Impôts, environnement, laïcité, immigration : les chefs Justin Trudeau, Andrew Scheer, Jagmeet Singh et Yves-François Blanchet ont fait divers affirmations, hier, lors du débat des chefs. L’équipe de La Presse a vérifié certains de leurs propos.

Justin Trudeau

Affirmation
« On l’a vu, au Colorado et ailleurs, que le crime organisé se fait remplacer et les jeunes trouvent ça plus difficile d’acheter de la marijuana. »

Vérification
Deux sondages du département de Santé publique du Colorado suggèrent que la consommation de cannabis est demeurée stable à la suite de la légalisation dans cet État. En 2013, l’année de la légalisation, 20 % des jeunes affirmaient en consommer, alors que 19 % le faisaient en 2017. De nombreux experts en santé publique affirment cependant que l’accès à des extraits raffinés de cannabis contenant des taux de THC de plus en plus élevés sur le marché noir — donc plus risqués pour les cerveaux en développement des jeunes — est de plus en plus facile au Colorado et dans d’autres États qui ont légalisé la marijuana.

Affirmation
« On a réduit les impôts pour la classe moyenne. »

Vérification
Le gouvernement Trudeau a diminué les taux d’imposition pour les contribuables de la classe moyenne : le taux d’imposition fédéral est passé de 22 % à 20,5 % pour la tranche de revenus d’environ 47 000 $ à 95 000 $. Durant le mandat du gouvernement Trudeau, une famille québécoise typique de la classe moyenne (deux parents sur le marché du travail, revenu de travail de 45 000 $ par parent) avec deux enfants a vu son fardeau fiscal fédéral diminuer de 54 % en tenant compte de l’Allocation canadienne pour enfants, selon les calculs de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Et si on exclut cette allocation familiale non imposable ? La famille où les deux conjoints travaillent (revenu de 45 000 $ par parent) a bénéficié d’une réduction de l’impôt fédéral sur le revenu de 6 % (- 440 $), alors que la famille où un seul conjoint travaille (revenu de 90 000 $ pour un parent, revenu de 0 $ pour l’autre parent) a vu son impôt fédéral sur le revenu augmenter de 4 % (+ 384 $) — essentiellement à cause de l’abolition du fractionnement du revenu par le gouvernement Trudeau.

Affirmation
« On a sorti 900 000 personnes de la pauvreté, dont 300 000 enfants. »

Vérification
Selon Statistique Canada, 826 000 personnes de moins vivaient sous le seuil de la pauvreté au Canada en 2017 par rapport à 2015. Quant aux enfants pauvres, leur nombre était relativement stable jusqu’en 2015, avant de connaître une baisse importante. De 2015 à 2017, le nombre d’enfants pauvres a été réduit de 197 000 ou de 278 000, selon les deux seuils de pauvreté utilisés par Statistique Canada. Selon l’économiste Pierre Fortin, cette baisse est attribuable aux politiques du gouvernement de Justin Trudeau, surtout l’Allocation canadienne pour enfants. Faute de données récentes, on ignore comment la situation a évolué depuis 2017.

Affirmation
« On est en train d’agrandir les superficies protégées des aires marines et des aires terrestres jusqu’à 25 % en 2025. »

Vérification
Le chef libéral s’est effectivement engagé la semaine dernière à protéger 25 % des territoires terrestres et 25 % des océans du pays d’ici 2025, puis à hausser cette superficie à 30 % avant 2030. Durant son mandat, le gouvernement Trudeau a dépassé ses engagements sur la protection des zones marines et côtières en faisant passer la superficie protégée à 14 %, alors que son objectif était de 10 % d’ici 2020. Le Canada ne comptait que 1 % de zones marines et côtières protégées à son arrivée au pouvoir. Quant aux zones terrestres, qui incluent les eaux douces intérieures, l’objectif des libéraux est d’atteindre une superficie protégée de 17 % d’ici 2020. Selon Environnement Canada, le bilan était de 11 % à la fin de 2018, mais Justin Trudeau a assuré la semaine dernière que l’objectif serait atteint à temps.

Andrew Scheer

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Andrew Scheer, chef du Parti conservateur du Canada

Affirmation
Les demandeurs d’asile qui entrent de façon irrégulière « évitent la file ».

Vérification
Le ministère de l’Immigration est clair : les demandeurs d’asile ne passent pas devant les autres candidats à l’immigration dont la demande est en traitement. En vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs, les demandeurs d’asile sont tenus de présenter leur demande dans le premier pays sûr où ils arrivent lorsqu’ils passent par les points d’entrée réguliers. C’est pour contourner cette disposition que des demandeurs d’asile choisissent d’entrer de façon irrégulière (par exemple par le chemin Roxham), afin de pouvoir présenter une demande au Canada sans avoir à le faire aux États-Unis. Néanmoins, lorsque leur demande est jugée admissible, le traitement des dossiers de ces demandeurs n’est pas plus rapide que celui des autres candidats à l’immigration. À noter que les demandeurs d’asile n’obtiennent pas tous le statut de résident permanent du Canada.

