Quarante-cinq témoins. Cent jours d'audience. Près de 400 pièces déposées. Treize avocats. Douze personnes intéressées. Plus d'un an après son début, l'enquête du coroner sur la mort de Fredy Villanueva est sur le point de se terminer. La Presse vous offre les points saillants de l'une des enquêtes publiques du coroner parmi les plus chères, sinon la plus chère, de l'histoire du Québec.

Chronologie

2008

9 août

«C'était pour un R.M. (règlement municipal). On s'est fait encercler. On a été au sol et ça a tiré», dit l'agent Jean-Loup Lapointe au premier confrère de la police de Montréal arrivé en renfort au parc Henri-Bourassa. La version transmise aux enquêteurs de la Sûreté du Québec ce soir-là devient: les policiers ont été «encerclés, projetés au sol et étranglés». Jeu du téléphone arabe? Déformation des faits dans le but de protéger les deux jeunes policiers impliqués dans le drame? Chose certaine: cette version est erronée.

10 août

Une émeute éclate à Montréal-Nord. Quatre personnes blessées, dont une policière atteinte à une jambe par un projectile d'arme à feu. Des voitures sont incendiées. Une soixantaine d'introductions par effraction et de méfaits sont commis.

1er décembre

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales annonce qu'aucune accusation criminelle ne sera déposée contre les agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte. Le ministre de la Sécurité publique de l'époque, Jacques Dupuis, promet une enquête publique du coroner.

2009

26 mai

Au second jour des audiences, le juge Robert Sansfaçon (remplacé ensuite par le juge de la Cour du Québec André Perreault) cause toute une surprise en ajournant son enquête à cause d'un problème d'équité. À cause de l'absence des principaux témoins, l'exercice ne sera pas crédible, conclut le juge.

26 octobre

Véritable départ de l'enquête du coroner

En 2011

Rapport du coroner attendu

1. Guerre d'experts

Deux témoins experts en emploi de la force. Deux visions. La Ville de Montréal a embauché un professeur de l'École nationale de police, Bruno Poulin, pour se pencher sur les techniques employées par les agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte, le 9 août 2008. M. Poulin n'a pas lésiné sur les moyens en demandant l'aide d'un ingénieur en biomécanique pour réaliser une animation en 3D relatant deux scénarios possibles de la séquence des événements. Tous deux corroborent la thèse de la légitime défense. «Si on considère que le témoignage de l'agent Lapointe est avéré, il n'avait pas d'autre option que de tirer quatre balles. Il n'a pas eu le temps de stopper sa séquence de tirs», a indiqué M. Poulin. Un policier à la retraite de la Gendarmerie royale du Canada est de l'avis contraire. L'agent Lapointe a «préféré être téméraire plutôt que prudent» pendant toute la durée de l'intervention policière, selon François Van Houtte, embauché par le camp Villanueva pour produire une contre-expertise. Selon cet ancien tireur d'élite, l'agent Lapointe était en mesure de contrôler ses tirs, par conséquent il aurait pris «consciemment» la décision de tirer et choisi le moment d'arrêter de tirer.

2. L'un a craint pour sa vie, l'autre non

Stéphanie Pilotte est une jeune policière avec un an et demi d'expérience. Le 9 août 2008, elle fait des heures supplémentaires pour la première fois. Aucun autre policier du poste de quartier 39 n'avait envie de faire un deuxième quart de suite par cette belle journée chaude. Elle a été jumelée à l'agent Jean-Loup Lapointe qui, lui, comptait cinq ans d'expérience. La policière est menue (5 pieds 1 pouce et 135 livres). Le policier, dont le coroner nous a interdit de diffuser l'image, est aussi loin d'être une armoire à glace. L'agent a témoigné qu'il avait craint pour sa vie et celle de sa partenaire. C'est pourquoi il a tiré quatre fois, atteignant mortellement Fredy Villanueva et blessant deux autres jeunes. Or, la policière a causé une certaine surprise à l'enquête en disant qu'elle n'avait pas craint pour sa vie ni même pensé sortir son arme. Dès que l'agent Lapointe est sorti de la voiture de police, il a mené l'intervention comme s'il était seul, ignorant sa jeune coéquipière pourtant à ses côtés.

3. À la vitesse de l'éclair

Les témoins et acteurs du drame s'entendent sur une chose: tout s'est passé très vite. L'agent Jean-Loup Lapointe est sorti de la voiture pour remettre un constat d'infraction aux jeunes joueurs de dés à 19h09 et 58 secondes. Quarante-six secondes plus tard, le policier demande du renfort sur les ondes radio. Il s'écoulera seulement 18 secondes de plus avant que sa coéquipière, Stéphanie Pilotte, demande sur un ton paniqué des ambulances. En l'espace d'une minute, une intervention policière auprès de jeunes non armés qui jouaient aux dés s'est soldée par un mort et deux blessés par balle.

4. Arrogance et trous de mémoire

Aux yeux de Jeffrey Sagor Metellus, tous les policiers sont «mauvais». Être atteint d'une balle dans le dos par l'agent Lapointe n'a pas dû l'aider à se forger une opinion favorable de la police. Mais tout de même, on aura rarement vu un témoin répondre avec une telle arrogance, voire un tel mépris, à des questions de procureurs. Le jeune homme de 22 ans a nié être un membre du gang de rue des Bloods alors que la police est convaincue qu'il en est un. L'autre blessé par balle, Denis Meas, avait une meilleure attitude. Mais tout comme Sagor Metellus, le jeune homme de 19 ans ne se rappelait pas grand-chose du 9 août 2008. Dans leur première version prise par les enquêteurs de la Sûreté du Québec alors qu'ils étaient encore à l'hôpital, les deux blessés ont dit que Fredy Villanueva avait «touché» à l'agent Lapointe. Fredy aurait tenté de dégager son frère, Dany, de l'emprise du policier couché sur lui. Cela corrobore en partie la version du policier. Depuis, les avocats des deux jeunes contestent la légalité de cette prise de déclarations.

