(Montréal) Les étincelles n’ont pas tardé à surgir au Grand Débat sur la culture et les médias, mercredi, alors que les candidats des partis fédéraux furent confrontés d’entrée de jeu à cette question : faut-il imposer les géants du numérique et les soumettre à la taxe de vente fédérale sur leurs services?

En pleine campagne électorale, ce débat a réuni à Montréal des candidats des principales formations politiques pour discuter des solutions proposées par chacun de leurs partis aux enjeux de la culture et des médias. Il était organisé par Culture Montréal, en partenariat avec le département de communication de l’Université de Montréal, le Pôle médias HEC Montréal et l’École des médias de l’UQAM.

Y participaient Pablo Rodriguez du Parti libéral (qui était le ministre de la Culture et du Patrimoine au moment de la dissolution du Parlement), Gérard Deltell du Parti conservateur, Chu Anh Pham du Nouveau Parti démocratique (NPD), Pierre Nantel du Parti vert du Canada et Monique Pauzé du Bloc québécois (BQ). Il n’y avait pas de représentant du Parti populaire du Canada (PPC).

Le qualifiant «d’éléphant dans la pièce», l’animatrice du débat, Catherine Perrin, aussi animatrice radio à Radio-Canada, a posé la première question sur le traitement accordé aux entreprises étrangères du numérique, comme Google et Facebook.

M. Rodriguez a fait valoir qu’un comité d’experts a été mandaté par son gouvernement pour examiner cette question de la TPS. De plus, il a expliqué que la Loi sur la radiodiffusion devait être révisée, car beaucoup de mesures dépendent de celle-ci, une loi qui précède l’arrivée de l’internet. Selon lui, il doit y avoir, à terme, un système universel pour tous. Car pour l’instant, «il y a des iniquités».

C’est inacceptable et inexcusable de n’avoir rien fait en quatre ans, a alors critiqué durement le candidat Pierre Nantel, prenant la balle au bond. «Je paie de la TPS sur un pneu d’hiver et sur un sandwich : pourquoi pas sur un abonnement Netflix», s’est-il exclamé.

Le candidat conservateur a évité de répondre directement à la question, faisant valoir qu’il s’agissait d’une «situation mondiale» et que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) se penche actuellement sur cet enjeu.

Avez-vous besoin des autres pays pour décider si vous voulez appliquer la taxe de services canadiens? a rétorqué l’animatrice, sous les applaudissements de la salle.

Sur l’enjeu plus précis de l’imposition des géants du web, il a répété : «On attend les conclusions de l’OMC», et après, on pourra agir. «Le Canada ne vit pas en silo», a ajouté le conservateur.

Le NPD a été ferme : la TPS doit être prélevée. Le parti imposerait aussi les revenus des géants du numérique, comme l’a fait la France.

Mme Pham a critiqué aussi les libéraux, en rappelant que leur argumentaire initial, défendu par celle qui était alors ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, était de ne pas appliquer la TPS pour ne pas imposer plus de taxes aux citoyens. Depuis qu’il est au pouvoir, le gouvernement de Justin Trudeau a été plus occupé à défendre Netflix qu’à protéger les artistes, a-t-elle critiqué.

Tout le monde doit contribuer à la culture, mais il y a plusieurs façons de le faire, a répliqué M. Rodriguez. Et puis, son gouvernement partait de zéro, après le passage des conservateurs, s’est-il justifié.

Ajoutant aux critiques, Mme Pauzé s’est insurgée du fait que les citoyens paient de la TPS sur les livres québécois mais pas sur leurs abonnements Netflix. Et puis, d’autres pays ont agi, ils n’ont pas attendu.

Vers la fin de cette portion du débat, M. Nantel a déclaré qu’il trouve dommage que les deux partis les plus susceptibles de former le prochain gouvernement (le Parti libéral et le Parti conservateur) soient réticents sur cette question de la TPS.

M. Rodriguez a rappelé que son gouvernement a fait des investissements de 4 milliards en culture, qu’il qualifie de record. Il a aussi préservé « l’exemption culturelle » dans la nouvelle mouture de l’ALENA, très importante pour l’industrie artistique canadienne, dit-il.

Et les médias?

Lors du débat, il a été aussi question de l’aide aux médias et du financement de Radio-Canada.

Le gouvernement libéral a annoncé fin 2018 un programme d’aide aux médias de 595 millions sur cinq ans, prenant la forme de crédits d’impôt.

M. Deltell, un ex-journaliste, désapprouve ce plan. «Personne n’était content», dit-il. Ceux qui en sont exclus étaient fâchés, ceux qui sont admissibles trouvent que l’aide est insuffisante.

Selon lui, les médias doivent faire preuve d’«auto-discipline» et cesser de donner leurs nouvelles gratuitement sur le web. «À partir du moment où c’est gratuit, plaignez-vous pas de ne pas avoir d’argent», a-t-il lancé.

Pour Mme Pauzé, le gouvernement libéral se traîne les pieds. Rien n’a été déboursé dans ce programme d’aide et rien ne le sera à court terme car on est en campagne électorale, dit-elle. Les libéraux remettent toujours les choses à plus tard, déplore-t-elle.

M. Rodriguez s’est défendu, rappelant les 50 millions sur cinq ans débloqués d’urgence en 2018 pour les médias des communautés mal desservies.

Mme Pham dit que le NPD est d’accord avec le programme, qui doit être une solution temporaire. Le réel problème réside dans les géants du numérique, juge toutefois la candidate et ex-journaliste.

Et en ce qui concerne Radio-Canada, le gouvernement libéral a augmenté son financement, après les coupes conservatrices, a rappelé Pablo Rodriguez.

Quant au Parti conservateur, il n’a pas voulu s’avancer. La campagne est encore jeune, a souligné M. Deltell, ajoutant que des annonces sont à venir.