Comment les conservateurs comptent-ils revenir à l’équilibre budgétaire ? Ils feront des coupes d’environ 13,6 milliards par an à terme sur les dépenses directes de programmes du gouvernement fédéral.

Ces coupes seraient plus importantes que celles du gouvernement Harper dans les années 2010 et représentent des « risques significatifs », selon l’Institut des finances publiques et de la démocratie.

Il s’agit d’une réduction de 9 % en quatre ans par rapport aux dépenses prévues par le gouvernement Trudeau dans son plus récent budget.

Ces réductions de dépenses pourraient entraîner « un impact négatif sur la qualité des services aux Canadiens et (ou) des mises à pied chez les fonctionnaires », écrit l’Institut des finances publiques et de la démocratie (IFPD) de l’Université d’Ottawa, organisme indépendant dirigé par l’ex-directeur parlementaire du budget Kevin Page.

« Les réductions envisagées représenteraient un large pourcentage de réduction des dépenses sur les cinq prochaines années », écrit l’IFPD dans son évaluation du cadre financier du Parti conservateur, dévoilé hier.

« Des cibles de réductions des dépenses incluraient les opérations du gouvernement et les dépenses dans plusieurs domaines comme les infrastructures, la sécurité nationale et la défense nationale, les ressources naturelles, l’environnement et l’agriculture, poursuit-on. Il y a des risques significatifs au plan fiscal et des services qui sont associés à ces économies. »

Dans son cadre financier, le Parti conservateur a expliqué comment il ferait ses réductions de dépenses (montant à terme pour l’exercice 2023-2024) :

– il fera les investissements en infrastructures prévus (187 milliards) sur 15 ans plutôt que sur 12 ans ; cela permettra à Ottawa d’économiser 5,27 milliards en 2023-2024 ;
– il réduira les dépenses de fonctionnement du gouvernement de 3,92 milliards ;
– il réduira les subventions aux entreprises de 1,5 milliard ;
– il réduira l’aide étrangère de 1,5 milliard (mesure déjà annoncée plus tôt en campagne électorale) ;
– il annulera des mesures du dernier budget Trudeau et d’autres priorités du gouvernement Trudeau déjà budgétées (1,0 milliard) ;
– il n’augmentera pas le nombre de fonctionnaires à temps plein dans la fonction publique durant son mandat (381 millions).

Au total, il y a donc 13,6 milliards de dollars d’économies dans le budget de l’État fédéral.

Le budget fédéral se divise en trois types de dépenses :

1. Les transferts aux particuliers

Ce sont les prestations aux aînés, l’Allocation canadienne pour enfants et les prestations d’assurance-emploi. Ça coûtera 121,5 milliards à Ottawa en 2023-2024. Les conservateurs ont promis de ne pas toucher à ces sommes. Donc pas de coupes ici.

2. Les transferts aux provinces et autres administrations

C’est la péréquation et les transferts aux provinces. Ottawa dépensera 88 milliards en 2023-2024 pour ce type de dépenses. Encore une fois, les conservateurs ont promis de ne pas toucher à ces sommes. Pas de coupes ici.

3. Les charges de programmes directes

Ce sont les dépenses de programmes fédéraux et de l’administration fédérale. Ottawa prévoit y consacrer 159,4 milliards en 2023-2024, soit environ 43 % de son budget total. C’est ici que les conservateurs prévoient des coupes d’environ 13,6 milliards dans les dépenses prévues en 2023-2024, ce qui donne une réduction de 9 % pour en arriver à 145,8 milliards. Cette année (2019-2020), Ottawa y dépensera 152,1 milliards. Selon le cadre financier des conservateurs, Ottawa y dépenserait donc en 2023-2024 environ 6,3 milliards de moins qu’actuellement.

En guise de comparaison, quand le gouvernement Harper a voulu revenir à l’équilibre budgétaire au début des années 2010, il a réduit d’environ 5,2 milliards par an (à terme sur trois ans) ce type de dépenses. Il s’agissait d’une réduction de dépenses de 6,9 %.

