Qui a le plus de chances de rester chef au cours des prochaines semaines ? Qui risque de tomber au combat ? On en discute avec Lisa Maureen Birch, professeure associée de science politique et directrice du Centre d’analyse des politiques publiques de l’Université Laval, Louis Aucoin, stratège en communication et fondateur de l’agence de relations publiques Tesla RP, et François-Pierre Gingras, à la retraite après une carrière de professeur de science politique à l’Université d’Ottawa.

Justin Trudeau

Lisa Maureen Birch : « Il n’a pas fait une très bonne campagne et je ne suis pas certaine de ses chances de rester chef. S’il perd trop d’acquis, une course au leadership sera sûrement exigée. S’il décroche un gouvernement minoritaire, il va rester en poste, mais on va lui demander d’être plus prudent et on va l’encadrer davantage.

« Pendant cette campagne, il aurait eu tout intérêt à mettre davantage de l’avant ses ministres, qu’on a très peu vus. S’il reste, il va devoir donner plus de place à ses ministres. »

Louis Aucoin : « À mon avis, s’il perd, c’est le seul qui risque de partir, d’autant que les plus dures critiques que j’entends à son endroit émanent du Parti libéral.

« Après le scandale des commandites, c’est tout le Parti libéral qui était honni. Le Parti libéral a regagné ses lettres de noblesse, mais maintenant, je sens que, comme Harper dans le temps, c’est Justin Trudeau lui-même que les citoyens se sont mis à haïr.

« À cause des épisodes du blackface et du voyage en Inde, entre autres, si défaite il y a, elle lui sera attribuée.

« Ce qui ne l’aide pas, c’est qu’il n’est pas près de son caucus. Des ministres me disent que ça fait trois mois qu’ils ne l’ont pas vu.

« Si le Parti conservateur l’emporte, mais avec un gouvernement vraiment très minoritaire, il pourrait espérer rester, mais il faudrait qu’il ait été vraiment très près d’une victoire. »

François-Pierre Gingras : « Pour Justin Trudeau, il y a certes désillusion. La perception qu’il donne, c’est celle d’un gentil garçon qui est pour la vertu, mais qui a du mal à prendre des décisions difficiles, notamment dans des enjeux éthiques. Il lui est beaucoup reproché de ne pas avoir fait preuve de leadership lors de différentes crises. Mais comme l’a vécu son père qui avait perdu contre Joe Clark, s’il y a un gouvernement conservateur minoritaire, ça pourrait être de courte durée. Le Parti libéral n’aurait peut-être pas intérêt à s’empêtrer dans une course au leadership, d’autant plus qu’il ne semble pas y avoir de dauphin évident. Il pourrait se donner jusqu’au vote sur le premier budget conservateur pour décider s’il part ou s’il reste. »

Andrew Scheer

Lisa Maureen Birch : « Je suis convaincue qu’il va rester même si les libéraux obtiennent un gouvernement minoritaire. Il a fait une très bonne campagne, il s’est montré ferme mais poli pendant les débats. Son image est adéquate. Le Parti conservateur a consolidé ses appuis dans l’Ouest. Mais s’il y avait balayage au Québec ou que le Parti conservateur y performait mal, des questions lui seraient posées, d’autant qu’ici, il a sonné très faux. Il a essayé de paraître branché, de démontrer qu’il connaît bien la culture québécoise, mais il nous a sorti des émissions de télévision qui ont été diffusées il y a 20 ans ! Lance et compte, ça date.

Louis Aucoin : « Je ne le sens pas en danger. Il a mal performé au débat de TVA, mais il a bien fait aux débats nationaux. Il a pris de l’expérience au cours de la campagne et il peut encore s’améliorer. Mais surtout, le Parti conservateur n’a sans doute aucune envie de se replonger dans une autre course au leadership qui, la dernière fois, a laissé le parti très divisé. Même si les conservateurs perdaient beaucoup de terrain, on se rappellera qu’Andrew Scheer n’a pas eu beaucoup de temps pour se préparer aux élections, à peine un peu plus de deux ans. »

François-Pierre Gingras : « Aujourd’hui, on est beaucoup dans le prêt-à-jeter, et ça vaut pour les chefs, avec lesquels on n’a pas beaucoup de patience. S’il perd, il partira, à moins que la différence de sièges entre les libéraux et les conservateurs soit très faible. »

Jagmeet Singh

Lisa Maureen Birch : « Il est là pour rester. Il est excellent en débat, il a réussi à faire mentir ceux qui lui prédisaient qu’il n’arriverait jamais à être populaire au Québec. Il a surpris par la qualité de son français, beaucoup plus fluide que celui d’Andrew Scheer. Il semble authentique et il est toujours parvenu à placer ses critiques pendant les débats. Les gens ont appris à le connaître, il a ajouté de l’humour aux débats. Il se démarque par une présence toute particulière. »

Louis Aucoin : « En début de campagne, on prédisait une catastrophe au NPD et il y a deux semaines encore, on estimait qu’il n’obtiendrait aucun siège au Québec. On pensait au départ que son turban lui nuirait. Peut-être un peu au Québec, mais pas tant que cela.

