À coups de #TrudeauMustGo, des profils Twitter extrêmement actifs au cours des derniers mois se révèlent aussi à l’origine de nombreuses publications #MakeAmericaGreatAgain, laissant croire à l’intrusion de groupes de droite des États-Unis dans le débat électoral canadien. C’est ce qu’avance la spécialiste en intelligence artificielle Reihaneh Rabbany dans une étude parue jeudi dernier, qui permet de jeter un nouvel éclairage sur un phénomène connu, mais encore mystérieux.

Mme Rabbany et son équipe de l’Université McGill ont collecté, nettoyé et analysé 1,3 million de publications en lien avec les élections sur le réseau social depuis le mois d’avril. Afin de comprendre les dynamiques derrière ces publications, son équipe et elle ont conçu des algorithmes ayant pour but la détection de toute activité sortant de l’ordinaire : c’est ce que la chercheuse appelle la « détection d’anomalies ».

Les résultats pointent vers 13 grappes de comptes fortement interconnectés, et dont les publications sur le réseau sont similaires, voire identiques. Une portion non négligeable de ces comptes se trouve à être des bots, c’est-à-dire de faux comptes automatisés qui se « suivent » les uns les autres et dont l’activité est souvent prévisible, répétitive, mais prolifique.

En inondant les réseaux sociaux de ces mots-clics, les acteurs malveillants font émerger des « tendances », ce qui, en retour, permet de conforter les impressions des utilisateurs du réseau de manière très importante.

Dans un article publié l’été dernier, le National Observer a relevé que dans la seule journée du 19 juillet, le mot-clic #TrudeauMustGo a été publié un peu plus de 52 300 fois. À son plus fort, le débit atteignait près de 3500 publications l’heure. La tendance s’est maintenue plusieurs jours d’affilée.

L’étude de Reihaneh Rabbany et de son équipe permet pour la première fois de tracer un lien direct entre les #TrudeauMustGo et les #MakeAmericaGreatAgain. « Si l’on s’attarde sur le contenu publié par ces comptes, c’est surtout axé sur la politique américaine. Cependant, ils sont aussi fortement impliqués dans la politique canadienne », indique la scientifique, qui est aussi titulaire d’une chaire de recherche à l’Institut canadien de recherche avancée (CIFAR) et affiliée au pôle de recherche en intelligence artificielle Mila.

Parmi les mots-clics les plus récurrents se trouvent #TrudeauMustGo, #liberalsmustgo, #Scheer4pm, #MAGA, #MakeAmericaGreatAgain, #NotMyPM, et, non sans ironie, #notabot (« pas un robot »). D’autres mots-clics communs sont associés à l’extrême droite, comme #QAnon, renvoyant au mouvement du même nom à l’origine de théories conspirationnistes.

Des difficultés d’identifier et de mesurer

Qui se cache derrière ces opérations ? « C’est la question à un million de dollars », répond Mme Rabanny. Non seulement leur identité est impénétrable, mais il est impossible de savoir avec certitude si ces comptes propagandistes sont établis aux États-Unis, au Canada, en Russie ou ailleurs. « Seul Twitter pourrait le savoir. Si Twitter voulait faire enquête, ils auraient les meilleurs outils pour le faire », dit-elle.

« Ces réseaux sociaux sont très facilement manipulables et deviennent donc de puissants outils pour influencer l’opinion publique », a déclaré la chercheuse. Celle-ci n’hésite pas à dresser un parallèle avec les cas du Brexit en 2016 et la présidentielle américaine qui a porté Donald Trump au pouvoir.

La plus grande difficulté réside cependant dans la manière dont pourrait se traduire cette campagne de propagande dans l’isoloir. Une étude publiée dans le journal scientifique First Monday l’été dernier a démontré que chaque tranche de 25 000 publications pro-Trump provenant de bots russes sur Twitter était corrélée avec une hausse de 1 % dans les intentions de vote pour Donald Trump.

Cela dit, une corrélation n’implique pas un rapport de cause à effet. Il est donc imprudent de montrer du doigt la propagande sur les réseaux sociaux comme facteur principal derrière son élection.

La réponse d’Élections Canada

Élections Canada, qui effectue sa propre veille des réseaux sociaux, soutient avoir « détecté certains renseignements inexacts à propos du processus électoral », mais explique que « rien n’indique qu’il y ait eu de vastes répercussions sur le vote jusqu’à présent ». 

Son équipe de repérage des réseaux sociaux est chargée de surveiller les publications publiques sur Facebook et Twitter afin d’éviter la diffusion de fausses informations sur le déroulement du vote (où, quand et comment), le processus d’identification des électeurs ou d’autres « facettes importantes du processus électoral et de la participation ».

Elle a aussi pour tâche de déceler tout signe de problèmes opérationnels qui pourraient nuire à la capacité des électeurs de voter, comme un évènement météorologique important ou des témoignages selon lesquels il y aurait des files d’attente anormalement longues dans des bureaux de vote.

— Avec la collaboration de Fanny Lévesque, La Presse