Quelque 250 millions pour éponger les coûts liés aux demandeurs d’asile ; 8,2 millions pour la recherche sur les déversements de pétrole ; 27 millions pour un centre de rétablissement dans le Grand Nord québécois.

Ces trois annonces sont au nombre des huit qu’a faites le gouvernement fédéral au cours de la journée du 29 août. Au Québec seulement.

Une question revient à chaque scrutin, qu’il soit provincial ou fédéral : à partir de quel moment une annonce gouvernementale devient-elle une promesse électorale ?

Or, à l’approche de la présente campagne, le Parti libéral du Canada semble avoir poussé à l’extrême le jeu des promesses.

Depuis le 1er janvier dernier, le gouvernement du Canada a fait des annonces totalisant 13,9 milliards de dollars au Québec, révèle une compilation effectuée par La Presse. Au mois d’août seulement, cette somme est de 4,3 milliards, soit presque le tiers de la cagnotte pour toute l’année 2019.

Certaines de ces sommes figuraient déjà dans les livres du ministre des Finances, Bill Morneau. Mais selon une compilation du réseau Global, 2,7 milliards en argent frais ont été promis à la province au mois d’août au Québec contre 1,93 milliard en Ontario. À l’échelle du pays, quelque 4500 annonces ont totalisé 12,8 milliards.

Toujours selon Global, c’est neuf fois plus que la somme dépensée lors du dernier mois au pouvoir de Stephen Harper en 2011.

Il y a une apparence réelle de vouloir acheter le vote des Canadiens.

Gérard Deltell, député conservateur, en entrevue avec La Presse

« Il est normal qu’un gouvernement continue de gouverner tant et aussi longtemps que le déclenchement n’a pas eu lieu. Mais il faut savoir mesurer », poursuit-il, dénonçant une « orgie de dépenses ».

Période préélectorale

Depuis décembre dernier, la Loi électorale encadre les dépenses des partis en période préélectorale. Ainsi, du 30 juin jusqu’au déclenchement des élections aujourd’hui, chaque formation politique ne peut avoir dépensé plus de 2 millions en publicité ou en activités partisanes.

Or, comme les annonces de l’été sont celles du gouvernement et non du Parti libéral lui-même, elles ne se qualifient pas pour une dépense préélectorale, confirme Ghislain Desjardins, porte-parole d’Élections Canada.

À ce titre, les libéraux de Justin Trudeau n’ont rien inventé, rappelle Thierry Giasson, directeur du département de science politique à l’Université Laval. Depuis toujours, le dernier budget d’un gouvernement a été pensé en fonction du scrutin à venir, tout comme les décisions difficiles sont prises en début de mandat.

Même avant l’instauration des élections à date fixe, les derniers mois d’un règne étaient consacrés à des annonces destinées à charmer les électeurs.

N’empêche, aux yeux du politologue, l’ampleur des promesses formulées au cours des dernières semaines par les troupes de Justin Trudeau est « préoccupante ». À plus forte raison, précise-t-il, c’est ce gouvernement qui a lui-même modifié la Loi électorale, reconnaissant ainsi la nécessité d’établir une période pendant laquelle les dépenses partisanes seraient limitées.

Or, « des annonces à hauteur de 13 milliards de dollars quelques semaines avant les élections, c’est problématique », insiste M. Giasson.

« Une campagne électorale, c’est une campagne de communication, dit-il. [Avec ces annonces], on est complètement dans la communication électorale. Ça peut être balisé. Ça doit l’être », dit-il.

Pour André Lamoureux, chargé de cours au département de science politique de l’UQAM, la modification apportée à la Loi électorale est ni plus ni moins qu’« un trompe-l’œil, une mascarade ».

« C’est un jeu inégal, résume-t-il. Le gouvernement dépense à fond de train, alors que les partis de l’opposition ne peuvent pas le faire. »

— André Lamoureux

À ses yeux, le gouvernement Trudeau est tombé dans « le piège » des élections à date fixe et reproduit « le modèle américain », dans lequel le parti au pouvoir est en mode électoral des mois, voire des années à l’avance.

Un nouveau balisage des dépenses préélectorales pourrait, selon Thierry Giasson, viser une période plus longue avant la campagne, sinon carrément limiter la teneur des promesses.

Plainte

Le Parti conservateur, par l’entremise du député Peter Kent, a envoyé une lettre au Commissaire aux élections fédérales, dont le rôle est de veiller à l’observation de la Loi électorale.

Dans la missive, M. Kent accuse le gouvernement Trudeau de « mener une campagne partisane aux frais des contribuables » et de « [déguiser] des narratifs de campagne en discours et communiqués de presse gouvernementaux officiels ». Il déplore notamment que des candidats non élus aient assisté à certaines annonces, violant, selon lui, la Loi électorale.

Le Parti libéral n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue à ce sujet, hier.

— Avec Serge Laplante, collaboration spéciale