La vague était résolument irrésistible.

Le Bloc québécois a donné raison aux sondages qui lui étaient favorables en confirmant une récolte de 32 sièges. Il triple ainsi sa députation à Ottawa au terme d’une campagne qui a vu ses appuis exploser, au point d’atteindre 40 % des voix dans la province.

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Tout sourire pendant son discours aux allures victorieuses, le chef Yves-François Blanchet a louangé la performance de ses troupes, pratiquement impensable il y a quelques semaines. Il a pris acte de cette incroyable renaissance, mais également de la situation de gouvernement minoritaire qui prévaut désormais à Ottawa.

Il a souligné que son équipe n’aspirait pas à diriger un gouvernement ou même à y participer. « En revanche, le Bloc peut, au mérite, collaborer avec n’importe quel gouvernement », a-t-il rappelé.

« Si le gouvernement est parlable, il est dans le tempérament même des Québécois d’être parlables. Le Bloc sera parlable », a assuré M. Blanchet, « sauf s’il s’agit de faire passer davantage de pétrole à travers le Québec » ou de « compromettre nos valeurs, notre langue ou l’engagement envers la laïcité envers nos institutions publiques ».

Cette référence se veut la suite logique d’une campagne au cours de laquelle le chef bloquiste a talonné ses adversaires en les sommant de respecter les champs de compétence du Québec et a placé en première ligne la défense de la Loi sur la laïcité de l’État québécois.

M. Blanchet a également admis devant ses militants que son parti avait mis l’enjeu de la souveraineté du Québec en sourdine au cours des dernières semaines. Or, « le désir d’un pays habite chaque battement de mon cœur », a assuré le chef bloquiste. Il a promis que sa formation allait « réapprendre à écouter les Québécois dans cette perspective ».

Si nous portons la voix des Québécois à leur vitesse, […] à leur rythme, ils peuvent nous accorder une extraordinaire confiance. Nous devons conserver et chérir cette humilité.

Yves-François Blanchet

Il a en outre demandé au premier ministre Justin Trudeau d’exiger de l’Espagne « la libération des prisonniers politiques catalans ».

« Si le droit à l’autodétermination est juste pour le Canada, il l’est pour la Catalogne », a-t-il conclu à ce sujet.

FRÉNÉSIE

Dès le dévoilement des premiers résultats dans la province, la foule réunie au National, à Montréal, a pris vie. Mais c’est la prédiction d’un gouvernement minoritaire qui a véritablement causé la frénésie. Aucune huée n’a même été entendue lorsque TVA a avancé qu’il s’agirait d’un gouvernement libéral.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Un militant du Bloc québécois suit attentivement le dévoilement des résultats au National, à Montréal.

La foule célébrait peut-être un peu vite : Yves-François Blanchet affirme depuis plusieurs jours que le Bloc désirait la « balance du pouvoir », mais c’est vraisemblablement le Nouveau Parti démocratique (NPD) qui sera en meilleure position pour négocier avec le nouveau gouvernement libéral.

Dans tous les cas, la seule autre ovation pour une victoire non bloquiste a été réservée au conservateur Richard Lehoux, qui a délogé Maxime Bernier, chef du Parti populaire du Canada, dans son bastion de Beauce.

Christine Normandin, dans Saint-Jean, a donné la première victoire de la soirée aux siens. Sans surprise, Yves-François Blanchet a rapidement suivi, confirmant son accession aux Communes en l’emportant dans Beloeil–Chambly.

PHOTO GIMMY DESBIENS, LE SOLEIL

Alexis Brunelle-Duceppe

Victorieux dans Lac-Saint-Jean, Alexis Brunelle-Duceppe, fils de l’ex-chef Gilles Duceppe, a été l’un des suivants. Émotif, le paternel a pu s’entretenir avec son fils en direct à la télévision. « Avant, j’étais le fils de Jean Duceppe, maintenant, on va me dire que je suis le père d’Alexis Duceppe… Je t’aime ! », s’est-il exclamé. Les 10 députés sortants du Bloc ont conservé leurs sièges, mais le parti a remporté des victoires majeures partout dans la province. Il a mis la main sur les deux circonscriptions d’Abitibi-Témiscamingue, autrefois détenues par le NPD, et sur deux autres au Saguenay – Lac-Saint-Jean. Une victoire particulièrement spectaculaire est celle de Louise Charbonneau, dans Trois-Rivières, vue comme négligée en début de campagne devant, notamment, l’ex-maire Yves Lévesque, qui représentait les conservateurs.

Comme prévu, le Bloc a fait main basse sur toutes les circonscriptions dans les Laurentides et dans Lanaudière et sur presque toutes celles de la Rive-Sud de Montréal. Il a également planté deux pavillons dans la région de la Capitale-Nationale et deux autres dans l’est de la province. Il a en outre conquis Shefford, dans les Cantons-de-l’Est.

