La déclaration

Andrew Scheer propose la construction d’un corridor énergétique d’un océan à l’autre. Mais le Québec s’oppose au passage d’un oléoduc sur son territoire. Or, selon le chef du Parti conservateur, Ottawa a le pouvoir d’imposer un pipeline au Québec. « Nous respectons les champs de compétence des provinces. Il y a des champs de compétence fédérale aussi », a dit Scheer en entrevue à Radio-Canada mardi. « La chose qui est clé pour le premier ministre, c’est de s’assurer que les intérêts nationaux sont défendus. »

La vérification des faits

Andrew Scheer n’a pas voulu dire clairement s’il entend construire un oléoduc malgré l’opposition de François Legault. Lorsque questionné par des journalistes, le chef conservateur tourne autour du pot.

Mais il a suggéré qu’il serait prêt à le faire. L’Alberta demande un tel oléoduc d’urgence, pour pouvoir exporter le pétrole des sables bitumineux.

Mais Ottawa en a-t-il le pouvoir ?

Hier, le premier ministre Legault a contredit le chef conservateur avec très peu de conviction.

« Nous, on prétend, et je l’ai dit à Jason Kenney lors de la rencontre des premiers ministres des provinces, qu’il y a une compétence du Québec. En plus, il y a une question de politique, de légitimité. On sait que les Québécois sont contre cet oléoduc », a expliqué François Legault.

Le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, lui, a parlé d’une « stratégie » dilatoire à employer si le gouvernement fédéral décidait d’imposer un oléoduc au Québec.

« On agira en conséquence avec les pouvoirs qui nous reviennent », a ajouté, dans un flou artistique, Benoit Charette.
Mais qu’en est-il vraiment ?

Vérification faite, Andrew Scheer a raison : Ottawa peut imposer un oléoduc au Québec.

La réponse simple, claire et nette : c’est oui. La compétence du gouvernement fédéral sur ce type d’ouvrage est prévue dans la Constitution.

L’expert en droit constitutionnel Pierre Thibault, de la faculté de droit de l’Université d’Ottawa

Patrick Taillon, professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université Laval, est du même avis. « Oui, le fédéral a la compétence sur le transport interprovincial de pétrole ou de gaz. C’est assez clair. Le fédéral, c’est lui qui autorise, c’est son évaluation environnementale, c’est lui qui a le droit de vie ou de mort sur un projet d’oléoduc qui traverse plusieurs provinces », note l’expert.

L’article 92, paragraphe 10 de la Loi constitutionnelle de 1867 est limpide : un oléoduc qui passe sur le territoire de plusieurs provinces relève d’une compétence fédérale.

Zone grise ?

En matière d’oléoduc interprovincial, le gouvernement du Québec serait donc ligoté ?

Peut-être pas tout à fait, précise Patrick Taillon. « Une province ne peut empêcher un projet, mais est-ce qu’une province peut imposer des conditions ? », demande l’expert.

La question se trouve présentement devant les tribunaux. Incapable d’empêcher l’oléoduc Trans Mountain sur son territoire, la Colombie-Britannique a tenté d’imposer certaines conditions. Le gouvernement néo-démocrate voulait par exemple établir un système de permis pour les entreprises désireuses de transporter du pétrole par oléoduc.

La province a été déboutée en mai par sa Cour d’appel. Elle veut maintenant se rendre en Cour suprême.

« La décision récente de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique m’a déçu, elle est très pro-fédéral dans son raisonnement », explique M. Taillon, qui suivra avec intérêt le processus en Cour suprême. Le gouvernement québécois a d’ailleurs déclaré cet été son intention d’intervenir dans cette cause.

Pierre Thibault, lui, note que le droit n’est pas le seul enjeu ici. Imposer un oléoduc au Québec pourrait avoir un prix politique.

On entend Québec dire qu’il n’y a pas d’acceptabilité sociale, donc il y aurait un prix politique à payer à Ottawa pour un projet qui n’a pas d’acceptabilité sociale.

Pierre Thibault

Sans surprise, le chef intérimaire du Parti québécois a dit croire hier que cet état de fait militait en faveur de l’indépendance du Québec.

« Les Québécois ne sont pas propriétaires de leur territoire, ne peuvent pas décider si un pipeline peut passer ou non, a lancé Pascal Bérubé. C’est le gouvernement du Canada qui décide, voici ce que ça donne ! »