Affirmation
« Il n’y a aucune façon de [s’]assurer que les automobilistes ne consomment pas [du cannabis]. »

Vérification
Dans les faits, les policiers disposent de plusieurs outils pour déterminer si un automobiliste conduit sous l’influence du cannabis. Il est vrai que les appareils pour détecter le THC dans la salive des conducteurs ne peuvent trancher la question à eux seuls. Un automobiliste qui se fait pincer avec du THC dans la salive peut avoir fumé son joint il y a plusieurs jours, voire plusieurs semaines, et être parfaitement en état de conduire. À l’inverse, quelqu’un qui a un taux de THC peu élevé peut encore être sous les effets du cannabis parce que le THC qui était présent dans son sang et sa salive peut se retrouver dans ses muscles et ses cellules graisseuses. Les policiers utilisent toutefois aussi des tests de proprioception — se tenir en équilibre sur un pied ou marcher en ligne droite les yeux fermés — pour évaluer la capacité de conduire des automobilistes. L’ensemble de la situation permet de faire condamner les automobilistes fautifs.

Affirmation
« On sait que la taxe sur le carbone ne fonctionne pas. »

Vérification
Cette affirmation entre en contraction avec l’avis d’un grand nombre d’experts. Le Fonds monétaire international estime qu’une taxe sur le carbone est « l’instrument le plus efficace pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre ». L’Organisation des Nations unies tient le même discours. « Sachant que la fiscalité est un outil permettant d’orienter les comportements, le gouvernement se doit de l’utiliser pour aider la transition environnementale ; par exemple, utiliser le signal-prix en augmentant la taxe sur les carburants », écrit aussi le fiscaliste Luc Godbout dans un mémoire proposé au ministère des Finances du Québec. Plus de 40 États dans le monde ont instauré une taxe sur le carbone. 

Affirmation
« Ça n’a aucun bon sens que l’argent des consommateurs québécois et canadiens aille à l’économie de Donald Trump pour acheter du pétrole. »

Vérification
Selon la Chaire de gestion de l’énergie de HEC Montréal, 54 % du pétrole utilisé au Québec a été extrait au Canada en 2018, 40 % du pétrole au Québec a été importé des États-Unis et 6 % du pétrole au Québec a été importé d’Algérie. Pour l’ensemble du Canada, si l’on exclut le pétrole canadien, 65 % du pétrole importé au Canada provient des États-Unis, contre 18 % de l’Arabie saoudite, 5 % de l’Azerbaïdjan, 3 % de la Norvège et 9 % des autres pays, selon les chiffres de Statistique Canada cités par Radio-Canada.

Jagmeet Singh

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Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Affirmation
« La vérificatrice générale du Québec a dit la même chose : l’intégration, c’est difficile pour les nouveaux arrivants à cause du manque de ressources pour les cours de français. »

Vérification
En 2017, la vérificatrice générale du Québec concluait que la francisation des immigrants au Québec est un échec. Dans son rapport, elle faisait remarquer que le Ministère verse 9 millions de dollars par an à 86 organismes chargés d’aider les nouveaux arrivants à s’intégrer à la société québécoise. Or, elle dit observer des lacunes dans l’analyse des besoins à pourvoir avant de signer des ententes avec ces organismes. Le Ministère signe des ententes avec les mêmes organismes, année après année, sans effectuer les contrôles nécessaires.

Affirmation
« C’est tellement clair que l’entente avec Netflix était désastreuse. Ça n’a pas fonctionné pour aider le Québec et le Canada. »

Vérification
En septembre 2017, Netflix s’est engagée avec le gouvernement fédéral à investir 500 millions sur 5 ans au Canada. En septembre 2019, Netflix a rapporté avoir investi plus de 500 millions en 2 ans. L’entente Netflix-Ottawa ne prévoit toutefois pas de quota pour les investissements au Québec, et Netflix n’a pas dévoilé la part des investissements faite dans la province. L’entente entre Netflix et Ottawa permet à Netflix de comptabiliser tous ses investissements dans des productions au pays, peu importe la proportion de contenu canadien dans la production. Par exemple, un film conçu à l’étranger et tourné au Canada par Netflix est admissible.