5. Le passé revient hanter Dany

Contrairement à son ami Jeffrey Sagor Metellus, Dany Villanueva a répondu avec calme et patience aux questions des avocats. Il a admis avoir été membre d'un gang de rue mais il jure qu'il ne l'est plus. Le jeune homme de 24 ans est convaincu que l'agent Lapointe l'a interpellé sans motif valable le jour du drame puisqu'il avait cessé de jouer aux dés bien avant l'arrivée de la police. Le policier lui aurait fait une clé de bras puis un croc-en-jambe pour l'amener au sol sans même l'avoir mis en état d'arrestation, a-t-il déploré. Dany a toutefois des soucis beaucoup plus importants. Il tente d'éviter l'expulsion vers son pays d'origine, le Honduras. La raison de cet ordre de renvoi? Celui qui n'a pas la citoyenneté canadienne a reconnu sa culpabilité en 2006 dans une affaire de vol qualifié pour laquelle il a été condamné à 11 mois de prison. Il est également soupçonné d'avoir utilisé une fausse arme lors de la perpétration d'un vol qualifié au centre-ville de Montréal en juin 2008 pour lequel il n'a pas encore été jugé. De plus, il a été arrêté au printemps dernier et accusé de conduite avec facultés affaiblies, de possession simple de marijuana et de bris de conditions.

6. Quand la police enquête sur la police

«Nous, les policiers, on est honnêtes.» C'est ce que l'enquêteur de la SQ, Bruno Duchesne, chargé de l'enquête criminelle sur les agents Lapointe et Pilotte, a spontanément répondu à l'avocat Alain Arsenault lorsque ce dernier l'a questionné sur les occasions qu'ont eues les deux agents d'ajuster leurs versions. Après leur intervention qui a mal tourné, les agents Pilotte et Lapointe se sont rendus ensemble au poste de quartier 39, où ils ont rencontré un délégué syndical. L'agent Lapointe a confié sa version au délégué Robert Boulé en présence de la policière. La SQ n'a jamais interrogé les deux agents alors que les jeunes témoins du drame ont été «isolés» les uns des autres, puis questionnés au poste de police dans les heures suivant le drame. L'agente Pilotte a remis un rapport écrit cinq jours après l'événement. L'agent Lapointe, lui, a remis son rapport un mois plus tard.

7. Le profilage s'invite à l'enquête

C'est en lisant La Presse que le coroner Perreault a appris que la police de Montréal (SPVM) avait gardé secret un rapport sur le profilage racial commandé à la suite de l'émeute de Montréal-Nord. Le coroner avait pourtant demandé au corps policier tout document produit en lien avec la mort du jeune homme de 18 ans. Le SPVM a d'abord refusé de la lui remettre pour finalement se raviser. Le rapport révèle que, de 2001 à 2007, les contrôles d'identité des Noirs ont augmenté de 126% à Montréal-Nord et de 91% à Saint-Michel alors que ceux des Blancs sont restés stables.

8. Une enquête coûteuse

«C'est l'une des enquêtes publiques les plus coûteuses de l'histoire du Bureau du coroner», dit sa porte-parole, Geneviève Guilbault. Le gouvernement a dépensé un peu plus de 1,4 million de dollars jusqu'à présent pour payer les honoraires d'avocats des deux procureurs à l'enquête, Me Frédérick Carle et Me François Daviault, ainsi que ceux des cinq avocats des jeunes témoins du drame et de la famille Villanueva. C'est sans compter ce que la Ville de Montréal et son service de police ont dépensé. Quatre avocats, représentant la Ville, et les deux policiers impliqués ont travaillé à temps plein sur l'enquête depuis ses débuts il y a un an et demi.

9. Poursuites civiles au bout du nez

À la fin de chaque témoignage, l'un des deux procureurs du coroner André Perreault posait la même question: avez-vous des recommandations pour une meilleure protection de la vie humaine? Pas plus que sa coéquipière Stéphanie Pilotte avant lui, l'agent Lapointe n'a eu de recommandation à faire au coroner. «Je ne vois pas ce qui aurait pu être fait différemment pour préserver la vie de M. Villanueva», a-t-il dit. Il a jeté le blâme sur «l'escalade de violence tellement rapide» dont a fait preuve Dany Villanueva en résistant à son arrestation. Il faut dire que deux poursuites civiles pendent au bout du nez des deux policiers et de leur employeur. Une première de 810 000$ intentée par les blessés par balle, Denis Meas et Jeffrey Sagor Metellus. Une seconde de 990 000$ intentée par la famille Villanueva.

10. Et la suite?

Les plaidoiries auront lieu fort probablement en janvier, soit environ un mois après le témoignage du dernier témoin qui devrait quitter la barre la semaine prochaine. D'ici là, chaque partie intéressée est invitée à produire un mémoire. Le coroner André Perreault publiera ensuite ses conclusions sur les causes dans le but d'une meilleure protection de la vie humaine.