(Trois-Rivières) Andrew Scheer y a lancé sa campagne, Justin Trudeau s’y est arrêté dès les premiers jours, Jagmeet Singh y a fait son tour quelques fois au cours de la dernière année et le Bloc québécois se verrait bien profiter d’une lutte serrée pour se faufiler. Les quatre principaux partis misent gros sur Trois-Rivières. Survol des forces en présence.

Les enjeux

Il est un peu ardu de poser une étiquette unique à la circonscription. Longtemps connue pour son caractère industriel, Trois-Rivières a vu, au fil des années, les fermetures d’usines s’accumuler et son taux de chômage augmenter. Or, conséquence de la pénurie de main-d’œuvre, seulement 5,5 % des citoyens y sont aujourd’hui sans emploi, une performance un peu en haut de la moyenne québécoise (4,7 %), mais légèrement inférieure à la moyenne canadienne (5,7 %). Comme ailleurs, le défi est toutefois de pérenniser de « bons emplois » qui ne sont pas seulement concentrés dans les services.

Trois-Rivières, c’est toutefois une circonscription vieillissante. Selon les données du recensement fédéral de 2016, près du quart de la population (24,2 %) y est âgée de 65 ans et plus, ce qui est largement plus élevé qu’au Québec et au Canada – respectivement 18,3 % et 16,9 %.

À 47 490 $, le revenu médian des ménages y est aussi beaucoup plus bas qu’à l’échelle du pays (70 336 $), selon Statistique Canada.

Les candidats qui y briguent les suffrages ne sont pas divisés quant aux dossiers prioritaires de l’endroit. Le train à grande fréquence (TGF), par exemple, est sur toutes les lèvres. Le projet de corridor ferroviaire reliant Québec à Windsor, en Ontario, est dans les cartons depuis des décennies, et Trois-Rivières l’attend impatiemment. On y voit un accélérateur de développement économique, touristique et démographique.

Le dédommagement des victimes de la pyrrhotite est aussi au cœur des engagements des candidats. Les dommages causés par la présence de ce minéral dans les fondations de maisons de la région sont devenus un cauchemar pour des milliers de citoyens, qui doivent lancer des rénovations qui se chiffrent parfois dans les centaines de milliers de dollars. Le gouvernement libéral a annoncé une aide de 30 millions dans son budget 2016, mais la crise n’est toujours pas jugulée.

Nouveau Parti démocratique

Une campagne verte pour sauver les meubles

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Robert Aubin, député du Nouveau Parti démocratique dans Trois Rivières

La vague orange a valu à Robert Aubin un appui incommensurable de plus de 50 % des voix en 2011. La course a été autrement plus serrée en 2015, mais il a su garder la confiance des électeurs.

La poignée de main solide, le verbe facile, cet ex-enseignant au secondaire n’a pas besoin de se faire prier pour parler de sa région et énumérer les dossiers chauds du moment.

Le jour même du déclenchement des élections, le député sortant est tout sourire lorsqu’il accueille La Presse à son local électoral en plein cœur de Trois-Rivières. Pourtant, un sondage dévastateur publié ce matin-là dans Le Nouvelliste lui donnait à peine plus de 5 % des intentions de vote. Un score difficile à dissocier de la chute de popularité du NPD dans la province.

Or, M. Aubin ne s’est pas laissé abattre. À l’instar de son parti, qu’il voit détenir la balance du pouvoir dans un gouvernement minoritaire, il met de l’avant un programme résolument axé sur l’environnement. Les « nouvelles industries » qu’il compte attirer dans cette ville universitaire se consacreront au développement des technologies vertes, promet-il. « Il y a toute une économie à changer. »

Inquiet de l’impact sur les milieux humides près du fleuve Saint-Laurent et de la rivière Saint-Maurice, le conseil municipal de Trois-Rivières avait formellement rejeté le projet d’oléoduc Énergie Est il y a deux ans. Le candidat néo-démocrate espère que ce vent d’opposition sera aujourd’hui un atout pour son camp.

« Si vous êtes électeur à Trois-Rivières et que vous êtes pro-pipeline, vous avez deux partis qui répondent assez bien à vos aspirations », résume-t-il.

L’appel est lancé.

Bloc québécois

La reconquête

PHOTO FRANÇOIS GERVAIS, ARCHIVES LE NOUVELLISTE

Louise Charbonneau, candidate du Bloc québécois dans Trois-Rivières

Le moins qu’on puisse dire, c’est que la candidate bloquiste Louise Charbonneau n’est pas animée de l’instinct d’une tueuse.

Selon elle, le député néo-démocrate Robert Aubin a fait « un excellent travail ». Son adversaire libérale Valérie Renaud-Martin est « une dame charmante ». De son rival conservateur, l’ex-maire Yves Lévesque, elle note simplement que « sa force, c’était le municipal, mais au fédéral, c’est autre chose ».

N’empêche, « la force du Bloc va être là ! », assure-t-elle.

