(Ottawa) La campagne électorale fédérale ne fait que commencer, mais d’un point de vue fiscal, elle se démarque déjà dans l’histoire politique canadienne récente, puisqu’aucun des principaux partis ne promet d’équilibrer le budget d’ici quatre ans.

Le peu d’empressement affiché par les politiciens pour éliminer le déficit est particulièrement intrigant lorsque l’on prend en considération la récente bonne performance économique du pays.

Au cours des six prochaines années, le Canada est en voie de présenter des déficits de plusieurs milliards de dollars en grande partie attribuables aux investissements faits par les libéraux dans des programmes sociaux et des projets d’infrastructures.

Emprunter la voie des déficits était un choix. La solide performance économique, la croissance des revenus d’impôts et la baisse de la demande dans divers programmes fédéraux font en sorte qu’il serait tout à fait concevable d’équilibrer le budget en quatre ans si un parti le souhaitait vraiment.

À ce moment-ci toutefois, aucun des partis traditionnels n’est véritablement pressé d’écrire les états financiers du gouvernement à l’encre noire. Il s’agit d’un important changement de cap par rapport à l’attitude « d’équilibre ou rien » que l’on pouvait lire dans de nombreuses plateformes électorales depuis la décennie 1990.

Le Parti libéral de Justin Trudeau projetait un nouveau déficit pour l’année en cours dans le budget dévoilé au printemps. Les libéraux ont rompu leur promesse formulée en 2015 d’équilibrer les finances avant la fin de leur mandat. Ils avaient également promis de limiter les déficits annuels à 10 milliards, mais sont allés jusqu’à presque doubler ce montant.

Pour le chef conservateur Andrew Scheer, dont le parti a longtemps défendu ardemment l’importance d’équilibrer les finances publiques, il ne semble plus y avoir urgence en la matière. Le Parti conservateur promet d’éliminer l’encre rouge des livres comptables en cinq ans.

De son côté, le Nouveau Parti démocratique a toujours proposé un budget équilibré lors des récentes campagnes, mais sous la direction de Jagmeet Singh, le parti adopte une approche de fiscalité responsable semblable à celle des libéraux. Le parti promet simplement de réduire le poids de la dette, c’est-à-dire son ratio par rapport au produit intérieur brut.

Du côté du Parti vert, la chef Elizabeth May s’est engagée à un retour à l’équilibre budgétaire d’ici cinq ans pour « une raison de crédibilité » aux yeux de la population.

La seule formation politique mettant de l’avant un plan accéléré vers l’élimination du déficit est celle fondée par Maxime Bernier, le Parti populaire du Canada (PPC).

Le PPC prétend pouvoir éliminer les déficits en deux ans seulement. Pour y arriver, il suggère de couper des milliards de dollars dans les dépenses, notamment en abolissant l’aide internationale et les subventions aux entreprises.

Évolution de pensée

Ce changement de cap soulève des questions, dont celle de l’intérêt des Canadiens. Qu’en pensent les contribuables ?

Selon Christopher Ragan, directeur de l’École de politiques publiques Max Bell de l’Université McGill, le Canada a connu de grands débats publics autour de la nécessité de limiter les déficits de l’État.

Au début des années 2000, souligne le professeur d’économie, l’équilibre des finances faisait l’objet d’un consensus parmi les grands partis.

Les déficits ont ressurgi pendant la crise économique mondiale de 2008 et la récession qui a suivi, dans le but de stimuler la croissance. La doctrine antidéficit est apparue à nouveau en 2015, sauf dans le programme des libéraux. Justin Trudeau a pris par surprise ses adversaires en promettant des déficits « modestes » pour financer des projets d’infrastructures.

L’idée a été retenue parmi les raisons ayant mené les libéraux à la victoire. Il semble que tous les partis se soient maintenant adaptés à cette position à leur manière.

« C’est comme s’ils avaient regardé le résultat et qu’ils s’étaient dit : “Bien, on dirait que les libéraux ont réussi à s’en tirer” », analyse M. Ragan.

Les promesses brisées de Justin Trudeau en matière de budget n’ont suscité que bien peu d’indignation populaire et les sondages laissent croire que les déficits ne représentent plus un véritable enjeu pour les Canadiens.

Geneviève Tellier, professeure et experte de politiques budgétaires et de finances publiques à l’Université d’Ottawa, confirme que la population canadienne s’intéresse à bien d’autres enjeux que celui des finances. Elle précise que dans les années 1990, 38 % du budget fédéral était consacré à la dette, alors que le ratio n’est plus que de 12 % aujourd’hui.