(Bathurst) À l’aube du scrutin du 21 octobre, notre chroniqueur est allé à la rencontre des électeurs des provinces maritimes. Premier arrêt : Bathurst, où il a pris des nouvelles de l’ex-député néo-démocrate, Yvon Godin.

Encore impliqué en politique, monsieur Godin ?

« Pas du tout. Je fais de la moto. »

Il ouvre la porte du garage de son bungalow de Bathurst, et une Harley bleu royal rutilante se découvre. Avec sa conjointe Lyna Mainville, ils vont visiter les enfants, les petits-enfants… à Gatineau.

Plus impliqué officiellement, mais encore la semaine dernière, à l’encan annuel du Village acadien, tout le monde lui demandait de revenir.

Il faut dire qu’il est parti en 2015 en pleine gloire, après 18 ans comme député de la péninsule acadienne. À sa dernière élection, en 2011, il a remporté 70 % des suffrages.

« Ça fait chaud au cœur. Mais après 18 ans, il fallait que j’arrête. Tu prends l’avion pour Ottawa à 5 h le lundi, tu reviens à minuit le jeudi, tu as du bureau le vendredi, des activités toute la fin de semaine, et ça recommence le lundi… Et j’ai fait à peu près la même chose comme syndicaliste pendant 20 ans. »

Pas impliqué officiellement, mais il ne s’est pas gêné cet été pour dénoncer l’absence totale de Jagmeet Singh dans les Maritimes. « Ça faisait mal de voir ça. Il ne s’est occupé que des grandes villes. »

Jusqu’à la semaine dernière, après une série de défections vers les verts, il n’y avait toujours pas de candidats du Nouveau Parti démocratique (NPD) au Nouveau-Brunswick.

Mais attention, ce matin, enfin, le chef du NPD vient présenter le candidat dans Acadie-Bathurst, la circonscription la plus francophone hors Québec (84 %).

« Ça va faire un gros boum ! » promet Yvon Godin, ragaillardi.

***

Yvon Godin était le dernier d’une famille de 11 enfants. Son père était bûcheron. À 41 ans, un accident de travail l’a rendu invalide. Yvon avait 2 ans. « On n’a pas eu la vie facile », dit-il, le regard embrumé de vieilles blessures et d’indignation.

Le bien-être social, c’était pas grand-chose, dans les années 50. Le gars du bien-être avait pitié de nous, il nous laissait de la nourriture.

Yvon Godin

Un par un, ses frères et sœurs ont quitté Allardville pour le nord de l’Ontario. « Les quatre plus vieux travaillaient dans le bois. En 1972, j’étais rendu seul à la maison. J’avais 16 ans, je suis allé travailler là-bas moi aussi, il n’y avait pas de job ici. J’ai été pompiste, j’ai travaillé à la scierie, dans une mine. »

Tant qu’à travailler dans une mine, aussi bien celle de zinc à Bathurst. Il est revenu à la maison.

« J’étais opérateur de machinerie sous terre. En 1976, six hommes se sont fait tuer en six mois. Un plafond est tombé sur un gars. Un cylindre en a pendu un autre. Ainsi de suite. Je voyais ça et j’ai décidé de m’impliquer en santé et sécurité. »

Ça n’a pas pris tellement de temps pour que Godin se révèle un organisateur fougueux, efficace et populaire. Il a été à la tête des Métallos dans la région, de toutes les luttes, de tous les combats sociaux.

***

« Mon père et moi, on se pognait tout le temps sur la politique. Tu pouvais pas trouver plus libéral que mon père, un vrai rouge teindu, comme on dit ici.

« Je lui disais : les Acadiens, on donne nos votes sur un plateau d’argent aux libéraux [surtout] pis aux conservateurs [rarement] pis on est toujours aussi pauvres ! Toute la famille a été obligée de partir de la région ! Mais y avait rien à faire. Il disait : Ed Broadbent [ex-chef du NPD], c’est un bon homme, c’est d’valeur qu’il soit NPD… Y avait comme aucun raisonnement, il allait être libéral pour toujours. En 1992, quand je lui disais que je pensais à me présenter, il disait : ‟Si t’es assez fou pour te présenter NPD, je suis assez fou pour pas voter pour toi !” »

En 1997, quand il l’a finalement fait, son père était mort.