« C’est le Parti conservateur qui aurait un niveau de dépenses plus faible que les autres partis. Le retour à l’équilibre budgétaire se fait par une croissance des dépenses plus faibles », dit Luc Godbout, professeur et chercheur principal à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

89 % des promesses en baisses d’impôt

Depuis le début de la campagne électorale, le chef conservateur Andrew Scheer répète qu’il veut réduire le fardeau fiscal des Canadiens. Par conséquent, il n’est pas étonnant que son cadre financier prévoie que 89 % des sommes consacrées aux promesses électorales conservatrices le seront à des baisses d’impôt ou du fardeau fiscal.

Le Parti conservateur du Canada promet des mesures qui coûteront environ 11,5 milliards par an à terme en 2023-2024. Sur cette somme, 10,2 milliards sont consacrés à des baisses d’impôt ou une réduction du fardeau fiscal, soit 89 % du coût des promesses. Les deux mesures les plus importantes ? La réduction de 15 % à 13,75 % du taux du premier échelon d’impôt fédéral (revenus d’environ 12 000 $ à 47 600 $ par an), qui coûtera 5,9 milliards par an à Ottawa. Et l’exemption de TPS sur le chauffage résidentiel, qui coûtera 1,36 milliard par an à Ottawa.

Les conservateurs ont aussi prévu 1,3 milliard par an pour les autres promesses qui ne sont pas de nature fiscale.

Comment financent-ils leurs promesses ?

Comment les conservateurs financent-ils leurs promesses ? En 2023-2024, ils espèrent aller chercher 13,6 milliards en réductions de dépenses et 4,2 milliards en nouveaux revenus (3,5 milliards en matière d’équité fiscale et 560 millions en obligeant les géants des technologies à payer leur juste part).

Au total, ils dégagent ainsi une marge de manœuvre supplémentaire de 17,8 milliards de dollars.

Ils consacrent 64 % de cette somme (11,5 milliards) à leurs promesses électorales (essentiellement une baisse du fardeau fiscal) et 37 % (6,3 milliards) à la réduction du déficit.

En 2023-2024, le déficit prévu par les conservateurs sera de 4,8 milliards, contre un déficit prévu de 11,2 milliards sans tenir compte des promesses électorales d’aucun parti politique.

Le déficit fédéral prévu est actuellement de 20,7 milliards en 2019-2020.

L’Institut des finances publiques et de la démocratie de l’Université d’Ottawa a attribué une note de 72 % (13 sur 18) au cadre financier des conservateurs, soit une note qui ressemble à celle des libéraux (78 %, ou 14 sur 18). L’IFPD évalue les cadres financiers des partis fédéraux en fonction de trois critères : le réalisme des projections fiscales et économiques, une gestion fiscale responsable et la transparence.

PHOTO SEAN KILPATRICK, AGENCE FRANCE-PRESSE

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique, lors du débat à Gatineau, jeudi soir, au Musée canadien de l’histoire

Nouveau Parti démocratique : des propositions « très incertaines »

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) promet des mesures qui coûteront environ 33,7 milliards par an à terme en 2023-2024.

Comment le NPD financerait-il ses promesses ? Il espère aller chercher 34,3 milliards de nouveaux revenus par an en 2023-2024 de la façon suivante : 

27 % en imposant à 75 % le gain en capital (il est actuellement imposé à 50 %) (9,2 milliards)
22 % en haussant de 15 % à 18 % le taux d’imposition des entreprises (7,4 milliards)
20 % en imposant un nouvel impôt sur la fortune de 1 % par an pour les avoirs des ménages de plus de 20 millions (6,8 milliards)
16 % en luttant contre les paradis fiscaux et l’évitement fiscal (5,6 milliards)
7 % en imposant les géants numériques (2,3 milliards)
3 % en haussant le taux d’imposition de 33 % à 35 % sur les revenus excédant 210 000 $ (964 millions)
2 % en imposant une taxe de luxe de 12 % sur les avions, bateaux et voitures de plus de 100 000 $ (709 millions)
4 % avec d’autres mesures fiscales (1,5 milliard)

Les néo-démocrates dépenseraient 33,7 milliards de plus par an en 2023-2024. Les revenus additionnels serviraient à réduire à 16,5 milliards le déficit qu’ils auront augmenté dans les premières années. 

