Menue et délicate, l'agente Stéphanie Pilotte pensait-elle avoir la force nécessaire pour maîtriser Dany Villanueva le soir où l'intervention policière a mal tourné?

Le procureur Me François Daviault a fait sangloter la jeune femme à l'air juvénile, mercredi, après lui avoir posé cette question à l'enquête du coroner sur la mort de Fredy Villanueva.

C'est que la policière d'un an et demi d'expérience ne s'est pas servi de son poivre de Cayenne. Elle n'a pas même «pensé à sortir son arme» durant l'intervention. De plus, elle a échoué dans toutes ses tentatives de maîtriser physiquement Dany Villanueva, a-t-elle dit.

Malgré cela, l'agente Pilotte reste convaincue qu'elle avait la force nécessaire. Elle a souligné que cette «situation unique» n'aurait pas pu se dérouler autrement. «Peu importe si j'avais mesuré six pieds et pesé 200 livres, ça s'est passé très, très vite. Ce n'est pas la force qui m'a manqué, c'est le temps», a-t-elle répondu.

La policière a même spécifié ne «pas avoir craint pour sa vie» durant l'intervention policière. Un contraste avec le rapport de son coéquipier Jean-Loup Lapointe qui, lui, a écrit avoir eu «peur de mourir» dans ce document déposé la veille à l'enquête.

En fin d'après-midi, visiblement fatiguée d'avoir été interrogée toute la journée, la policière ne voyait pas comment l'intervention aurait pu prendre une autre tournure. «J'ai pensé plein de fois comment ça aurait pu être différent. J'aurais vraiment aimé que ça ne se passe pas comme ça. Mais je ne sais pas comment ça aurait pu se passer autrement», a-t-elle expliqué en essuyant ses larmes.

Vers 19 h 10, le 9 août 2008, Dany Villanueva a refusé de s'identifier auprès de l'agent Jean-Loup Lapointe qui l'interpellait pour une infraction à un règlement municipal (jeu de hasard dans un lieu public). Dany Villanueva était «agressif» et disait qu'il n'avait rien fait. L'agent Lapointe lui a alors attrapé un bras pour le mettre en état d'arrestation. L'agente Pilotte, elle, n'a pas réussi à retenir l'autre bras.

Puis l'agent Lapointe a fait un croc-en-jambe à Dany Villanueva. Ce dernier l'a entraîné dans sa chute. Une fois par terre, le policier a appelé du renfort avec sa radio tout en tenant Dany Villanueva par le cou. Pendant ce temps, l'agente Pilotte essayait - sans succès - de maîtriser les jambes du jeune homme qui se débattait. Concentrée sur sa tâche, elle n'a jamais vu le frère de Dany, Fredy, «toucher» son partenaire, a-t-elle spécifié. L'agent Lapointe, lui, prétend qu'il a été «serré à la gorge» par Fredy Villanueva. La policière a été également incapable d'éclairer le coroner sur la distance entre son coéquipier et les jeunes qui ont été blessés par balle ce soir-là.

La policière n'a pas vu son collègue tirer un premier coup de feu. Mais elle a vu les deux coups suivants qui ont atteint Fredy Villanueva au thorax. Puis, son coéquipier a tourné à «180 degrés» pour tirer une quatrième fois sur une autre personne non identifiée par Mme Pilotte. Bien qu'elle n'ait pas vu son collègue se faire frapper, elle a tout de même soutenu comprendre la raison pour laquelle son coéquipier a fait feu sur trois jeunes. «Des gens l'attaquaient et il a senti sa vie en danger», a-t-elle expliqué au procureur Daviault.

Son manque de force l'a même empêchée de porter secours à Fredy Villanueva, gémissant, recroquevillé sur lui-même, non loin de Dany Villanueva et le policier, toujours au sol. C'est qu'elle a été incapable de «tasser» la cousine de la victime, Martha Villanueva, qui était aux côtés du jeune homme de 18 ans, a-t-elle admis à regret.

N'en déplaise au coroner Perreault, qui n'abordera pas la question des enquêtes de police sur la police dans ses recommandations, le sujet a refait surface, mercredi. Dans la nuit du drame, l'agent Lapointe a décrit sa version de l'événement à un représentant syndical, Robert Boulé, en présence de l'agente Pilotte dans un bureau du poste de police 39 (PDQ 39), a révélé la policière. Or, selon les règles d'une politique ministérielle (enquête d'un corps policier sur un autre corps policier), les agents impliqués dans un événement où il y a eu mort d'homme doivent être «isolés» pour éviter qu'ils se «contaminent».

Dans un courriel envoyé fin août au policier de la Sûreté du Québec Bruno Duchesne, responsable de l'enquête criminelle sur les deux policiers de Montréal, un sergent de la police de Montréal confirme d'ailleurs que «les policiers se sont rencontrés entre eux, mais qu'aucun rapport n'a été rédigé suite à leur debriefing». Il y a fort à parier que cette question ressurgira au moment du contre-interrogatoire de la policière Stéphanie Pilotte, qui commence aujourd'hui.