(Québec) François Legault croisera les doigts, lundi soir, avant que ne soient révélés les résultats des élections fédérales. Mais quel scénario souhaite-t-il ? Chaque avenue plausible, le 21 octobre, comporte des avantages et des inconvénients pour le gouvernement du Québec.

Un gouvernement libéral majoritaire, à première vue, serait source de problèmes pour François Legault. Justin Trudeau ne s’est pas engagé à ne pas appuyer les contestations judiciaires de la loi québécoise sur le port de signes religieux.

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« Un gouvernement libéral majoritaire, à première vue, serait source de problèmes pour François Legault », écrit Denis Lessard.

Et dès les premiers jours de la campagne fédérale, M. Legault avait stigmatisé publiquement la prise de position du chef du Parti libéral du Canada (PLC) sur cette question. Mais les recours contre la loi québécoise sont déjà enclenchés, que le fédéral y participe ou non. Libéral ou conservateur, le gouvernement fédéral attendra probablement que la cause parvienne à la Cour suprême avant d’intervenir.

Pommes de discorde

Dans le programme du PLC, on peut voir les pommes de discorde avec la Coalition avenir Québec (CAQ). Pas moins de quatre pages d’engagements supposent des interventions dans des domaines de compétence provinciale. S’y dessine une longue liste de programmes nationaux. Une idée parmi d’autres : Ottawa financerait les municipalités pour l’accueil d’immigrants. Dans le domaine de l’énergie, un gouvernement Trudeau imposerait le partage des redevances avec les communautés autochtones.

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Justin Trudeau, chef du Parti libéral du Canada

D’autre part, l’élection d’un gouvernement Trudeau comporterait quelques bonnes nouvelles pour la CAQ. En cas de ralentissement économique, les libéraux ne réduiraient pas les dépenses publiques. Le PLC a créé et maintiendrait la Banque de l’infrastructure du Canada, qui fait l’affaire du Québec, même si elle n’a pas été utilisée pour le financement du Réseau express métropolitain à Montréal ou du tramway à Québec. En maintenant la taxe sur le carbone, les libéraux d’Ottawa éviteraient au Québec d’être isolé avec son initiative parallèle, la « Bourse du carbone ».

Dans les derniers mois, dans plusieurs dossiers, le courant passait entre Québec et Ottawa : des ententes sur la main-d’œuvre et les migrants, activées, il faut le dire, par l’imminence du scrutin. Le temps a manqué pour s’entendre sur l’immigration, mais les voies de passage étaient en vue, indique-t-on à Québec.

À qui la balance du pouvoir ?

Si les libéraux sont élus et que le Bloc québécois a suffisamment de sièges pour détenir la balance du pouvoir, les astres s’aligneront favorablement pour François Legault. Mais en termes de chimie, on pourrait dire que les Communes deviendraient instables (on pourrait prévoir des appuis ponctuels, mais pas de caution globale du Bloc). Et si, comme l’indiquent les sondages, Jagmeet Singh parvient à sauver les meubles pour son parti, Justin Trudeau sera bien plus tenté de s’allier au Nouveau Parti démocratique (NPD) qu’au Bloc.

Si le PLC reste en selle grâce à l’appui du NPD, la partie se déroulera rapidement… et bien loin du Québec.

La réalisation du projet de l’oléoduc Trans Mountain serait compromise, ce qui entraînerait une crise nationale, le premier ministre albertain Jason Kenney ayant épuisé ses réserves de patience.

Jean Charest a déjà dit que les gouvernements minoritaires à Ottawa étaient de mauvaises nouvelles parce qu’ils étaient irrémédiablement dépensiers. Mais c’est le gouvernement minoritaire de Paul Martin qui, en 2004, lui avait accordé l’asymétrie, un régime distinct pour le Québec, dans le financement des programmes fédéraux – pour la santé à l’époque.

Yves-François Blanchet, le chef du Bloc, martèle qu’il ne sera pas l’écho du gouvernement Legault à Ottawa, qu’il sera plutôt le fiduciaire des volontés de l’Assemblée nationale. Mais la réalité pourrait être vite différente. À l’époque des Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Gilles Duceppe, les stratèges de Québec étaient en conversation quotidienne avec leurs homologues du Bloc québécois, leur soufflant souvent des sujets de question à la Chambre des communes. Des vétérans se souviennent même que Robert Bourassa et Jean Charest utilisaient le même canal pour faire passer leur message dans la capitale fédérale.

Si Justin Trudeau est reporté au pouvoir, il se trouvera bien isolé devant les provinces conservatrices : l’Ontario, la Saskatchewan, l’Alberta, le Manitoba sont d’entrée de jeu dans le cercle des adversaires. Trudeau aura à ménager ses appuis du côté de François Legault, plus « parlable » que ses homologues conservateurs.

Et avec un gouvernement conservateur ?

Dans le cas d’un gouvernement conservateur majoritaire, on ne donnerait pas nécessairement suite aux coups de fil de Québec, confie un conservateur bon teint. L’engagement de Scheer de réduire les dépenses fédérales est une garantie qu’il n’y aura pas de dépenses tous azimuts dans les platesbandes provinciales.

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Andrew Scheer, chef du Parti conservateur du Canada

Québec ne s’inquiète pas trop de l’austérité d’un gouvernement Scheer : quand la crise financière a frappé en 2008, le gouvernement Harper n’avait pas hésité à laisser monter le déficit à 57 milliards pour stimuler massivement les infrastructures, quitte à alléger le cadre de reddition de comptes du gouvernement précédent.

Avec Scheer, Legault pourrait espérer la réalisation d’une de ses demandes explicites de la « liste d’épicerie » : la mise en place d’une déclaration de revenus unique, administrée par Québec. Mais la réalisation sera délicate (plus de 5000 emplois fédéraux à Shawinigan et à Jonquière sont nécessaires pour le traitement d’une déclaration qui disparaîtrait). L’intégration à la fonction publique québécoise et l’attrition ont atteint leurs limites, d’autant que la CAQ s’était engagée à réduire de 5000 le nombre de fonctionnaires.

L’application de la Charte de la langue française aux entreprises de compétence fédérale, les banques, par exemple, serait aussi plus difficile à mettre en place qu’on pourrait le penser.

À Québec, on ne s’inquiète pas du « corridor énergétique » annoncé par Andrew Scheer. Le projet est encore une coquille vide et il passera beaucoup d’eau sous les ponts, et bien des groupes de travail, avant qu’on y mette du contenu.

Et si Scheer est minoritaire ?

Un gouvernement conservateur minoritaire soutenu par le Bloc québécois donnerait un levier important à la CAQ, mais on ne pourrait parler de coalition tant la base conservatrice à travers le pays est allergique au programme d’Yves-François Blanchet.

Mais François Legault devra attendre longtemps lundi soir avant de savoir à qui il devra passer le traditionnel coup de fil de félicitations. Avec bien des courses à quatre en Colombie-Britannique où les verts pèsent lourd, les résultats tomberont bien tard, décalage horaire oblige.