Ils apparaissent sur les fils de nos réseaux sociaux, nous font parfois sourire, parfois rouler les yeux de dépit. Avec l’humour grinçant ou absurde qui les caractérise, les mèmes sont devenus des éléments incontournables de notre vie numérique.

Mais contrairement aux vidéos d’animaux de compagnie ou aux photos de vacances de votre voisin, les mèmes occupent désormais une place de choix dans la culture web, au point d’être considérés par les chercheurs comme un véhicule d’idées politiques qui mérite d’être étudié pendant la campagne électorale.

Professeur associé en communications à l’Université Concordia, Fenwick McKelvey s’intéresse depuis un bon moment aux mèmes – ces images iconiques piquées à la culture populaire qui, accompagnées d’une phrase humoristique ou sarcastique, deviennent virales.

Par l’entremise de l’Observatoire des médias algorithmiques, il mène une veille méticuleuse afin de recenser les mèmes politiques pendant la campagne.

Les mèmes sont fascinants, car ils nous révèlent comment les gens forgent leur opinion sur les partis ou les chefs, comment ils s’engagent dans la campagne ou quel est le sujet de discussion de l’heure.

Fenwick McKelvey

Pour lui, ces vignettes humoristiques constituent carrément « une nouvelle manière de communiquer », comme avec les émojis dans les échanges écrits, par exemple.

L’épisode du brownface de Justin Trudeau a été un puissant moteur pour les créateurs de mèmes politiques. Les adversaires du chef libéral ont reçu comme sur un plateau d’argent les images le montrant le visage et les mains grimés de brun. Les attaques ont fusé de toutes parts pour le dénoncer.

Car les mèmes n’ont pas de famille politique. À gauche comme à droite, l’humeur du moment est susceptible de passer par une vignette publiée et partagée à grande échelle.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’OBSERVATOIRE DES MÉDIAS ALGORITHMIQUES

Mème anticonservateur qui accuse le parti d’Andrew Scheer de cacher un programme raciste

« On essaie encore de déterminer les tendances à gauche et à droite, mais jusqu’ici, les tendances anti-Trudeau sont surtout à droite », constate Fenwick McKelvey, qui a recensé dans ce camp des remarques surtout axées sur l’immigration.

À gauche, l’enjeu climatique retient principalement l’attention, selon lui.

Risques

Les mèmes sont également au cœur des recherches de Mireille Lalancette, professeure agrégée en communication sociale à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

En vue de la publication du livre What’s Trending in Canadian Politics ?, qu’elle a cosigné le printemps dernier, elle a analysé des mèmes sur Stephen Harper, Justin Trudeau et l’ex-première ministre britannique Theresa May.

Aux yeux de Mme Lalancette, les mèmes sont particulièrement efficaces quand vient le temps de faire circuler une idée politique. « C’est visuellement attrayant, humoristique. Souvent, il y a une chute, un punch, et ce n’est pas long à lire ni à produire », énumère-t-elle.

La chercheuse estime que les mèmes s’inscrivent dans la continuité historique des caricatures dans les journaux, à ceci près que « le caricaturiste appartient à une forme d’élite, alors que le mème peut être créé par n’importe qui ».

C’est justement cette démocratisation qui est à la source du principal danger de glissement lié aux mèmes : la propagation de fausses nouvelles.

Elle cite l’exemple des mèmes qui s’acharnaient sur Hillary Clinton pendant la campagne présidentielle américaine de 2016. « Ça peut certainement contribuer à désinformer », convient Mme Lalancette.

Toutefois, nuance Fenwick McKelvey, les mèmes qu’il a recensés versaient avant tout dans l’opinion, et non pas dans l’« information », qu’elle soit vraie ou fausse.

Et ils étaient surtout destinés à renforcer des opinions plutôt qu’à les créer.

Fenwick McKelvey

Dans tous les cas, les deux chercheurs dressent le même constat : les mèmes politiques ne sont pas le produit d’hurluberlus qui disent n’importe quoi. Bien au contraire.

« C’est fascinant de voir à quel point les gens qui créent des mèmes connaissent les choses qu’ils veulent dénoncer. Ils suivent la politique, ils en connaissent tous les détails », affirme Mireille Lalancette.

« C’est un art ! », renchérit-elle.

Bien que la culture du mème soit surtout anglophone de notre côté de l’Atlantique, Fenwick McKelvey cherche à déterminer si des différences marquent les vignettes en français et celles en anglais qu’il trouve à travers sa collecte.

Car un fort esprit de collégialité unit les amateurs de mèmes, constate-t-il.

« Il y a un effet de communauté qui se crée entre des personnes qui partagent les mêmes convictions, dit-il. Si quelque chose vous fait rire, vous allez vous y identifier. »