Au premier confrère de la police de Montréal arrivé en renfort au parc Henri-Bourassa, l'agent Jean-Loup Lapointe «en sueur» a résumé son intervention ainsi: «C'était pour un R.M. (règlement municipal). On s'est fait encercler. On a été au sol et ça a tiré.»

L'agente Stéphanie Pilotte, elle, était «en pleurs», «sous le choc». La policière qui comptait un an et demi d'expérience faisait équipe pour la première fois avec l'agent Lapointe le 9 août 2008. Elle était «en temps supplémentaire» en raison du «manque d'effectif» au poste de quartier de Montréal-Nord.

 

C'est ce qui ressort d'une série de rapports des policiers du Service de police de la Ville de Montréal qui sont intervenus ce soir-là, dont certains extraits ont été dévoilés à l'enquête publique du coroner sur la mort de Fredy Villanueva, hier, au palais de justice de Montréal.

La Sûreté du Québec a désigné l'agent Jean-Loup Lapointe comme suspect à partir du 15 août, après avoir lu le rapport de l'agente Stéphanie Pilotte. Cette dernière n'a jamais été considérée comme suspecte, a révélé le sergent-détective Bruno Duchesne de la SQ, chargé de l'enquête criminelle sur les agents Pilotte et Lapointe et contre-interrogé pour une seconde journée d'affilée. Cette enquête criminelle s'est conclue à la mi-octobre 2008. Après étude du dossier, la Couronne a annoncé un mois et demi plus tard qu'elle ne porterait pas d'accusation contre les deux agents.

Le sergent René Bellemare du SPVM a été le premier à arriver en renfort le 9 août 2008. C'est lui qui a obtenu le résumé de l'intervention policière de la bouche de l'agent Lapointe. Et c'est lui qui est la source des informations erronées qui ont servi de base à l'enquête de la Sûreté du Québec, selon le sergent-détective Bruno Duchesne.

Au moment du briefing avec le SPVM vers 23h le 9 août, la SQ a appris que les agents Lapointe et Pilotte ont été «encerclés, projetés au sol et étranglés». «On n'a pas réussi à prouver cette version-là», a expliqué M. Duchesne, hier. Ni les photos des blessures des deux agents ni leurs rapports médicaux ne corroborent cette thèse, selon la SQ.

Dans son rapport remis un mois après l'événement, l'agent Lapointe ne parle pas d'étranglement, non plus. Deux personnes l'ont «touché», mentionne le policier, qui n'a jamais été interrogé par la SQ. Dans une déclaration sous serment alors qu'il était sur son lit d'hôpital, l'un des deux jeunes blessés par balle, Jeffrey Sagor Metellus, indique, lui, que Fredy Villanueva avait «agrippé l'agent Lapointe par le collet».

Les déclarations des jeunes témoins prises par la SQ ainsi que les rapports des agents Lapointe et Pilotte n'ont pas encore été déposés en preuve à l'enquête du coroner.

L'avocat de la Fraternité des policiers de Montréal, Me Michael Stober, a voulu montrer «l'autre côté de la médaille», hier, en plaidant que les deux agents n'ont pas eu de traitement de faveur. La veille, l'un des avocats du clan Villanueva, Me Alain Arsenault, avait fait valoir que les jeunes témoins avaient été «isolés» pour éviter qu'ils accordent leur version, alors que les mêmes précautions n'avaient pas été prises pour les deux agents. L'agent Lapointe s'est prévalu de son droit au silence comme n'importe quel suspect dans une affaire criminelle, a fait valoir Me Stober à l'enquêteur Duchesne, en accord avec lui.

À son tour de contre-interroger l'enquêteur Duchesne, le porte-parole de la Coalition contre la répression et les abus policiers, Alexandre Popovic, a brandi un communiqué de la police de Montréal envoyé vers 22h le soir du drame. Le service de relations médias du SPVM y relate qu'«un bon nombre d'individus se sont rués vers les policiers et les ont agressés». L'enquêteur Duchesne a convenu que le terme «rués» est inexact. Et que «des policiers» ne se sont pas fait attaquer. Ce qui a fait dire à M. Popovic que cette «version officielle reprise par les médias était colorée, amplifiée et déformée».