Pendant des années, le Parti québécois (PQ) avait droit d’aînesse sur le parti frère d’Ottawa. Le Bloc québécois se faisait l’écho à la Chambre des communes des prises de position de la maison mère. Sous Gilles Duceppe, les manchettes voulant que le Bloc mette « sa machine » au service du Parti québécois lors des élections provinciales faisaient sourire ; le parti fédéral n’avait d’autre organisation que celle que lui fournissait le chef péquiste.

Les choses ont changé brutalement, lundi. Pour la première fois, le Bloc québécois peut tenir la dragée haute à celui qui est devenu « le petit frère » de Québec. Le Bloc québécois a fait élire 32 députés, mais Justin Trudeau a obtenu à la fois plus de sièges et plus de votes au Québec ; un résultat plutôt décevant pour François Legault – la somme des votes péquistes et caquistes aurait dû donner un meilleur résultat. Mais le Bloc a réussi une performance étonnante en triplant le nombre de ses députés.

Lundi soir, Yves-François Blanchet jouait plutôt en sourdine le plan de match souverainiste qui avait été à l’origine de la création du Bloc québécois. Mais à Québec, le PQ n’a pas boudé son plaisir – les bonnes nouvelles sont rares pour le parti relégué sous les combles de l’Assemblée nationale.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le Bloc québécois d’Yves-François Blanchet a remporté lundi 32 des 78 sièges que compte le Québec.

Pour le chef intérimaire péquiste Pascal Bérubé, la campagne de son ancien collègue du gouvernement Marois, « une campagne fantastique, […] a permis d’élire 32 députés pas seulement nationalistes, 32 députés indépendantistes ». Selon lui, « 100 % des 78 candidats [bloquistes] sont des indépendantistes. Donc, bien sûr qu’ils vont porter les consensus du Québec nationaliste, mais personne n’a renoncé à ses convictions indépendantistes. C’est 32 députés pour qui… leur seul pays est le Québec », a ajouté Bérubé, reprenant la formule de Jean Duceppe, homme de théâtre et père de Gilles, devant le cercueil de l’entente du lac Meech.

Outre Yves-François Blanchet, plusieurs députés bloquistes ont déjà siégé à Québec sous la bannière péquiste : Stéphane Bergeron, pour qui c’est un retour aux Communes, et Alain Therrien, le sanguin député de Sanguinet. Mais aussi les Andréanne Larouche, Mario Simard, Christine Normandin, Sébastien Lemire, Sylvie Bérubé qui, par le passé, avaient déjà été candidats malheureux pour le Parti québécois ou des élus dans les instances du parti. Le chef de cabinet du chef bloquiste sera probablement Mathieu Boulianne, fils d’un ex-député péquiste. France Amyot, cheffe de cabinet de Jean-François Lisée, a aussi mis l’épaule à la roue pour le Bloc.

La bonne fortune du Bloc est un bol d’oxygène pour le Parti québécois. Mais il pourrait y avoir des séquelles. Avec 32 députés, 32 bureaux au Parlement, 32 bureaux de circonscription à pourvoir, le nouveau grand frère donnera un coup d’aspirateur dans les effectifs péquistes. Les salaires et conditions de travail sont bien meilleurs sur la scène fédérale, le pouvoir d’attraction est incomparable. Pour un parti qui doit organiser une course à la direction le printemps prochain, ce n’est pas une bonne nouvelle. Déjà, le cabinet du chef intérimaire Pascal Bérubé a perdu une employée, Kristina Michaud, élue sous les couleurs du Bloc dans Avignon-La Mitis-Matane-Matapédia.

À Ottawa, le Bloc aura passablement de grain à moudre ; les demandes du gouvernement Legault n’ont suscité qu’indifférence chez Justin Trudeau. La cause de la déclaration de revenus unique est entendue. Les pouvoirs accrus du Québec en immigration et l’application de la Charte de la langue française aux firmes fédérales ne pèsent pas lourd dans la liste des priorités du gouvernement libéral. Et par-dessus tout, en campagne électorale, le premier ministre Trudeau n’a pas été tendre à l’égard de la loi québécoise qui interdit le port du voile aux enseignantes.

« La population du Québec, à travers cette élection, à travers les mois qui vont suivre, va réaliser que la seule avenue, c’est que le Québec se gouverne de lui-même », a soutenu le chef péquiste. Yves-François Blanchet a un tempérament sanguin ; ceux qui l’ont vu sur la Grande Allée quand il avait tiré un prix de consolation dans le gouvernement de Pauline Marois s’en souviennent. Il s’attendait à être ministre, il avait été nommé whip, préfet de discipline de son parti. Sans le départ imprévisible de Daniel Breton de son poste de ministre de l’Environnement, Blanchet aurait passé son tour. Après son coup de colère, Mme Marois lui a confié le poste laissé vacant, même si rien ne le prédisposait à l’Environnement. Au terme d’un parcours sans faute durant la campagne fédérale, Blanchet est à l’évidence parvenu à conserver son calme. Mais pour combien de temps ?

Quand elle apparaîtra, cette attitude combative ne trouvera guère d’échos chez François Legault. Pas question pour lui de jouer les boutefeux, d’entamer une guérilla politique avec le gouvernement Trudeau. C’était clair hier, c’est Justin Trudeau que François Legault a choisi comme interlocuteur à Ottawa, et non Yves-François Blanchet. À la source de ce choix, ce constat fait par le chef caquiste : « Les Québécois n’ont pas le goût de la souveraineté. »

Rectificatif
Ce texte a été modifié pour corriger un passage qui indiquait que Kristina Michaud avait quitté le cabinet du chef intérimaire péquiste Pascal Bérubé afin de travailler pour une nouvelle députée bloquiste. Elle est plutôt devenue députée du Bloc.