(Ottawa) « La vie, c’est comme une boîte de chocolats. On ne sait jamais ce que l’on va y trouver », disait Forrest Gump dans le film culte qui porte son nom et qui a séduit les cinéphiles en 1994.

Cette boutade pourrait s’appliquer à la campagne électorale de 40 jours qui sera déclenchée aujourd’hui par le premier ministre Justin Trudeau. Des surprises, le scrutin du 21 octobre risque d’en produire son lot.

L’effondrement du Nouveau Parti démocratique (NPD) dans les intentions de vote, conjugué à la montée du Parti vert dans plusieurs régions du pays et à un certain regain de vie du Bloc québécois au Québec, fait en sorte que les jeux sont loin d’être faits. Les libéraux de Justin Trudeau le savent, même s’ils se montrent confiants d’obtenir un deuxième mandat des électeurs.

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Le chef du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer, était à Montréal, vendredi dernier, pour s’adresser à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Quant à eux, les conservateurs d’Andrew Scheer sont conscients qu’une victoire est loin d’être acquise, même si les sondages les placent à égalité avec leurs éternels rivaux à l’échelle nationale, gracieuseté de l’affaire SNC-Lavalin qui montre toutefois des signes d’essoufflement.

Deux fois plus courte que celle de 2015, la présente campagne pour séduire les électeurs aura donc toute son importance. Dans une campagne écourtée qui comptera au moins trois débats des chefs, le droit à l’erreur est quasi inexistant. 

Le Québec, qui détient 78 des 338 sièges que compte la Chambre des communes, sera au cœur de la stratégie des partis.

Dans le passé, les électeurs du Québec ont démontré qu’il ne faut pas tenir leur loyauté pour acquise. En 2011, ils sont passés massivement du Bloc québécois au NPD pour provoquer la vague orange. En 2015, ils ont abandonné en grand nombre les néo-démocrates pour appuyer les candidats libéraux, ce qui a permis à Justin Trudeau et à son parti de passer de la troisième position à la première le jour des élections.

« L’électorat au Québec est le plus volatil au pays. On ne peut rien tenir pour acquis », a-t-on pris soin de souligner hier dans les rangs libéraux.

Un nouveau terrain de jeu

L’hémorragie des appuis du NPD au Québec ouvre un terrain de jeu aux autres partis. Le Parti libéral mise sur des gains au Québec pour compenser les pertes de sièges qu’il anticipe dans les provinces atlantiques et dans l’Ouest. Justin Trudeau entend participer à un grand rassemblement à Montréal dès les premiers jours de la campagne.

Le Parti conservateur, pour sa part, ambitionne de remporter au moins 20 sièges dans la Belle Province afin d’arracher le pouvoir aux libéraux. Andrew Scheer lancera sa campagne nationale à Trois-Rivières aujourd’hui, signe qu’un retour au pouvoir passe inexorablement par des gains au Québec.

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Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a visité le quartier général de son parti à Ottawa, samedi dernier.

Le NPD, qui compte 15 sièges au Québec, cherche à sauver les meubles dans la province pour ne pas sombrer à nouveau dans la marginalité après être passé près du pouvoir en 2015.

Enfin, le Bloc québécois reluque aussi une vingtaine de sièges pour clouer le bec à ceux qui s’amusent à écrire sa nécrologie depuis huit ans.

Dans les rangs libéraux, on souhaite articuler la campagne autour d’un thème. On plaidera pour la continuité à Ottawa afin de mener à bien les grands chantiers de changement lancés au cours des quatre dernières années : la réduction des inégalités sociales, la lutte contre les changements climatiques et la réconciliation avec les peuples autochtones, entre autres. Ils miseront sur les forces de leur chef, qui sait relever d’un cran son jeu quand la pression est forte et qui carbure aux bains de foule. Et ils espèrent que les milliards de dollars qu’ils ont fait pleuvoir dans plusieurs circonscriptions cruciales en août et au début de septembre rapporteront des dividendes le jour du vote.

Un référendum sur le bilan libéral

Chez les conservateurs, on tient à ce que cette campagne soit un référendum sur le bilan du gouvernement libéral. La question qu’ils poseront aux électeurs : « Voulez-vous quatre autres années de gouverne sous Justin Trudeau ? » Ils étofferont cette question en soulevant l’affaire SNC-Lavalin, les déficits qui s’accumulent, les promesses jetées aux orties et les conflits diplomatiques avec la Chine, l’Inde et l’Arabie saoudite, entre autres.

La bataille des idées s’annonce corsée. Les coups bas vont aussi fuser. Et les imprévus vont faire dérailler les stratégies politiques soigneusement élaborées depuis des mois. Car les rebondissements demeurent inhérents à toute campagne électorale.

L’issue de cette campagne déterminera l’avenir de certains des chefs en poste. En tête de liste, le chef du NPD, Jagmeet Singh, qui risque de se faire montrer la porte par ses troupes s’il ne parvient pas à relancer son parti. Le NPD se fait souffler dans le cou par le Parti vert d’Elizabeth May depuis quelques mois et il pourrait connaître son pire résultat électoral en un quart de siècle, soit depuis les élections de 1993, quand il n’avait remporté que neuf sièges sous la houlette d’Audrey McLaughlin. Déjà, des murmures d’insatisfaction se faisaient entendre dans les rangs néo-démocrates en février, alors qu’il tentait de se faire élire aux Communes dans Burnaby-Sud lors d’une élection partielle.

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La chef du Parti vert du Canada, Elizabeth May, a participé à un événement sur le climat à Toronto, le 3 septembre.

À la tête du NPD depuis octobre 2017, M. Singh jouit d’un avantage : les attentes sont peu élevées à son endroit. Ses adversaires pourraient quand même commettre une erreur en le sous-estimant.

Et Maxime Bernier, dans tout cela ?

Le chef du Parti populaire du Canada (PPC), Maxime Bernier, se retrouve dans une situation tout aussi délicate alors qu’il risque d’être exclu de tous les débats des chefs. 

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Le chef du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier, à Ottawa, le 4 septembre

Sa carrière politique et la survie même de son parti, qu’il a créé il y a un an après avoir claqué la porte du Parti conservateur, sont en jeu durant cette campagne. Cela explique pourquoi les conservateurs mettent toute la gomme afin de l’envoyer au chômage politique dans sa circonscription de Beauce.

Une défaite de Maxime Bernier pourrait sonner le glas de son nouveau parti. Pour ajouter à l’intrigue de la bataille politique dans Beauce, le Parti Rhinocéros a confirmé l’identité de son candidat hier. Et il porte le même nom que le chef autoproclamé du Parti populaire.

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Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, à Ottawa, en janvier dernier

Le Bloc retrouve ses repères

Pour ce qui est du Bloc québécois, son chef Yves-François Blanchet, qui n’a pas de siège à la Chambre des communes, est déjà en position de force avant même que Justin Trudeau ne donne le signal de départ. Sa formation politique, qui compte 10 sièges et qui était à l’agonie alors qu’elle était dirigée par Martine Ouellet, semble avoir retrouvé ses repères. Mieux encore, M. Blanchet a un sens de la réplique qui pourrait déstabiliser ses adversaires durant les débats. Signe de la confiance qu’il a en ses moyens, il a prédit une récolte d’au moins 20 sièges au Québec. Un tel résultat redonnerait au Bloc québécois une influence non négligeable si le verdict des électeurs devait se traduire par l’élection d’un gouvernement minoritaire le 21 octobre.