuré relativement évasif. « On a démontré qu’on [pouvait] travailler avec les provinces, même avec des provinces avec qui on a des différends. Il n’y a personne à travers le pays qui ne veut pas que nos aînés soient mieux protégés », a-t-il répondu en réitérant que son gouvernement avait signé des ententes avec de nombreuses provinces pour implanter un programme national de garderies à 10 $.

M. Trudeau a aussi convenu que « le Québec et d’autres provinces [avaient] déjà fait beaucoup » pour les soins de longue durée. « Au Québec, par exemple, le premier ministre Legault a augmenté les salaires et formé des milliers de préposés supplémentaires au cours des derniers mois. C’est le genre de mesures qu’il faut continuer de prendre », a soutenu le chef libéral. Rappelons qu’au Québec, les préposés formés par le gouvernement gagnent déjà 26 $ l’heure. Environ 10 000 d’entre eux ont été embauchés dans le cadre du programme de formation du gouvernement lancé pendant la crise.

Dans la dernière année, le premier ministre François Legault s’était d’ailleurs régulièrement opposé avec force à l’idée que le fédéral établisse des normes nationales dans les CHSLD. En octobre 2020, alors que M. Trudeau évoquait le sujet pour la première fois, le chef de la Coalition avenir Québec lui avait reproché de « faire une erreur en proposant des mesures centralisatrices » ou encore de « jouer avec le feu ».

Joint par La Presse jeudi, le cabinet de M. Legault a réitéré que « la santé [était] une compétence exclusive du Québec ». Le premier ministre du Québec présentera d’ailleurs ses demandes officielles aux partis fédéraux « dans les prochains jours », a indiqué l’attaché de presse Ewan Sauves.

Avec La Presse Canadienne