(Montréal) « Tous les comtés néo-démocrates sont prenables », affirme le chef bloquiste Yves-François Blanchet, selon qui « il est possible que le Bloc ramasse l’essentiel de ces circonscriptions-là ».

Au jour deux de la campagne électorale, le chef de la formation souverainiste fédérale se trouvait jeudi dans l’une de ces circonscriptions, Laurier-Sainte-Marie. L’ancien château-fort de Gilles Duceppe avait succombé à la vague orange de 2011 et l’ex-chef bloquiste n’avait pas réussi à reprendre le siège de la néo-démocrate Hélène Laverdière en 2015.

Bien que conscient de la chute apparente du NPD dans les intentions de vote, Yves-François Blanchet évite de se montrer arrogant.

« J’essaie de faire attention, parce que je ne veux pas manquer de respect aux néo-démocrates », précise-t-il d’entrée de jeu en notant que les valeurs progressistes de la formation de Jagmeet Singh s’approchent de celles du Bloc, bien qu’il s’agisse d’un parti « fédéraliste, centralisateur et multiculturaliste ».

Mais la politique n’est pas un sport de galanterie et le Bloc ne fera pas de quartier.

« Oui il est possible qu’il ne reste aucun député néo-démocrate à la fin de l’exercice. […] Nous, on a besoin de circonscriptions, ce sont des circonscriptions prenables et on va faire tout ce qu’il faut — dans le respect des gens et dans le respect de la démocratie — pour aller gagner toutes les circonscriptions qu’ils occupent présentement », dit M. Blanchet.

Le NPD compte 14 circonscriptions au Québec et le Bloc n’en compte que 10, soit deux en deçà du minimum requis pour être officiellement reconnu comme parti à la Chambre des communes. Le chef bloquiste estime toutefois que 12 est un seuil trop fragile et considère qu’une vingtaine de sièges est un objectif réaliste.

Agriculture : « une prise d’otage »

M. Blanchet avait amorcé sa journée sur une ferme de Saint-Bonaventure, dans le Centre-du-Québec, où il a accusé le gouvernement libéral d’avoir créé l’illusion de dédommager les producteurs laitiers pour les pertes encourues avec les récents accords de libre-échange.

À la mi-août, la ministre de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau, a annoncé des versements de 1,75 milliard sur huit ans, promettant les premiers chèques avant la fin de l’année.

Selon lui, avec le déclenchement de la campagne électorale, l’annonce n’a plus aucune valeur et ne vise qu’à forcer la main de producteurs.

« Ce n’est pas versé. On s’en va en élections. Une annonce pour quelque chose qui va se produire après une élection, ce n’est pas une annonce, c’est une promesse et une promesse qui porte sur quelque chose qui aurait déjà dû être fait depuis le budget, ce n’est pas une promesse, c’est une prise d’otage », a-t-il lancé, debout dans une étable de vaches laitières.

M. Blanchet a promis que le Bloc n’appuiera le prochain budget du prochain gouvernement fédéral que si celui-ci détaille les versements des compensations promises et qu’il déposera un projet de loi qui interdirait à toute prochaine négociation de traités de libre-échange de toucher à la gestion de l’offre.

La laïcité, question de l’urne ?

Le chef bloquiste n’avait pas l’intention de faire de la loi 21 sur la laïcité un enjeu dans cette campagne fédérale, mais « si jamais la laïcité devenait la question de l’urne ou une importante question de l’urne, Justin Trudeau n’aurait que lui-même à blâmer parce qu’il aurait pu, dès le départ, dire : je respecte la juridiction de l’Assemblée nationale comme seul Parlement national des Québécois qui ont le droit de prendre des décisions par rapport à leurs propres valeurs, à leur propre langue, leur propre culture. »

Selon lui, le fait que le premier ministre sortant ait indiqué qu’il n’avait pas l’intention de contester la loi 21 devant les tribunaux « pour l’instant » laisse planer un doute qui pourrait lui coûter cher au Québec, où les sondages démontrent un appui de la majorité de la population envers le controversé projet de loi. « Son “pour l’instant” va peser très lourd dans la campagne », croit-il.

En même temps, « si ça permet de démontrer que c’est nous qui parlons de ce que les Québécois veulent, je dirai à la limite merci à M. Trudeau de m’en donner l’occasion par sa maladresse”.

En début de soirée, le parti a publié un communiqué de presse pour rappeler l’engagement de ses 76 candidats à défendre et promouvoir la Loi sur la laïcité de l’État ». Tous exhortent le gouvernement fédéral à ne pas utiliser « l’argent des Québécois pour contester la Loi 21. Ni directement ni par la voie de programmes fédéraux ».

Laurier-Sainte-Marie, un comté « emblématique »

Au-delà d’être un comté néo-démocrate « prenable », le comté de Laurier-Sainte-Marie, à Montréal, « a une valeur emblématique pour le Bloc. Tous les espoirs sont permis », affirme Yves-François Blanchet.

On se rappellera qu’il s’agit du premier comté remporté par un candidat portant la bannière bloquiste, alors que Gilles Duceppe y avait été élu avec 70 % des voix en 1990 lors d’une élection partielle trois semaines après la formation du Bloc québécois par Lucien Bouchard à la suite de l’échec de l’accord du lac Meech.

Le Bloc y présente Michel Duchesne, un scénariste qui se définit avec le sourire comme « un artiste gai lettré », très impliqué dans le milieu communautaire, qui voit la porte grande ouverte pour un retour de la formation souverainiste.

« Il y a une déception de l’électorat et des gens que je rencontre face au NPD », a-t-il confié en entrevue avec La Presse canadienne.

En même temps, il dit constater un retour des électeurs déçus par la crise qui avait secoué le parti lors du passage de Martine Ouellet à la direction. « Depuis plusieurs mois, les gens disent : enfin, la chicane est terminée au Bloc, enfin on est fiers à nouveau de dire qu’on soutient et qu’on aime le Bloc », dit M. Duchesne.

Mais les libéraux voient aussi la proie à portée de main et ils y présentent un de leurs candidats-vedettes, l’ex-militant écologiste Steven Guilbeault.

« Si j’étais encore un analyste politique, je dirais que, clairement, Laurier-Sainte-Marie va être une des circonscriptions les plus intéressantes à suivre. Tout le monde met ses billes dans Laurier Sainte-Marie à l’exception des conservateurs et de Maxime Bernier », laisse tomber le chef bloquiste, sourire en coin.