Êtes-vous sérieux? Maxime Bernier? En plus des cinq autres chefs? Ça commence à faire beaucoup de gens dans la cuisine, trouvez pas?

Déjà qu’à cinq, le propos est aussi dilué que cacophonique… À six ? Pas hâte de voir ce qui sortira des fourneaux.

Mais au-delà de l’espèce d’impossibilité télévisuelle du débat à six, Maxime Bernier n’a pas sa place là.

Pas à cause de ses idées, comme le crie le Nouveau Parti démocratique (NPD). Certes, Maxime Bernier excite certains xénophobes. Il répand aussi des faussetés scientifiques. Hier encore, je l’entendais dire en Acadie que la fonte des glaciers n’est pas un problème : ils vont geler à nouveau pendant l’hiver ! Oui, reconnaît-il, il y a des changements climatiques, mais pas à cause de l’activité humaine, ou pas principalement, dit-il contre toutes les preuves de la science.

Il est vrai, en outre, qu’il a formé une formidable armée de bozos comme aucun parti n’en a réuni en si peu de temps. On dirait qu’il s’est rendu en scaphandre au fond de la vase de Facebook pour en trouver.

Mais ce n’est pas une raison suffisante pour être exclu du débat démocratique. Si ses idées sont fausses ou mauvaises, on devrait pouvoir les combattre avec succès.

Il ne faut pas l’exclure non plus pour la raison avancée par les conservateurs. Selon Andrew Scheer, la Commission des débats est un nid de libéraux qui complotent contre son parti. L’accusation est ridicule. La Commission est présidée par David Johnston, ex-recteur d’université choisi par Stephen Harper pour être gouverneur général. Le comité consultatif, qu’il a lui-même recruté, est formé de représentants des trois partis principaux, d’un professeur émérite, de la juge à la retraite Louise Otis. Bref, il est au-dessus de tout soupçon.

La question n’est pas là. La question, c’est la générosité des critères et leur interprétation exagérément inclusive.

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Maxime Bernier ne remplit carrément pas les critères de cette nouvelle « Commission des débats » créée l’an dernier. Le but était de fixer des critères objectifs, plutôt que de laisser l’initiative aux réseaux de télé.

Il faut maintenant remplir au moins deux des trois critères suivants pour être invité au débat « officiel » (tous les réseaux peuvent en faire à leur guise, par ailleurs) : 

1) avoir au moins un député à la Chambre des communes élu sous la bannière du parti en question ;

2) avoir des candidats dans 90 % des circonscriptions ;

3) avoir obtenu au moins 4 % des suffrages lors des dernières élections générales… OU « compte tenu du contexte politique récent, des sondages d’opinion », avoir « une véritable possibilité » de faire élire au moins deux députés.

Déjà, on peut contester ces critères. Ils sont très permissifs. Trop. La barre n’est vraiment pas haut placée pour venir débattre d’égal à égal avec des chefs de parti susceptibles de former un gouvernement.

Mais enfin, ce sont les critères de la Commission.

M. Johnston avait écrit à Maxime Bernier le 12 août pour lui dire qu’il n’y satisfaisait pas. Il a assez de candidats, mais n’a pas été élu comme «  PPC  » et n’a guère de possibilité de faire élire qui que ce soit d’autre que lui-même.

Le commissaire laissait la porte ouverte si jamais les choses évoluaient. Jusque-là, dans des élections partielles, le Parti populaire avait obtenu entre 1,5 et 10,6 %.

M. Bernier a nommé cinq circonscriptions où il a des possibilités de victoire. Il y a évidemment la sienne, en Beauce, où selon un sondage fait pour la Commission, il obtient 28,7 % des intentions et occupe la première place.

À part ça ? Dans des circonscriptions ontariennes identifiées, le meilleur résultat est de 27,7 %, mais pas en première place.

Pas fort, fort…

La situation politique est dynamique, c’est vrai, et on peut avoir des surprises. Mais en ce moment, rien n’indique une quelconque vague.

Qu’importe, le commissaire a fait demander dans un sondage ciblé aux quatre autres circonscriptions jusqu’à quel point il était « probable » que les répondants votent pour le candidat du PPC. La vaste majorité n’envisage pas de voter PPC ; mais dans Nipissing-Timiskaming, en Ontario, 16,9 % disaient « possiblement », 6,1 % « probablement » et 11,2 % « certainement ». Voilà la meilleure « possibilité » du PPC hors Beauce…

On est loin d’une victoire. Sur le plan national, les sondages donnent entre 1 et 5 % au PPC.

Mais le commissaire note la qualité de l’organisation et en particulier la présence médiatique de Bernier. Il observe que Bernier a déjà été ministre. Que certains de ses candidats ont déjà occupé des fonctions électives.

Et de toute cette salade plus ou moins quantifiable, il conclut que le parti de Bernier a une vraie possibilité de faire élire deux candidats. Car ce n’est pas un test de probabilité, mais de possibilité, insiste le commissaire…

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Comme vous voyez, non seulement les critères sont généreux, mais leur interprétation l’est tout autant. Ils reposent aussi sur un amalgame un peu douteux. La présence médiatique tient beaucoup aux controverses provoquées par ce parti plus radical. Ça n’indique pas une montée en popularité.

Encore une fois, ce n’est pas à cause de ses idées que Bernier devrait être exclu. Sur plusieurs sujets, il apportera un peu de piquant. Il est le seul à pouvoir provoquer un vrai débat à plusieurs égards – la gestion de l’offre en agriculture, par exemple.

Mais avant d’être invité à l’un de ces lutrins, il faut avoir fait ses preuves minimalement, soit électoralement, soit par une force mesurable significative dans l’opinion. Ce n’est pas le cas.

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L’ironie, c’est que l’invitation faite à Maxime Bernier vient justement de cette sorte de Canada qu’il dénonce : politiquement correct, bienveillant jusqu’à la naïveté, inclusif au maximum et, le comble pour lui : multiculturel. Sachez que les paroles du chef Bernier, comme tout le contenu des débats, seront traduites simultanément en anglais et en français, bien sûr, mais aussi en cri, inuktitut, ojibwé, cantonais, italien, mandarin, pendjabi et arabe.

Maxime Bernier en arabe, c’est à ne pas manquer…