La reconnaissance du parti aux Communes permettra au Bloc québécois de tourner la page sur deux mandats plombés par le doute, racontent des députés.

Yves Perron avoue avoir quelques fois arrêté de respirer, lundi soir.

Pendant des heures, la course en montagnes russes opposant le candidat bloquiste à la néo-démocrate vedette Ruth Ellen Brosseau dans Berthier–Maskinongé a été l’une des plus serrées de la province. M. Perron, qui est aussi président national du Bloc, a finalement dégagé une avance de quelque 1500 voix pour l’emporter.

Or, pendant toute la soirée, ce n’est pas pour valider ses propres appuis qu’il a gardé les yeux rivés sur le téléviseur. Le chiffre magique qu’il cherchait à y voir à tout prix : 12. Ou n’importe quelle valeur plus élevée.

C’est que sous le seuil de 12 députés, un parti n’a pas de reconnaissance à la Chambre des communes. Cette reconnaissance lui confère notamment des privilèges en chambre et l’accès à des comités, mais elle lui assure surtout des ressources financières qu’il pourra consacrer à l’embauche de personnel parlementaire. Au cours des dernières années, le Bloc a dû puiser dans les budgets dévolus aux circonscriptions pour payer ses employés affectés à la recherche et aux communications.

Constatant la récolte de 32 sièges, Yves Perron a donc poussé un grand soupir de soulagement.

Avec seulement 12 élus, on avait déjà gagné, même si j’étais conscient que ça se pouvait que je ne sois pas du nombre.

Yves Perron, député élu de Berthier–Maskinongé

En fait, l’atteinte de cet objectif permet au Bloc de tourner la page sur huit années plombées par les insuccès et les frustrations. Plus d’une fois, l’opinion publique a annoncé la mort du parti souverainiste. Et pour cause.

Doyen de la Chambre des communes, Louis Plamondon assure n’avoir « jamais cessé d’y croire ». Malgré tout, il avoue avoir connu des heures de doute.

« Pendant les six derniers mois avant l’élection de 2015, j’étais seul à Ottawa », rappelle-t-il en entrevue avec La Presse.

M. Plamondon était l’un des quatre derniers rescapés du Bloc après la vague orange de 2011. Ses trois collègues ont toutefois quitté le navire pendant cette législature. Et un nouveau venu, le transfuge Claude Patry, arrivé du NPD, a annoncé un an avant le scrutin qu’il ne se représenterait pas.

« Je me suis demandé : est-ce qu’on va ressusciter un jour ? », admet M. Plamondon, qui était de la première cohorte bloquiste de 1993.

Un mal pour un bien

Rhéal Fortin en est un autre qui, pendant un bon moment, ne voyait pas le Bloc retrouver ses lettres de noblesse.

Élu pour la première fois en 2015, il a claqué la porte du parti avec six de ses collègues en mars 2018, quelques mois après l’arrivée de Martine Ouellet à la tête du Bloc.

« Je serais menteur de dire qu’on a fait tout ça en sachant qu’on reviendrait, raconte-t-il. Quand on a fait ce move-là, on sentait qu’il n’y avait plus rien à faire. »

Le geste a eu l’effet d’un électrochoc. Quelques semaines plus tard, Martine Ouellet a tiré sa révérence après un vote de désaveu des deux tiers des militants. Les démissionnaires ont plus tard réintégré le nid.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le bloquiste Rhéal Fortin a été réélu dans Rivière-du-Nord.

On trouvait que le Bloc était trop précieux, trop nécessaire [pour ne rien faire]. C’est pour ça qu’on a voulu le sauver. Et on a réussi.

Rhéal Fortin, député réélu de Rivière-du-Nord

La partie était pourtant loin d’être gagnée.