« Il est vraiment parvenu à sauver les meubles : il est bon communicateur, il a l’air sincère, il ne donne pas l’impression qu’il veut mener les gens en bateau. Contrairement à Scheer, on n’a jamais l’impression qu’il porte un masque. Pendant les débats, il nous a sorti des expressions du genre “flasher à gauche, tourner à droite” et “grand parleur, petit faiseur”. Cette dernière expression est sortie tout croche, il fallait être attentif pour l’avoir entendue, mais ça montre à quel point il s’est forcé ! Bien sûr, il lui manque un programme politique, mais il pourrait recevoir le trophée du joueur le plus utile. Jagmeet Singh, c’est une belle découverte. »

François-Pierre Gingras : « Il y a un an, les attentes étaient plutôt élevées pour le NPD. Là, le parti semble être en remontée, mais ce n’est pas certain que cela se traduira vraiment par des sièges supplémentaires. Si l’appui au NPD ne dépasse pas 20 % [son niveau de 2015] et s’il obtient moins de 39 sièges [ce qu’il détenait à la dissolution du Parlement], je crois qu’il va reconnaître qu’il vaudrait mieux partir. Il pourrait décider de rester en cas de gouvernement minoritaire et s’il obtient plus de 39 sièges. »

Yves-François Blanchet

Lisa Maureen Birch : « Il va rester en poste. Au-delà des enjeux bien québécois qu’il défend, il a affiché ses préoccupations environnementales, une chose importante quand on songe à cette manifestation monstre qui a eu lieu en septembre à Montréal [lors de la venue de Greta Thunberg]. Ses troupes doivent être très contentes de sa performance et il a été aussi bon en français qu’en anglais. »

Louis Aucoin : « Lui, c’est facile. Il va rester même s’il ne fait pas élire beaucoup de députés. La défaite ne pourrait pas lui être attribuée : il a fait un sans-faute, bien que sans éclat non plus : en conférence de presse, avec lui, c’est toujours un peu la même chose. Il a obligé ses adversaires à se prononcer sur les signes religieux et ça l’a bien servi. Il a livré de bonnes performances, il est apprécié et le Parti québécois se dit qu’il aurait dû l’attraper avant qu’il parte au Bloc. S’il performe vraiment bien, on dira que c’est grâce à lui, alors qu’en fait, c’est à Justin Trudeau qu’on doit la remontée du Bloc. »

François-Pierre Gingras : « Même si le Bloc performait moins bien que prévu, on le croyait tellement au tapis qu’Yves-François Blanchet ne pourrait pas être perdant, lundi. Il s’exprime bien, il s’est bien tiré d’affaire dans les controverses sur ses candidats et il a été habile de ne pas se positionner clairement sur des enjeux comme le troisième lien à Québec. Il a tout intérêt à rester chef, surtout s’il y a gouvernement minoritaire. »

Elizabeth May

Lisa Maureen Birch : « Le problème pour le Parti vert, c’est que si les gens se montrent préoccupés par l’environnement, ils ne sont pas prêts à faire beaucoup de sacrifices. Même la taxe carbone, qui est saluée par beaucoup de spécialistes, est contestée. Aussi [pour n’importe quel chef du Parti vert], il est difficile de faire des gains si on ne parle que d’environnement et qu’on ne développe pas des politiques publiques dans tous les domaines. »

Louis Aucoin : « Elle, elle est vissée sur son siège depuis des années et je ne comprends pas trop pourquoi personne ne la défie. L’environnement est un enjeu qui gagne en popularité, mais pas le Parti vert. Si j’étais militant de ce parti, je remettrais en question son leadership. »

François-Pierre Gingras : « Elle tient le Parti vert à bout de bras depuis 2006 et on l’aime bien comme chien de garde. Mais après toutes ces années, ça pourrait ne pas être mauvais que quelqu’un d’autre prenne les rênes du parti et essaie de l’amener à un autre niveau. Elle pourrait cependant décider de rester quelque temps en cas de gouvernement minoritaire et si l’appui au Parti vert dépasse les seuils symboliques de 10 % et de cinq élus. »

Maxime Bernier

Lisa Maureen Birch : « C’est tout un personnage. S’il est élu dans sa circonscription, il va rester chef. C’est un idéologue qui est très convaincu de sa vision et il va essayer de chercher des appuis pour la prochaine fois. S’il perd même chez lui, je ne sais pas où ça ira, son parti politique. Et un saut sur la scène provinciale est difficilement envisageable tant ses idées sont éloignées de celles des partis en place. Le contexte au Québec ne le favorise pas non plus dans la mesure où les finances publiques ont été assainies. »

Louis Aucoin : « Pour moi, lui, il reste un mystère, bien que, très clairement, il ait fondé son parti par frustration à la suite de sa défaite dans la course au leadership du Parti conservateur. Et dans ma pratique, je constate que la frustration et le désir de vengeance ne sont jamais bons conseillers. On sait qu’il aime le travail parlementaire, et s’il parvient à se faire élire dans sa circonscription, il va travailler à se bâtir un parti plus fort. S’il perd chez lui, un changement de carrière est probable pour lui, qui est indépendant de fortune. »

François-Pierre Gingras : « S’il n’est pas élu dans sa circonscription, la défaite sera trop lourde pour qu’il reste en politique. Il n’aura pas trop le choix d’aller couler des jours doux en Beauce ou ailleurs. Il pourrait continuer de faire la promotion de ses idées, mais dans des organismes de droite comme la Fédération canadienne des contribuables. »