Cette ancienne présidente de l’association locale du parti estime que la nomination du chef Yves-François Blanchet a galvanisé les souverainistes du coin. Il faut dire que le Bloc a encore des racines solides dans Trois-Rivières, qui lui a été fidèle de 1993 jusqu’à 2011.

Dans cette circonscription « âgée », comme le reconnaît Mme Charbonneau, ses troupes pourraient marquer des points avec leur proposition de bonifier le supplément de revenu garanti, un dossier dans lequel la formation a historiquement été très active. La candidate estime également que la Loi québécoise sur la laïcité de l’État est « prioritaire pour les gens d’ici ». Tout comme la lutte contre les changements climatiques.

Elle vante à ce titre le dynamisme de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), donnant en exemple son Institut d’innovations qui travaille actuellement au développement de matériaux issus de la biomasse pour remplacer le plastique. « Une innovation de Trois-Rivières ! », s’exclame Mme Charbonneau.

La candidate souhaite également que son parti soit en première ligne dans l’aide aux médias écrits, militant pour la survie du quotidien Le Nouvelliste.

Peut-être, convient-elle, que le Bloc ne profite pas de la même visibilité médiatique que ses adversaires au cours de cette campagne. « Mais on ne reculera pas d’un pouce », assure-t-elle.

Parti conservateur

Le nouveau défi du maire à vie

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Yves Lévesque, candidat du Parti conservateur dans Trois-Rivières, serre la main de son chef, Andrew Scheer (à gauche).

Il parle à une vitesse phénoménale, enchaîne les sujets, s’interrompt constamment pour distribuer poignées de main, bises et autres « salut, mon chum ! » à ses partisans croisés dans les rues de la ville.

Yves Lévesque se passe assurément de présentation pour les électeurs de Trois-Rivières. Celui qui a été leur maire de 2001 à 2018 sollicite aujourd’hui leur vote sous la bannière conservatrice.

Connu comme Barabbas dans la Passion, il était la tête d’affiche du lancement de campagne du parti le 11 septembre dernier. À sa dégaine, on aurait facilement pu croire que le chef, c’était lui. Son discours était pourtant destiné à introduire Andrew Scheer à la foule.

En entrevue, il est néanmoins dithyrambique à l’égard de son chef, « un homme extraordinaire » avec qui il se voit devenir « le parrain de la santé économique et environnementale du Canada ».

Yves Lévesque était encore maire de Trois-Rivières lorsque le conseil qu’il dirigeait a rejeté le projet Énergie Est. Le voilà aujourd’hui au sein d’un parti qui rêve de transport de pétrole pancanadien. Interrogé à ce sujet, le candidat reprend, à la virgule près, l’argumentaire de son chef : le Canada est en « transition », et le « corridor énergétique » conservateur transporterait du « pétrole canadien ». « On est pour l’environnement, mais de façon pragmatique », résume-t-il.

Il abhorre la taxe carbone – « as-tu déjà vu une taxe qui fonctionne ? » – et répète deux fois une phrase qu’il attribue à Andrew Scheer : « Un dollar dépensé par celui qui l’a gagné est mieux dépensé que s’il est taxé par le gouvernement. »

« C’est ma philosophie aussi. »

Parti libéral

Éloge du potentiel

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Valérie Renaud-Martin, candidate du Parti libéral du Canada dans Trois-Rivières, a reçu la visite de son chef, Justin Trudeau (à gauche), dans les premiers jours de la campagne électorale.

En novembre 2017, elle entrait à l’hôtel de ville comme conseillère municipale. Voilà qu’elle vise aujourd’hui le Parlement.

Attablée au café Morgane, Valérie Renaud-Martin ne fait pas de cachette : en se présentant pour le Parti libéral, elle souhaite « asseoir Trois-Rivières à la table des décideurs », référence au fait que la circonscription n’a connu aucun député au sein du gouvernement fédéral depuis le dernier mandat de Brian Mulroney.

Même dans l’opposition, elle se verrait « se donner corps et âme » pour ses électeurs, assure celle qui se décrit d’abord et avant tout comme une « rassembleuse ».

« Je veux qu’on parle de Trois-Rivières de façon positive. On a tellement de potentiel », insiste-t-elle.

« Les gens sont fiers de leur ville, de la voir rayonner. On a une communauté créative, très humaine. Tout le monde qui passe ici le découvre. »

Ce potentiel, elle le voit elle aussi s’incarner dans les « technologies vertes » qu’elle souhaite voir germer dans la région pour y ramener des emplois – et des salaires – plus alléchants, mais aussi pour y attirer de jeunes familles et ralentir le vieillissement de la population.

Plus que tout, le projet de TGF a, selon elle, le potentiel de faire de sa ville « une plaque tournante du transport ». Attirées par un coût de la vie modeste et un accès facile à la propriété, des familles pourraient s’y installer et conserver leur emploi à Montréal, dit-elle. Ou à l’inverse, des entreprises de la métropole pourraient y déplacer leurs bureaux sans déraciner leurs employés.

« C’est une mentalité à inventer », dit la candidate.