Le poids de la dette resterait au niveau actuel : de 30,9 % en 2018-2019 à 30,0 % en 2023-2024.

Note de l’Institut des finances publiques et de la démocratie de l’Université d’Ottawa : 50 % (9 sur 18)

Top 3 des risques du cadre financier du NPD

1. Des sources de revenus très incertaines

Le NPD propose des hausses de revenus qui seraient « historiques », mais ces hausses d’impôt « viendraient avec des risques fiscaux et économiques significatifs », écrit l’Institut des finances publiques et de la démocratie (IFPD) de l’Université d’Ottawa. En clair, 69 % des nouveaux revenus du NPD (23,4 milliards par an en 2023-2024) sont très incertains, selon l’évaluation du Directeur parlementaire du budget. Ils proviennent de trois mesures fiscales majeures (un impôt sur la fortune, une hausse de l’impôt sur les entreprises, et l’imposition à 75 % du gain en capital) qui entraîneraient probablement des changements de comportement chez les contribuables visés – ce qui pourrait faire en sorte de diminuer les revenus réels. « Ce sont de gros changements sur le système fiscal, mais ils ont quand même une réserve de prévoyance de 5,1 milliards, dit Luc Godbout, professeur et chercheur principal à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Si tout va bien, on n’utilisera pas la réserve et le déficit va être en droite ligne avec ce qui est prévu actuellement. Si ce n’est pas le cas, ça va faire que le déficit serait plus grand que prévu, mais au moins ils l’ont estimé. »

2. L’assurance médicaments : une promesse ambitieuse… et incertaine

Le NPD promet 33,7 milliards en nouvelles dépenses. Le tiers de cette somme est consacrée à sa promesse phare : un régime national d’assurance médicaments, qui coûterait environ 11,4 milliards par an à Ottawa. Plusieurs variables pourraient faire varier ce chiffre, y compris à la baisse, mais plus probablement à la hausse. 

3. Dévoilement tardif

L’IFPD aurait aimé que le NPD dévoile son cadre financer avant les débats, de façon à ce que les électeurs aient plus de temps pour se faire une idée. Le NPD a fait vérifier seulement 16 de ses 80 promesses (68 promesses de dépenses, 12 promesses de revenus) par le Directeur parlementaire du budget, un organisme fédéral indépendant. Au moins, ce dernier a vérifié les promesses les plus importantes du NPD.

PHOTO SEAN KILPATRICK, REUTERS

Les chefs des six principaux partis, lundi soir, à Gatineau, dans le cadre de l’avant-dernier débat des chefs.

Combien les politiciens vous offrent-ils en promesses électorales ?

Le coût des promesses électorales (À terme en 2023-2024)

Parti libéral du Canada : 17 milliards
Parti conservateur du Canada : 11,4 milliards
Nouveau Parti démocratique : 34 milliards
Bloc québécois : 19 milliards
Parti vert du Canada : 76 milliards
Source : compilation de La Presse à partir des cadres financiers des partis

Les dépenses du gouvernement (À terme en 2023-2024)

Dépenses prévues (selon le Directeur parlementaire du budget) : 404,5 milliards
Parti libéral du Canada : 414,8 milliards
Parti conservateur du Canada : 391,4 milliards
Nouveau Parti démocratique : 438,6 milliards
Bloc québécois : 420,6 milliards
Parti vert du Canada : 457,5 milliards
S
ource : Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke

Le déficit budgétaire du gouvernement (À terme en 2023-2024)

Déficit prévu (selon le Directeur parlementaire du budget) : 11,2 milliards
Parti libéral du Canada : 21,0 milliards
Parti conservateur du Canada : 4,8 milliards
Nouveau Parti démocratique : 16,6 milliards
Bloc québécois : 14,6 milliards
Parti vert du Canada : 2,5 milliards
Source : Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke

Le ratio dette nette/PIB (À terme en 2023-2024)

Ratio dette nette/PIB prévu (selon le Directeur parlementaire du budget) : 29,0 %
Parti libéral du Canada : 30,2 %
Parti conservateur du Canada : non indiqué dans le cadre financier
Nouveau Parti démocratique : 29,0 %
Bloc québécois : non indiqué dans le cadre financier
Parti vert du Canada : 29,4 %
Source : Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke