(Gatineau) Le dernier affrontement entre les six chefs des principaux partis politiques fédéraux en campagne électorale a donné lieu, jeudi soir, à un exercice audible — à une exception près — à défaut d’être serein.

Même les sujets les plus délicats n’ont pas provoqué de prises de bec.

L’exception : une attaque du conservateur Andrew Scheer contre le bloquiste Yves-François Blanchet. M. Scheer accusait M. Blanchet de se poser en ami du premier ministre François Legault pour dissimuler sa véritable intention de travailler à la souveraineté du Québec dès le lendemain de l’élection.

Malgré les appels au calme de l’animateur Patrice Roy, les deux hommes se sont acharnés à se contredire sans qu’on puisse entendre clairement ce que l’un et l’autre disaient.

On commence par la crise climatique

C’est l’environnement qui a été le premier sujet abordé durant cette soirée.

La leader du Parti vert s’est montrée émotive, dès le début de l’échange sur ce sujet qui, de l’avis de plusieurs partis politiques dans cette course, est l’enjeu central de la campagne.

« Je parle (du) fond de mon cœur parce que le temps presse. Et maintenant, tous les chefs ici (sur) la scène avec moi, il n’y a personne avec un plan qui marche pour éviter le pire. Greta Thunberg a raison : notre maison est en feu. Comment osez-vous ? », a lancé Elizabeth May, la voix chevrotante.

Le chef libéral Justin Trudeau venait de prendre la parole, vantant ses efforts, sa promesse d’interdire le plastique à usage unique, entre autres, pendant que Mme May multipliait les soupirs d’exaspération.

Lorsque M. Trudeau a utilisé la question de l’environnement pour plaider pour l’élection d’un gouvernement libéral afin de « tenir tête contre Jason Kenney, contre les pétrolières, contre Doug Ford, contre ces politiciens conservateurs qui ne veulent rien faire pour l’environnement », le chef du Bloc québécois l’a interrompu pour lui demander pourquoi les libéraux n’appuieraient pas des propositions bloquistes.

« Si on fait des propositions et que vous les trouvez bonnes, votre seul argument c’est “ah, vous ne pouvez pas les mettre en place”. Mais si on fait des propositions, allez-vous voter pour au Parlement ? C’est ça un Parlement, la bonne idée peut venir de n’importe qui », a argué Yves-François Blanchet.

Le chef néo-démocrate s’est jeté dans l’arène avec une phrase toute prête.

« Ici, c’est M. Pipeline, ici c’est M. Pipeline encore et M. Trudeau je pense aussi, c’est M. Pipeline », a dit Jagmeet Singh, pointant tour à tour Maxime Bernier, Andrew Scheer, puis Justin Trudeau. « Moi, je suis Jagmeet Singh. Je ne vais jamais imposer un pipeline sur le Québec », a-t-il poursuivi.

« Menteur compulsif »

On discutait dette et déficit lorsque le chef conservateur a sorti sa première attaque personnelle contre son adversaire libéral.

« Vous êtes un menteur compulsif », a lancé M. Scheer à l’endroit de M. Trudeau. Sur le même ton qu’au débat de lundi mais avec un peu plus de retenue, le chef conservateur a ainsi évoqué l’épisode SNC-Lavalin.

À quelques reprises durant les premières 45 minutes de cette joute, le chef du Parti populaire du Canada a répété qu’il était le seul à ne pas mentir aux électeurs parce qu’il ne leur promettait rien d’autre que d’équilibrer le budget.

« Les chefs de parti ici vous disent tous qu’ils vont équilibrer le budget en cinq ans et ils vous demandent un mandat de quatre ans », a fait remarquer M. Bernier.

« Donc, personne ne va équilibrer le budget. […] Les finances publiques, on ne peut plus additionner. La carte de crédit nationale, elle est pleine », a martelé Maxime Bernier.

« On a un plan d’équilibrer le budget dans cinq ans », s’est vanté le chef conservateur. Le chef libéral l’a aussitôt interrompu : « On ne l’a pas vu encore votre plan. Il est où ton plan ? », a demandé M. Trudeau à M. Scheer.

