Justin Trudeau a-t-il haussé les impôts de la majorité des familles de la classe moyenne ? Vérification des faits.

La déclaration

En 2015, Justin Trudeau a promis d’aider la classe moyenne. Mais au pouvoir, il a augmenté les taxes et les impôts de 80 % de la classe moyenne. Il a dit que le fardeau fiscal de la classe moyenne allait baisser, mais il a augmenté les taxes et les impôts et rendu la vie plus chère pour les gens comme vous.

Andrew Scheer, chef du Parti conservateur du Canada, lors d’un discours hier à Trois-Rivières

La vérification des faits

C’est soit trompeur, soit carrément faux.

Au contraire, une famille québécoise typique de la classe moyenne avec deux enfants a vu son fardeau fiscal fédéral diminuer de 33 % à 54 % en tenant compte de l’Allocation canadienne pour enfants. Il s’agit d’une diminution « importante », selon le professeur Luc Godbout, chercheur principal à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

Andrew Scheer se base sur une étude de l’Institut Fraser, qui concluait en 2017 que 81 % des familles de la classe moyenne au Canada avaient subi une hausse d’impôts et de taxes sous le gouvernement Trudeau. La hausse moyenne était de 840 $ par famille, selon l’Institut Fraser.

À son arrivée au pouvoir, le gouvernement Trudeau a diminué les taux d’imposition pour les contribuables de la classe moyenne : le taux d’imposition fédéral est passé de 22 % à 20,5 % pour la tranche de revenus d’environ 47 000 $ à 95 000 $. Comment peut-on alors conclure que 81 % des familles de la classe moyenne paient plus d’impôts et de taxes, comme le fait l’Institut Fraser ?

L’Institut Fraser ne s’est pas trompé dans ses calculs, mais il oublie de tenir compte du plus important programme d’aide aux familles instauré par le gouvernement Trudeau, soit l’Allocation canadienne pour enfants. Selon les estimations d’Ottawa, l’Allocation canadienne pour enfants représente une hausse (libre d’impôt) d’environ 2300 $ par famille en 2016-2017 – soit beaucoup plus que les 840 $ par famille calculés par l’Institut Fraser.

Le gouvernement Trudeau a aussi mis fin à plusieurs avantages fiscaux pour les familles, dont le fractionnement du revenu pour les familles (économie annuelle : 1,9 milliard). L’Institut Fraser tient compte de ces changements fiscaux, mais pas de l’Allocation canadienne pour enfants qui est libre d’impôt (coût net annuel : 4,5 milliards). Ça ne donne donc pas un portrait complet de la situation.

La Presse a demandé à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke de faire le calcul pour une famille de la classe moyenne au Québec (revenu familial de 90 000 $, deux enfants de 3 et 7 ans). On a retenu deux scénarios : 1) une famille dans laquelle les deux conjoints travaillent (répartition des revenus 60 %-40 %) ; 2) une famille dans laquelle un seul conjoint travaille (répartition des revenus 100 %-0 %).

Résultat : en tenant compte de l’Allocation canadienne pour enfants, la famille dans laquelle les deux conjoints travaillent a vu sa charge fiscale fédérale diminuer de 54 % (-2933 $), et la famille dans laquelle un seul conjoint travaille a vu sa charge fiscale fédérale diminuer de 33 % (- 2004 $).

Ont-ils payé plus d’impôts ?

Famille de deux conjoints et deux enfants avec un revenu familial total de 90 000 $ (les deux conjoints travaillent et leur revenu familial est réparti 60 %-40 %)

Impôt fédéral sur le revenu en 2015 : 7897 $ 
Impôt fédéral sur le revenu en 2019 : 7456 $ 
Écart : - 440 $ (- 6 %)

Charge fiscale fédérale nette (incluant les allocations familiales fédérales) en 2015 : 5444 $ 
Charte fiscale fédérale nette (incluant l’Allocation canadienne pour enfants) en 2019 : 2510 $ 
Écart : - 2933 $ (- 54 %)

Source : Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke

Et si on exclut l’Allocation canadienne pour enfants, comme le fait l’Institut Fraser ? La famille dans laquelle les deux conjoints travaillent a tout de même bénéficié d’une réduction de l’impôt fédéral sur le revenu de 6 % (-440 $), alors que la famille dans laquelle un seul conjoint travaille a vu son impôt fédéral sur le revenu augmenter de 4 % (+ 384 $) – essentiellement à cause de l’abolition du fractionnement du revenu.

« C’est vrai qu’il y a eu une hausse des impôts fédéraux pour des contribuables qui ont perdu les fractionnements de revenu. Par contre, Ottawa a pris cet argent pour le remettre dans l’Allocation canadienne pour enfants. C’est pour ça qu’il faut prendre l’ensemble [de la situation] », explique le professeur Luc Godbout.

Conclusion

Non, le gouvernement Trudeau n’a pas haussé le fardeau fiscal de 81 % des familles de la classe moyenne. En tenant compte de l’Allocation canadienne pour enfants, le fardeau fiscal d’une famille typique de la classe moyenne au Québec a plutôt diminué de 54 % (si les deux parents sont sur le marché du travail).

Note : Le revenu médian des familles au Québec est d’environ 90 000 $ par an. Les calculs de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques comprennent l’abolition du fractionnement du revenu pour les familles.

— Avec la collaboration de Simon-Olivier Lorange, La Presse