Le jour où il est intervenu pour donner des contraventions à un groupe de jeunes qui jouaient aux dés, déclenchant une série d'événements qui allaient conduire à la mort du jeune Fredy Villanueva, l'agent Jean-Loup Lapointe avait déjà «gracié» deux fois des citoyens pour des infractions semblables.

Pourquoi ne l'a-t-il pas fait une troisième fois, ce soir du 9 août 2008? N'aurait-il pas pu prendre «30 secondes pour désamorcer la situation?»

a questionné à maintes reprises hier l'avocat d'un des jeunes, Alain Arsenault, lors de l'enquête publique du coroner André Perreault, au palais de justice de Montréal.

«On parle d'une contravention de 50 $», a précisé Me Arsenault, qui défend Jeffrey Sagor Metellus, blessé par une balle dans le dos ce soir-là. Si le policier n'avait pas gardé cette attitude «fermée», redemandant deux fois aux cinq jeunes de s'identifier et les avertissant qu'ils commettaient une infraction à un règlement municipal, «on n'en serait pas là», a laissé tomber l'avocat.

«Je n'ai pas eu le temps de réfléchir (à la possibilité de laisser tomber les contraventions), a répondu l'agent Lapointe. Ça n'a pas été possible de me rendre jusque-là.» Le policier a avoué un peu plus tard qu'il avait justement fait usage de ce qu'il a appelé son «pouvoir discrétionnaire» deux fois cette journée-là. Il a notamment laissé aller sans contravention un citoyen qui avait consommé de l'alcool sur la voie publique.

La question de Me Arsenault, lourde de sous-entendus, a fait bondir les avocats de la Ville de Montréal et des deux policiers impliqués. Le policier a été témoin d'une infraction à un règlement municipal et, comme son métier l'y oblige, il est intervenu, a plaidé en substance Pierre-Yves Boisvert, qui représente la Ville. «Si les jeunes avaient fait ce que la majorité des gens font, soit s'identifier et contester le constat en Cour municipale s'il y a lieu, rien de tout cela ne serait arrivé, a répliqué Me Boisvert. On ne reprochera pas à un policier d'appliquer le règlement.»

Le coroner Perreault a toutefois estimé la question pertinente et a accepté qu'elle soit posée au policier. «J'ai tenté de désamorcer la réaction très agressive (de Dany Villanueva), a affirmé l'agent Lapointe. Je lui ai demandé de se calmer, j'avais un ton directif et très calme. Mais la conversation était impossible: l'agressivité de l'individu était telle que la communication ne fonctionnait pas.»Pas comme «vendre de la crème glacée»

Ce soir-là, l'agent Lapointe et sa collègue Stéphanie Pilotte ont repéré un groupe de jeunes jouant aux dés, manifestement pour de l'argent, dans un stationnement du parc Henri-Bourassa, dans Montréal-Nord. De son véhicule, l'agent Lapointe a intimé l'ordre au groupe de ne pas s'éloigner et de s'identifier afin de leur remettre chacun un constat d'infraction. Alors que le reste du groupe reste calme, selon le témoignage du policier entendu hier, Dany Villanueva «gesticule» et «crie qu'il n'a rien fait».

C'est en tentant de maîtriser ce dernier que l'agent Lapointe se retrouve au sol, voit les autres approcher, le malmener et affirme craindre alors pour sa vie. Il tire quatre balles, dont deux atteignent Fredy Villanueva au thorax.

«Peut-être que Dany Villanueva n'avait rien fait, qu'il n'avait pas joué mais simplement regardé ses amis le faire. Pourquoi ne pas avoir engagé un dialogue sur son innocence, dédramatisé la situation et lui avoir dit: «On pourrait en parler calmement»?» a demandé Me Arsenault.

«Ce n'est pas une conversation sur la pluie et le beau temps», a répliqué le policier, qui a déclaré plus tard que l'application des lois, «c'est différent d'un emploi qui consiste à vendre de la crème glacée».

Au quatrième jour de son témoignage, il a essentiellement repris les mêmes explications sur son intervention ce jour-là: il voulait distribuer des contraventions à un groupe de jeunes, ils se sont montrés menaçants à son égard et envers sa partenaire et il a tiré pour sauver sa vie. «J'ai repoussé cette action le plus loin possible, j'ai étiré l'élastique autant que j'ai pu.»

Les audiences de l'enquête publique du coroner reprendront jeudi prochain, avec la suite du contre-interrogatoire de l'agent Lapointe.