En août 2018, Yves Perron a été nommé président national du parti. « Au pire du pire », reconnaît le principal concerné. « Bien des gens disaient qu’il fallait être fou… »

La mission qui lui incombait à l’époque : sauver les meubles, rien de moins. Les coffres étaient à sec. Le parti ne comptait plus qu’une poignée de députés, n’employait que deux personnes et, surtout, était déchiré par les luttes internes.

« On s’est parlé, on a fait des compromis de part et d’autre pour rétablir le lien de confiance, poursuit M. Perron. De là, tout devenait possible, surtout la réunification du caucus. »

Unité

Et c’est ce qui s’est passé. Les derniers députés dissidents sont rentrés au bercail. Soudain, il devenait « plus réaliste » de convaincre Yves-François Blanchet de briguer la direction du Bloc. Ce qui s’est concrétisé dans les premiers jours de l’année 2019. « L’artisan de la victoire, c’est lui », reconnaît Yves Perron.

M. Blanchet a suscité une véritable « prise de conscience des Québécois », abonde Louis Plamondon.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le bloquiste Louis Plamondon a été réélu dans Bécancour-Nicolet-Saurel.

On l’a vu tout de suite : dès qu’il a annoncé qu’il était intéressé, les cartes de membre se sont renouvelées, le financement s’est accéléré.

Louis Plamondon, député réélu de Bécancour-Nicolet-Saurel

Le vétéran voit poindre le retour du « bon vieux temps », cette époque au cours de laquelle le Bloc avait systématiquement la majorité des sièges au Québec.

Gilles Duceppe affirme avoir deviné il y a plusieurs mois qu’une occasion de marquer des points s’offrait au parti dont il a été le chef de 1995 à 2011, puis pendant la campagne de 2015. Mais il ne croyait pas que la récolte serait aussi faste.

« Je me disais : il y a une fenêtre qui s’ouvre pour le Bloc, parce qu’il n’y a personne qui parle au nom du Québec [à la Chambre des communes]. Mais je ne croyais pas que ce serait une bay-window ! », s’exclame-t-il.

Voilà donc que le Bloc forme la deuxième opposition officielle à Ottawa. Le parti ne roule pas sur l’or, mais il sort de la campagne sans dette. Avec la reconnaissance officielle aux Communes, « la vie sera plus facile », résume Rhéal Fortin.

« La vie n’est pas toujours aussi gratifiante qu’elle l’est pour nous aujourd’hui, souligne Yves Perron. C’est pourquoi on savoure le moment avec humilité. »

— Avec la collaboration d’Isabelle Hachey, La Presse

Pas de calculs « stratégiques » pour l’instant

Malgré le gouvernement minoritaire en place et la performance appréciable du Bloc, c’est pourtant le Nouveau Parti démocratique qui, avec ses 25 députés, se retrouve en position de force pour donner aux libéraux les appuis nécessaires pour sauver le gouvernement d’une défaite en chambre. Invité à commenter la situation hier, Yves-François Blanchet n’a pas souhaité élaborer à propos des décisions futures de son parti aux Communes, pas plus que sur le « choix des outils parlementaires » qu’il compte mettre de l’avant. « Les supputations stratégiques sont intéressantes, mais à bien des égards, prématurées », a-t-il résumé. 

— Simon-Olivier Lorange, La Presse

Un ministre catalan remercie Blanchet

Le ministre catalan des Affaires étrangères, Alfred Bosch, a remercié le chef bloquiste Yves-François Blanchet de son soutien, dans un tweet publié hier. « Cher ami @yfblanchet, merci pour votre engagement pour la liberté en Catalogne. Votre soutien est précieux. Au plaisir d’échanger avec vous très prochainement », a-t-il écrit. Dans son discours hier soir, M. Blanchet a appelé le premier ministre canadien à demander la libération des prisonniers politiques catalans. Le 14 octobre dernier, la Cour suprême espagnole a condamné neuf leaders indépendantistes pour sédition, deux ans après un référendum d’indépendance de la Catalogne.

— Janie Gosselin, La Presse