(Ottawa) Andrew Scheer maintient que, en l’absence d’une majorité, c’est le parti qui fera élire le plus de députés qui formera le gouvernement après le vote du 21 octobre. Jagmeet Singh n’est pas d’accord. La règle du Parlement non plus. Et Justin Trudeau préfère se tenir loin de ce débat.

Le chef conservateur a d’abord émis son opinion dans une entrevue télévisée mercredi soir. Jeudi matin, lors d’un arrêt à Brampton, en Ontario, il allait un peu plus loin.

« C’est clair que Justin Trudeau essaiera de faire n’importe quoi pour rester au pouvoir », a-t-il d’abord accusé, en anglais.

« La convention dans notre histoire moderne, c’est […] le parti avec (le plus grand) nombre de sièges […] peut former un gouvernement. Et l’autre chose qui est claire est qu’un premier ministre qui sort d’une élection avec moins de sièges (qu’) un autre parti démissionne. Ça, c’est une convention moderne aussi », a-t-il enchaîné en français.

Ce n’est pas ce qui s’est passé très récemment au Nouveau-Brunswick.

L’an dernier, le libéral Brian Gallant a tenté de gouverner même s’il avait fait élire un député de moins que son adversaire conservateur. Le gouvernement Gallant est tombé en novembre dernier, au vote de l’Assemblée législative sur son discours du Trône. Depuis, le conservateur Blaine Higgs gouverne avec l’appui des trois députés de l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick.

Selon la règle, un premier ministre sortant peut tenter de gouverner aussi longtemps qu’il a la confiance de la Chambre des communes.

Un tel scénario ne signifie pas forcément la formation d’une coalition officielle.

Les bloquistes ont déjà dit qu’ils offriraient leur appui, pièce par pièce. Les verts ont réclamé un plan accéléré pour lutter contre les changements climatiques comme monnaie d’échange à leur appui.

Les néo-démocrates ont promis de se servir de leurs sièges pour faire avancer leurs priorités.

D’ailleurs, le chef néo-démocrate Jagmeet Singh juge qu’il n’est « pas acceptable » qu’un parti obtenant moins de 40 % des votes puisse avoir tout le pouvoir.

« M. Scheer parle de respect, (mais) il ne respecte pas les gens. Il coupe les services, il rend la vie plus difficile, donc on va toujours lutter contre ça », a-t-il lancé lors d’un arrêt de campagne à Welland, en Ontario.

Son parti, a-t-il promis, continuera de défendre les intérêts des Canadiens, peu importe de quelle façon : en formant le gouvernement, dans l’opposition ou dans une coalition.

« Nous savons que lorsque des néo-démocrates sont élus en grand nombre, les gens gagnent », a-t-il claironné.

Justin Trudeau, lui, a refusé de dire ce qu’il ferait si les Canadiens élisent plus de députés conservateurs que de députés libéraux, le 21 octobre.

À la journaliste qui lui demandait, jeudi matin à Trois-Rivières, s’il se prévaudrait de la règle parlementaire ou s’il céderait la place à M. Scheer, le chef libéral a répondu qu’il travaillait fort pour faire élire un gouvernement libéral.

Ce message, M. Trudeau l’a déjà livré à quelques reprises alors qu’il fait une tournée de deux jours au Québec.

Jeudi matin, il pointait sa candidate locale Valérie Renaud-Martin.

« Les Québécois ne veulent pas retourner en arrière avec Andrew Scheer vers les années Harper. Ils veulent continuer d’avancer. Et pour ça, il faut avoir des gens comme Valérie, des Québécois forts au sein d’un gouvernement progressiste. Ça ne sert à rien d’être en opposition contre un gouvernement conservateur », a-t-il dit.

Quant à la chef du Parti vert, Elizabeth May, la véritable tradition est d’attendre les résultats avant de palabrer sur d’hypothétiques coalitions. Elle rappelle que malgré la promesse de Justin Trudeau, en 2015, jurant qu’il s’agissait de la dernière élection sous un système uninominal majoritaire à un tour, nous y sommes toujours quatre ans plus tard.

Ce système parlementaire britannique fait en sorte que toute discussion prématurée est inutile, selon la chef des verts.

« M. Scheer a tort en disant qu’il a une nouvelle manière de faire fonctionner le Parlement en situation minoritaire ; M. Singh a tort en disant qu’il travaillera uniquement avec les libéraux. Nous sommes dans un système parlementaire démocratique de Westminster, a répliqué Mme May. Nous ne sommes pas dans un système présidentiel comme aux États-Unis. On attend que l’élection soit terminée. »

Et la coalition ?

Les deux hommes qui risquent d’être élus premier ministre lundi maintiennent, chacun de leur côté, qu’ils veulent un gouvernement majoritaire. Le chef conservateur ajoute, à son argument, une description très négative d’une possible coalition libérale-néo-démocrate.

Lorsqu’on a demandé au chef néo-démocrate s’il considérait que le mot coalition était un « gros mot » (« dirty word »), il a immédiatement répondu par la négative.

« Ce ne l’est pas », a lancé M. Singh, avant d’énumérer une série d’avancées sociales qui ont été réalisées grâce à des politiciens progressistes.

Le chef du Bloc québécois, lui, continue d’écarter la possibilité de se joindre officiellement à une quelconque coalition.

« Je ne sais pas qui va être élu. Je vais le savoir le 21 comme tout le monde. Si ce qui est proposé est bon, on va être pour. Si ce qui est proposé n’est pas bon pour le Québec, on va être contre. […] Entre les deux, on va négocier des affaires », a répété Yves-François Blanchet, jeudi matin.