Affirmation
« Avec ce nouvel accord [l’ACEUM, qui doit remplacer l’ALENA], ça va augmenter le prix des médicaments. »

Vérification
Avec le nouvel accord de libre-échange nord-américain (ACEUM), le Canada devra interdire pendant 10 ans les médicaments génériques de médicaments biologiques, qui sont fabriqués à partir de cellules vivantes (au lieu de substances chimiques). Auparavant, les médicaments biologiques étaient protégés pendant huit ans contre la concurrence des médicaments génériques (qui sont moins chers). Cette hausse de protection de deux ans « aura un impact important sur le coût des médicaments au Canada », a expliqué Marc-André Gagnon, expert en politique pharmaceutique à l’Université Carleton, en entrevue à la CBC en 2018. Le médicament biologique le plus utilisé au Canada est le Remicade, qui soulage la douleur et les gonflements liés à l’arthrite, ainsi que la maladie de Crohn.

Affirmation
« Maintenant avec cette entente [États-Unis, Mexique et Canada], il n’y a aucune protection pour les travailleurs et travailleuses, et aucune mesure pour l’environnement qui est exécutoire. Vous avez fait plaisir à M. Trump. »

Vérification
Peu après la conclusion de l’entente, la leader démocrate du Congrès américain, Nancy Pelosi, a exprimé à Justin Trudeau ses craintes que l’entente conclue ne comporte pas suffisamment de mécanismes de renforcement pour protéger les travailleurs, l’environnement et le prix des médicaments. Les démocrates refusent pour le moment de soumettre le projet d’accord au vote du Congrès, bien qu’ils reconnaissent que des progrès ont été réalisés au chapitre des mesures de protection. Le président Trump a pour sa part affirmé que la procédure de destitution intentée contre lui pourrait mettre en péril l’adoption de l’accord.

Yves-François Blanchet

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Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

Affirmation
« Soixante-dix pour cent de Québécois soutiennent la Loi sur la laïcité [projet de loi 21]. […] La loi 21 du gouvernement de M. Legault adoptée par l’Assemblée nationale avec un puissant consensus met fin à ce débat. »

Vérification
La Loi sur la laïcité de l’État a été adoptée sous le bâillon à la mi-juin, avec un vote de 73 députés pour, 35 députés contre. Les libéraux (provinciaux) ont fortement dénoncé certains des règlements qui ont été ajoutés à la loi par amendement, qui précisent les mesures disciplinaires auxquelles s’exposent les contrevenants. Au sein de la population, la loi ne fait pas consensus non plus. L’appui à la Loi sur la laïcité est encore très fort au Québec — 63 % des Québécois sont favorables, selon un sondage Ipsos mené au début du mois de septembre. Près de la moitié des Canadiens (48 %) interrogés dans la même enquête se sont dits favorables à une loi provinciale qui aurait pour effet de restreindre ou de retirer le droit pour les employés de l’État de porter des vêtements et des symboles religieux lorsqu’ils sont au travail.

Affirmation
« La santé est une juridiction exclusive des provinces. »

Vérification
En vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, la santé est un domaine de compétence provinciale. La Constitution confère notamment aux provinces le pouvoir exclusif de gérer des hôpitaux. Toutefois, même si la responsabilité première de la santé appartient aux provinces, le fédéral joue aussi un rôle en santé, notamment en raison de son pouvoir de dépenser et de son pouvoir en droit criminel. Le législateur fédéral a notamment adopté la Loi canadienne sur la santé, qui impose cinq grands principes aux systèmes de santé des provinces : la gestion publique, l’intégralité, l’universalité, la transférabilité et l’accessibilité. En vertu de son pouvoir fédéral de dépenser, le gouvernement du Canada accorde aussi des fonds fédéraux en santé aux provinces. En 2019-2020, Ottawa a versé 9,1 milliards de dollars au Québec par l’entremise du transfert canadien en matière de santé.

Affirmation
« Ça coûte très cher de tout doubler [les déclarations de revenus]. Autour de 400 millions par année. »

Vérification
Selon une évaluation faite par l’Agence du revenu du Canada, qui date de 2009, le dédoublement coûterait entre 445 et 500 millions par année. En janvier, le premier ministre François Legault a déclaré : « Quand on dit qu’il y a 500 millions de dollars de dédoublement, ce sont essentiellement des emplois. » Selon M. Legault, il est « certain » qu’il y aurait des pertes d’emplois si le fédéral acceptait la déclaration unique. L’Agence du revenu du Canada dit employer 5 300 personnes au Québec, en particulier dans des régions où la situation de l’emploi est précaire, comme Shawinigan (1 360 personnes) et Jonquière (1 000 personnes). La députée caquiste de Laviolette–Saint-Maurice (qui englobe Shawinigan), Marie-Louise Tardif, doutait pour sa part en début d’année qu’une déclaration unique entraînerait des pertes d’emploi massives. « Le Centre de données fiscales a été converti en Centre national de vérification et de recouvrement il y a deux ans, a-t-elle dit au Devoir. On ne traite plus de rapports d’impôts, les tâches sont tout autres. »