« C’est mon plus grand regret : il n’a pas vu mon élection. »

***

Ce fut toute une élection. Il se présentait contre un ministre important de Jean Chrétien, Doug Young.

« Young était allé dire à Hamilton que les gens des Maritimes, c’étaient des lâches pis des paresseux. Il pensait que ça se rendrait pas ici. Dans le débat, je lui ai dit que lui aussi, s’il gagnait le salaire minimum, il serait un lâche pis un paresseux ! Quand les gens sont bien payés, ils sont vaillants. À la mine, personne quittait sa job. À la fonderie de Belledune non plus. Moi, j’ai aucune pitié pour les propriétaires d’usine de poissons qui manquent de personnel, ils les exploitent, les gens travaillent sept jours par semaine pendant huit semaines, puis après, ils peuvent même pas avoir le chômage. »

Moi, je dis aux jeunes : je veux pas vous voir à l’usine, allez à l’université ! Mais après, y a pas de job ici…

Yvon Godin

***

Il s’est battu pour maintenir la ligne de VIA Rail. Il s’est battu pour le français. Il a présenté un projet de loi pour obliger les candidats juges de la Cour suprême à être bilingues. Mais son combat le plus spectaculaire a été pour contrer les compressions à l’assurance-emploi.

« Si tu travailles huit semaines comme pêcheur, tu peux pas en faire 12, ni neuf. La pêche est fermée. Tu iras pas comme gérant dans un Canadian Tire pour faire tes semaines, penses-tu qu’ils veulent des gens qui partent deux mois chaque été ?

– Vous n’avez pas syndiqué les gens des usines de poisson ?

– T’as beau être syndiqué, quand t’as huit semaines de travail par année, ça va mal pour faire une grève. »

***

« Je veux être optimiste, mais comment veux-tu pas être pessimiste quand tu regardes ce qui se passe ? Nos gens s’en vont dans l’Ouest. Nos jeunes partent de la région. Frank McKenna a fait venir des centres d’appel au Nouveau-Brunswick. Tu sais qu’il y en a deux sortes ? Ceux que tu appelles pour avoir du service, les plus payants, et ceux qui appellent pour te vendre des affaires, au salaire minimum. Dans le Nord, on a eu les deuxièmes. J’accepte que pour le français, tu pèses toujours sur le 2, c’est ça, le Canada. Mais comme ils ont besoin de gens bilingues dans leurs centres, ils font venir des Acadiens dans les régions anglophones. Au Nouveau-Brunswick, le français, ça s’apprend, mais l’anglais, ça s’attrape. Alors nos gens s’anglicisent.

Comment veux-tu être optimiste ? Quand GM a besoin d’argent, quand Bombardier a besoin d’argent, y en a tout le temps. Mais ici, c’est toujours trop cher.

Yvon Godin

***

« Ma fierté ? C’est d’être sorti de la politique la tête haute. Les gens me remercient encore. J’ai essayé de rester proche du peuple. Regarde autour dans le quartier, c’est des maisons de la Société d’habitation du Nouveau-Brunswick. Mon voisin d’en arrière, c’est un refuge pour sans-abri. Ils m’ont demandé si ça me dérangeait qu’ils s’installent là. J’ai dit : tu veux-tu m’insulter ? J’aime ben mieux qu’ils soient mes voisins que de les voir dans la rue ! Y a des députés qui oublient d’où ils viennent, pas moi. J’ai toujours été plus fier de serrer la main de quelqu’un sur le bien-être que d’un banquier. »

***

Aux dernières élections, la péninsule acadienne a renoué avec sa vieille tradition rouge, et élu le libéral Serge Cormier avec 50,7 % des votes.

C’est clairement pour « Yvon » qu’on votait ici, plus que pour un chef ou un parti, et bien avant la « vague orange ».

Ça va prendre tout un « boum » ce matin avec ce nouveau candidat mystère, et la visite tardive d’un chef totalement absent des Maritimes jusqu’ici.

« C’est qui, ce candidat ?

 – C’est un secret, même son frère est pas au courant ! »

Par compenser, il m’a forcé à accepter une bouteille de son sirop d’érable de la vieille terre familiale. Et Lyna, en train de faire ses marinades, m’a mis un pot de « salade d’hiver » tout chaud dans la main.

C’est clairement un bon négociateur.

Prochain arrêt, demain : Balmoral, au Nouveau-Brunswick