(OTTAWA ) En juin, l’ancien président des États-Unis Barack Obama s’est assuré de partager une bière à la brasserie Big Rig, à Ottawa, en compagnie de son ami Justin Trudeau quelques heures avant d’aller prononcer un discours en soirée au Centre Canadian Tire.

Dans son discours, Barack Obama montrait « un optimisme prudent » même si la planète était devenue un endroit plus instable depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, un président hautement imprévisible.

« Je pense que la trajectoire à long terme de l’humanité va dans une bonne direction. Mais il y a des périodes sombres avant la renaissance », avait-il aussi lancé à son auditoire de plus de 11 000 personnes.

Alors qu’il occupait toujours la Maison-Blanche, Barack Obama voyait en Justin Trudeau son digne héritier pour continuer de porter le flambeau de ses ambitions progressistes à l’échelle de la planète.

PHOTO SHANNON VANRAES, REUTERS

Les images de Justin Trudeau le montrant le visage, le cou et les bras maquillés de noir (blackface) datant des années 90 et de 2001 ont fait les manchettes des grands médias du monde entier.

Depuis mercredi soir, son allié canadien vit assurément la période la plus trouble de sa carrière politique alors qu’il sollicite un deuxième mandat des électeurs.

Les images de Justin Trudeau le montrant le visage, le cou et les bras maquillés de noir (blackface) datant des années 90 et de 2001 ont fait les manchettes des grands médias du monde entier. Des quotidiens de langue anglaise de la Chine et de l’Inde – deux pays avec lesquels le Canada entretient des relations houleuses depuis des mois – ont fait leurs choux gras de l’affaire. Les images ont aussi continué d’enflammer les réseaux sociaux. Nul doute que Barack Obama, premier président noir des États-Unis, en a entendu parler.

À Winnipeg, hier, le chef libéral a de nouveau présenté ses excuses aux Canadiens. Il a affirmé que son comportement était totalement inacceptable et que son père aurait été déçu de lui. Il a attribué son insensibilité à ce geste « raciste » au fait qu’il venait d’un milieu privilégié et qu’il n’avait ainsi jamais été victime de discrimination.

Ronde d’appels

La publication de ces images a fait dérailler le plan de campagne des libéraux. L’annonce qui était prévue hier matin à Winnipeg a été annulée. En lieu et place de l’annonce, Justin Trudeau a continué le blitz d’appels qu’il avait entrepris avant même que le magazine américain Time ne publie mercredi soir la photo de lui le visage maquillé et portant un costume d’Aladdin. Il a présenté de vive voix des excuses à des ministres issus des communautés ethnoculturelles tels que le ministre de la Défense nationale, Harjit Singh Sajjan, et le ministre des Ressources naturelles, Amarjeet Sohi.

« Ce geste était aussi inacceptable à cette époque qu’il l’est aujourd’hui », a laissé tomber Harjit Singh Sajjan sur les ondes de la radio de la CBC de Vancouver. Portant lui-même un turban, M. Sajjan a toutefois invité les Canadiens à examiner le bilan du gouvernement qu’a dirigé Justin Trudeau depuis quatre ans au lieu de s’attarder à des écarts de conduite remontant à 2001.

Conscient de l’ampleur de la controverse, le principal intéressé a continué sa ronde d’appels hier matin auprès de candidats libéraux et de leaders des communautés culturelles au peu partout au pays. « Ce sera difficile. Les gens sont blessés. Mais je crois qu’ils sont prêts à passer l’éponge et à lui pardonner parce qu’il a un bilan positif », a affirmé hier le député libéral sortant de Hull-Aylmer, Greg Fergus, qui était président du Caucus canadien des parlementaires noirs durant le dernier mandat.

Justin Trudeau a aussi eu une discussion « difficile » à ce sujet avec ses enfants. Au début de l’après-midi, il s’est présenté devant les caméras pour faire de nouveau acte de contrition. « Je demande aux Canadiens de me pardonner », a-t-il notamment déclaré.

Ce mea-culpa sera-t-il suffisant pour éviter un ressac au sein de l’électorat ? La controverse fera-t-elle bouger l’aiguille des sondages en faveur des conservateurs ou des néo-démocrates ? 

Dans les rangs libéraux, on redoute que les images diffusées en boucle sur les réseaux d’information minent leurs chances d’obtenir un second mandat majoritaire.

Dans la grande région de Toronto, où les libéraux détiennent la majorité des sièges, plus de 50 % de la population est de descendance autre que britannique ou française. Dans la grande région de Vancouver, où les libéraux comptent aussi de nombreux sièges, les communautés ethnoculturelles représentent aussi plus de la moitié de la population.

« Si on savait que ces images existaient, pourquoi les stratèges du quartier général du parti n’ont-ils pas pensé les diffuser avant le déclenchement de la campagne ? Il aurait pu présenter ses excuses, aller au-devant des coups, et cela aurait éviter la controverse que l’on traverse en ce moment, en pleine campagne électorale », a laissé tomber une source libérale, qui a préféré garder l’anonymat afin de pouvoir s’exprimer plus librement.

Le malheur des uns…

En plus de plonger le pays dans une profonde introspection sur le racisme, les déboires de Justin Trudeau ont permis au chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, de s’illustrer comme la voix de la compassion. En point de presse, M. Singh s’est fait carrément demander par une journaliste si le chef libéral était raciste.

« Je crois que les Canadiens doivent répondre à cette question, a-t-il répondu prudemment. Mais je peux vous dire que je suis profondément troublé pour tout ce que cela veut dire pour le Canada. Les jeunes enfants vont voir non pas une, deux, mais plusieurs photos du premier ministre qui se moque de leur réalité. C’est tellement douloureux pour tellement de Canadiens. 

« Les gens qui ont été blessés par la violence ou par les mots, les gens qui n’ont pas pu décrocher un emploi à cause de la couleur de leur peau, ils se réveillent maintenant et voient le premier ministre de leur pays se moquer de leur réalité. C’est très douloureux. Je veux que ces gens qui croient n’avoir pas de valeur, ne pas être aimés, je veux que ces gens sachent qu’ils sont aimés et qu’ils doivent célébrer ce qu’ils sont », a-t-il ajouté.

« Il y a des périodes sombres avant la renaissance », a dit Barack Obama à Ottawa en juin. Dans les rangs libéraux, on se demande si la période trouble que traverse Justin Trudeau fera éclater la coalition progressiste qu’il a su assembler en 2015 et conduira à une certaine renaissance du NPD.