Jagmeet Singh ne réussira peut-être pas à sauver les sièges du NPD. Mais il a gagné le concours du candidat le plus sympathique, hier soir. Souriant, détendu, de plus en plus à l’aise en français et à l’aise tout court, y allant de traits d’humour (Justin Trudeau « flashe à gauche, tourne à droite »), il en a sûrement étonné quelques-uns hier.

Quoi qu’il arrive, il me semble que le parcours étonnant du premier candidat d’un grand parti fédéral issu d’une minorité ethnique est un événement. Une minorité de surcroît mal connue dans plusieurs régions du Canada, et en particulier au Québec. Il a accompli une sorte de normalisation de sa très phosphorescente différence.

Après des mois à faire du surplace dans une sorte d’indifférence générale, sa campagne a finalement décollé. Et hier, sans qu’on puisse parler de triomphe, il a offert, me semble-t-il, la meilleure performance. Trop tard ? Peut-être. Mais il y a quelque chose de durable ici, je crois, et qui dépasse les résultats électoraux.

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Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

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Je tiens évidemment compte du niveau de difficulté, un peu comme dans une compétition de plongeon. Yves-François Blanchet demeure le plus éloquent, le plus agile, le plus rapide dans un débat en français. On s’y attend. Il a gardé ce ton sérieux, empreint de respect, dénué d’agressivité, qu’il a utilisé depuis le début de la campagne. N’oublions pas que le Bloc québécois a failli visiter le royaume des morts…

Les autres ?

Justin Trudeau, il me semble, a raté l’occasion de marquer des points. Il a été moins efficace que dans le débat de TVA, moins pugnace que dans le débat en anglais. C’était pourtant le débat de la dernière chance pour sauver sa majorité. Mais tout se passait comme dans ces matchs sportifs où l’on joue « pour la nulle ».

Il était hésitant, craignait l’erreur, et n’a pas bien ramassé le message que sa campagne tente de faire passer depuis quelques jours : le ralliement au PLC est la seule manière de barrer le chemin aux conservateurs.

Andrew Scheer a clairement eu un meilleur débat que son premier, pénible, à TVA. On ne peut pas le déclarer « perdant », ce qui n’est déjà pas si mal en l’occurrence.

Quand est venu le temps de répondre à la question déchirante de cette citoyenne atteinte de sclérose en plaques, il a été évasif, parlant de ce difficile point d’équilibre entre l’autonomie et la protection des personnes les plus vulnérables.

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Pendant ce temps, on dira ce qu’on voudra de Maxime Bernier, en particulier de sa position absurde sur le climat, il a eu le mérite de la cohérence. C’est un libertaire : il est contre les subventions de toutes sortes, contre les quotas dans le monde agricole, et pour l’autonomie de l’individu. Donc, oui, l’aide médicale à mourir doit être élargie — ce que les autres chefs, à part M. Scheer, ont aussi dit, mais avec plus de nuances.

Avec la même clarté, il a dit à une vieille dame qu’il n’était pas question de donner plus d’argent aux retraités dépendant du régime fédéral.

Il a été le seul également à insister sur les finances publiques, un sujet relégué à l’arrière-plan, alors que même Thomas Mulcair du NPD avait un plan de retour à l’équilibre budgétaire pendant la campagne de 2015. C’est fou comme quatre années peuvent changer les choses…

Bref, quant à sa représentativité, Bernier n’aurait jamais dû prendre part au débat, mais à tout le moins il aura réussi à casser le party d’unanimité deux ou trois fois.

Le français d’Elizabeth May s’améliore, mais elle est encore souvent incompréhensible. Sauf bien sûr quand elle reprend avec une émotion sincère les paroles de Greta Thunberg.

Certains prédisaient des attaques groupées contre le Bloc, mais, bien franchement, c’étaient des pétards mouillés. Comme presque tous les partis ont eu à gérer des candidats indésirables, personne n’a trop osé attaquer le Bloc, qui a passé l’éponge aujourd’hui sur les quatre candidats ayant tenu des propos islamophobes – et ayant présenté des excuses « sincères » dans les mêmes mots exactement…

Andrew Scheer a été le seul à parler de souveraineté. Jagmeet Singh a dit à Yves-François Blanchet qu’il n’avait pas le monopole des opinions québécoises. Mais rien de très menaçant pour le chef du Bloc, qui a poussé le bouchon légèrement en disant non seulement que la loi sur les signes religieux était « progressiste », mais qu’elle avait un aspect « généreux ». Il nous expliquera sûrement ça bientôt…

Pour finir, le plus étonnant de ce débat fut que, même à six, il ait été intelligible. Contrairement à celui de lundi en anglais, que la cacophonie rendait insupportable par longs bouts, celui d’hier était mieux tenu par Patrice Roy. Ça laisse peu de temps pour développer ses idées, deux heures à six. Mais au moins, on pouvait entendre presque toutes les phrases…