LE CHEF COMME ATOUT

Il s’agit de la meilleure récolte du parti depuis 2008, alors que les troupes de Gilles Duceppe avaient mis la main sur 49 circonscriptions. La vague orange de 2011 avait presque effacé le Bloc de l’échiquier électoral, laissant derrière elle seulement quatre rescapés. La formation avait mieux fait en 2015 avec 10 députés, mais avait par la suite subi une grave crise de leadership. Pendant le court règne de Martine Ouellet à la tête du parti, sept députés avaient claqué la porte. Ils sont toutefois revenus après la démission de l’ex-députée péquiste.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE
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L'arrivée d'Yves-François Blanchet en début d'année a donné un nouveau souffle aux élus et aux militants bloquistes.

L’arrivée d’Yves-François Blanchet en début d’année a donné un nouveau souffle aux élus et aux militants bloquistes, mais c’est vraiment au déclenchement de la campagne électorale que ses appuis ont commencé à se cristalliser, surtout chez les francophones. La défense des positions du gouvernement Legault a visiblement porté ses fruits.

Nombreux sont ceux qui nomment M. Blanchet comme celui qui a véritablement fait la différence.

Pour Denis Trudel, candidat élu dans Longueuil – Saint-Hubert, la réaction de son chef à la controverse du blackface de Justin Trudeau a été un tournant. Le leader a alors opté pour la circonspection « au lieu de faire du capital politique », a dit M. Trudel. « Les Québécois se sont reconnus. C’est à ce moment qu’ils ont recommencé à écouter le Bloc », a analysé le nouveau député.

« Il est arrivé prêt, il fait preuve d’une efficacité incroyable, il connaît ses dossiers », a pour sa part énuméré le député réélu Rhéal Fortin.

« Il travaille d’arrache-pied, sept jours sur sept, 24 heures sur 24 ou à peu près… Il est bien préparé à assumer les fonctions de chef », affirme M. Fortin.

Selon lui, Yves-François Blanchet ne constitue ni plus ni moins que « la plus belle nouvelle de 2019 ».

Vingt-deux nouveaux sièges à la Chambre des communes ressemblent en effet à une assez bonne nouvelle pour son parti.

LE PARTI QUI REVIENT DE LOIN

CAUCHEMAR

Soirée cauchemardesque : presque complètement noyé par la vague orange, le parti voit sa députation passer de 47 à 4 personnes aux élections générales du 2 mai 2011, et ce, bien qu’il ait récolté 24 % des votes au Québec. Gilles Duceppe perd son siège dans Laurier–Sainte-Marie et annonce qu’il quitte ses fonctions de chef, un poste qu’il occupe depuis 14 ans.

RENAISSANCE TIMIDE

Gilles Duceppe reprend du service quelques mois avant le scrutin de 2015 et le Bloc récupère un peu du terrain perdu. Aux élections du 19 octobre, il récolte 19,4 % des voix au Québec et fait élire 10 candidats. Une nouvelle fois défait, M. Duceppe démissionne quelques jours plus tard.

L’ÈRE OUELLET

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Martine Ouellet

Après avoir échoué deux fois à prendre la tête du Parti québécois, Martine Ouellet est couronnée cheffe du Bloc en mars 2017. Sa décision de demeurer députée provinciale, notamment, crée un malaise au sein du parti. À peine quelques semaines plus tard, sept députés bloquistes déclarent avoir perdu confiance en leur cheffe. Ils démissionnent un an après pour siéger comme indépendants.

CHANGEMENT DE GARDE

Martine Ouellet ne récolte que 32 % d’appuis de ses militants lors d’un vote de confiance en juin 2018. Elle annonce sa démission le lendemain. Au cours des mois suivants, les sept députés démissionnaires rentrent au bercail. En janvier 2019, Yves-François Blanchet, ex-ministre péquiste devenu commentateur politique à la télévision, est couronné chef du Bloc québécois, à huit mois des élections générales.

CAMPAGNE VICTORIEUSE

À l’aube de la campagne fédérale, les sondeurs accordent un peu plus de 20 % des intentions de vote au Bloc, une hausse par rapport aux prévisions des quatre dernières années. Le chef Yves-François Blanchet espère récolter une vingtaine de sièges. Un mois plus tard, les sondages placent désormais le parti en tête au Québec, à égalité avec les libéraux, autant chez les francophones que dans l’ensemble de l’électorat. Le parti a marqué des points pendant toute la campagne en faisant siennes les revendications du gouvernement Legault, notamment en matière de laïcité.