Débat civilisé

À la deuxième heure, on a même entendu Andrew Scheer remercier Maxime Bernier lorsque ce dernier lui a soufflé un mot que le chef conservateur ne trouvait pas en français.

« Il y a une seule job que le premier ministre veut sauver et c’est le, c’est la… », hésitait le chef conservateur lorsque son adversaire beauceron est venu à la rescousse : « la sienne ». Le geste lui a valu un « merci ». M. Scheer parlait à ce moment de son sujet d’attaque préféré contre le premier ministre sortant : l’affaire SNC-Lavalin.

C’était là aussi une exception. M. Bernier a profité de toutes les occasions pour s’en prendre à celui à qui il espère arracher des votes à droite.

« M. Scheer n’est pas d’accord avec M. Legault […] il n’est pas d’accord avec les tests de valeurs », a déclaré M. Bernier, faisant la sourde oreille aux protestations de M. Scheer.

Le chef libéral, lui, a entrouvert pour la première fois cette porte.

« S’ils veulent appliquer un test lors du certificat de sélection, c’est tout à fait correct et c’est approprié qu’ils le fassent », a dit Justin Trudeau à propos de l’intention du gouvernement Legault d’imposer un test de connaissance des valeurs québécoises aux nouveaux arrivants accueillis dans la province.

Et les autres enjeux québécois

La question des immigrants a également débordé sur les entrées par le chemin Roxham.

Vantant la solution préférée des néo-démocrates, celle de suspendre l’accord de tiers pays sûr, M. Singh s’en est pris à M. Trudeau.

« Vous n’avez pas le courage de le faire parce que vous n’avez pas le courage de dénoncer quelqu’un comme Trump qui met les enfants dans des prisons », a accusé le chef du NPD.

Le chef bloquiste avait prévu qu’il serait la cible de toutes les attaques. Ça n’a pas été tout à fait ça, mais il n’a pas été épargné.

À un moment donné, la joute entre lui et le chef conservateur a provoqué une intervention de Mme May : « Arrêtez de vous chicaner ! », a-t-elle lancé, provoquant les rires de la salle.

La discussion sur la contestation possible de la loi sur la laïcité a permis au chef conservateur de souligner une différence entre lui et son rival néo-démocrate.

« On ne va pas intervenir, pas veut pas, mais va pas », a insisté M. Scheer, citant le choix du verbe vouloir par M. Singh.

L’intermède cordial

Lors du thème portant sur les services aux citoyens, notamment le volet sur les minorités francophones, le débat est même devenu cordial, les chefs s’entendant tous sur la nécessité de moderniser la Loi sur les langues officielles.

Elizabeth May s’est dite prête à accorder de nouveaux pouvoirs au Commissaire aux langues officielles pour qu’il punisse les contrevenants. M. Trudeau a profité de l’occasion pour lier le nom de Doug Ford aux conservateurs en rappelant les coupes que le premier ministre de l’Ontario a faites aux services aux francophones dans sa province.

Le chef libéral a dû se défendre sur les relations de son gouvernement avec les Autochtones, notamment sa gestion de la crise de l’eau potable à Grassy Narrows et sa décision de porter en appel le jugement l’obligeant à indemniser les enfants autochtones qui ont été confiés au système de protection.

Il a dit qu’il voulait bien verser des compensations aux enfants autochtones, mais qu’il jugeait que l’échéancier établi par le tribunal était trop court.

Une question applaudie

La question de Lise Pigeon qui réclamait un accès plus facile à l’aide à mourir a été applaudie par la salle et le courage de la dame reconnu par les six chefs. Seul le chef conservateur a dit, à mots couverts, qu’il porterait en appel le jugement qui a ordonné un plus grand accès à l’aide à mourir.

Le débat était organisé par un consortium de médias à la demande d’une commission créée par le gouvernement libéral. Lundi, la même commission avait tenu un débat en anglais avec les six mêmes chefs.