Comme il l’avait fait en 2015, Justin Trudeau s’est entraîné hier matin en mettant ses gants de boxe pour se détendre dans le ring avant de participer à son premier débat de la campagne électorale. Mais quand il s’est pointé dans les studios de TVA pour affronter ses adversaires, le chef libéral a passé une bonne partie de la soirée dans les câbles à défendre son bilan des quatre dernières années.

Durant le débat de deux heures, Justin Trudeau a encaissé plusieurs coups du chef conservateur Andrew Scheer, qui était resté loin des caméras toute la journée pour se préparer à l’affrontement. Le chef libéral a aussi goûté à la médecine du chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) Jagmeet Singh, qui a démontré une maîtrise impressionnante de la langue française malgré les pressions auxquelles il était soumis pour sauver les meubles de son parti au Québec.

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De gauche à droite : Yves-François Blanchet, Andrew Scheer, l’animateur Pierre Bruneau, Justin Trudeau et Jagmeet Singh

Pendant ce temps, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui participait à son premier débat depuis qu’il dirige la formation souverainiste, a parfois joué le rôle d’un pédagogue durant la soirée, consacrant de précieuses minutes de son temps de parole à expliquer les positions de son parti et à défendre sa pertinence au lieu de s’attaquer aux autres leaders qui courtisent aussi les électeurs du Québec. La fougue et la passion qu’avait toujours démontrées l’ex-chef bloquiste Gilles Duceppe lui ont fait cruellement défaut hier soir.

La soirée a toutefois mal commencé pour Andrew Scheer, qui a dû de nouveau expliquer la position de son parti sur l’avortement. Il a été accusé à tour de rôle par Justin Trudeau, Jagmeet Singh et Yves-François Blanchet de vouloir priver les femmes du droit de choisir. Le chef conservateur cachait mal son inconfort d’avoir à répéter qu’un gouvernement conservateur ne rouvrirait pas ce dossier dès les premières minutes de cette joute oratoire. Malgré les questions répétées, il a plus ou moins habilement évité de dire quelle était sa position personnelle sur cette délicate question. « J’ai pris un engagement clair. Les Québécois et les Québécoises peuvent avoir confiance que sous un gouvernement conservateur, ce débat ne va pas être rouvert. »

Comme il fallait s’y attendre, le dossier de la Loi sur la laïcité a provoqué des flammèches. Interpellé par le chef bloquiste Yves-François Blanchet, Justin Trudeau a réitéré qu’il s’opposait à cette loi « discriminatoire » et qu’il n’écartait pas une contestation devant les tribunaux s’il était reporté au pouvoir. Mais il a étoffé sa réponse en disant que le gouvernement fédéral a la responsabilité de défendre les droits des minorités ethnoculturelles, au même titre qu’il doit défendre les droits des minorités francophones, les droits des femmes ou ceux des communautés LGBTQ. « Nous allons défendre les droits des minorités. Une société libre ne devrait pas rendre légitime la discrimination », a-t-il insisté.

Opportuniste, le chef bloquiste a profité de l’occasion pour rappeler que Justin Trudeau rejette « toutes les demandes » du gouvernement de François Legault.

M. Trudeau s’est aussi retrouvé sur la défensive lorsqu’il a dû expliquer son refus catégorique de rouvrir la Constitution afin d’obtenir la signature du Québec. Cela lui a valu les reproches du chef du NPD Jagmeet Singh, qui a affirmé qu’il s’agissait d’une « erreur historique » qui devait être corrigée.

L’épouvantail de Stephen Harper

Durant la soirée, Justin Trudeau a souvent agité l’épouvantail de Stephen Harper pour attaquer son principal adversaire, rappelant les années de compressions des conservateurs pour rétablir l’équilibre budgétaire. Andrew Scheer a fini par riposter par une ligne assassine. « Les Québécois s’ennuient de Stephen Harper depuis que vous êtes allé en Inde avec vos costumes », a-t-il lâché.

Le chef conservateur, qui a réussi à énumérer plusieurs des engagements que son parti a pris jusqu’ici, a aussi fait admettre à Justin Trudeau qu’il n’écartait pas l’idée de décriminaliser la possession simple de toutes les drogues, comme l’ont déjà proposé certains députés libéraux. « Pas tout de suite », a dit le chef libéral lorsqu’il a été interpellé par l’animateur Pierre Bruneau. Relancé sur cette question par Andrew Scheer, Justin Trudeau a tenté de nuancer en disant « pas maintenant ».

Souvent critiqué pour son manque de charisme, Andrew Scheer a profité d’une autre séquence pour attaquer Justin Trudeau sur son bilan environnemental, en révélant que le Parti libéral utilise deux avions durant la campagne électorale — « un avion pour vous et les médias et un autre avion pour vos costumes et des canots ».

Surpris, le chef libéral a soutenu que sa campagne achète des crédits de carbone alors que le camp conservateur refuse d’en faire autant et, surtout, refuse de reconnaître l’urgence de lutter contre les changements climatiques.

À ce sujet, Justin Trudeau a dû de nouveau défendre la décision de son gouvernement d’acheter l’oléoduc Trans Mountain au coût de 4,5 milliards de dollars après avoir été accusé par Jagmeet Singh de s’en tenir à « de belles paroles » dans le dossier environnemental qui préoccupe les jeunes.

Andrew Scheer, qui a brillé par son absence à la grande marche pour l’environnement à Montréal et dans plusieurs villes du pays, vendredi dernier, a aussi été pris à partie par le chef du NPD, qui l’a accusé de vouloir imposer un pipeline sur le territoire du Québec contre la volonté « de la nation québécoise ». Le principal intéressé s’est défendu en disant qu’il voulait une solution « gagnante-gagnante » qui permettrait aussi au Québec d’exporter davantage d’hydroélectricité vers les autres provinces.

Rude bataille

Le débat à TVA a eu lieu le jour même où la firme de sondage Léger confirmait que le Parti libéral, le Parti conservateur et le Bloc québécois sont engagés dans une rude bataille pour obtenir le précieux vote des électeurs francophones au Québec. Selon la firme, les troupes de Justin Trudeau récoltent 28 %, à égalité avec les conservateurs d’Andrew Scheer, tandis que le Bloc québécois d’Yves-François Blanchet rôde dans les parages avec 26 %.

Sans l’appui des électeurs francophones au Québec, les libéraux de Justin Trudeau risquent de voir leurs chances de former un deuxième gouvernement majoritaire de suite réduites à néant. À l’échelle du Québec, le Parti libéral demeure en tête avec 34 %, le Parti conservateur est bon deuxième avec 25 %, tandis que le Bloc québécois récolte 21 %. Le NPD doit se contenter de 10 %, mais il dépasse le Parti vert, qui obtient 8 %. Le Parti populaire du Canada de Maxime Bernier récolte un famélique 2 %.

À l’échelle du pays, la lutte demeure serrée entre le Parti libéral et le Parti conservateur. Après trois semaines de campagne, d’annonces et de ralliements, la question de l’urne qui fera bouger l’aiguille des sondages ne s’est pas encore imposée. Aucun n’a réussi à inspirer les électeurs jusqu’ici.

Les chefs reprennent la route aujourd’hui. Certains vont se targuer d’avoir remporté la victoire. La joute oratoire d’hier soir, habilement arbitrée par l’animateur Pierre Bruneau, sonne le coup d’envoi de la vraie campagne.