Marc Guillemot (Safran) a rejoint la position de Yann Eliès (Generali) hier soir tandis Samantha Davies (Roxy) se rapproche de la position du skipper mal en point. La frégate australienne affrétée par les services de secours maritime australiens a quitté le port et devrait bientôt rejoindre le Breton.

Eliès, qui s'est fracturé le fémur gauche au dessus du genou hier lors de manoeuvres, est en ce moment alité dans sa couchette dans des douleurs extrêmes. Les dernières nouvelles médicales confirment qu'outre le fémur gauche, le marin a potentiellement des côtes de brisées ainsi qu'une blessure au niveau du bassin. Le marin confirme un pied totalement désaxé vers la droite et un oedème important au niveau de sa cuisse.

Il est difficile de penser que dans un tel état, le marin ait réussi à ramper de l'avant sur le pont jusqu'à sa couchette tout en ayant la présence d'esprit de positionner son bateau face au vent et en prenant soin d'avoir en main la commande de son pilote automatique au cas où il se verrait obliger de manoeuvrer.

Bien qu'arrivé sur les lieux, Marc Guillemot n'est pas en mesure de monter à bord de Generali afin de porter assistance directement à Yann Eliès puisque les manoeuvres en solitaire sur un bateau de 60 pieds ne permettent pas un accostage sécuritaire dans la houle de l'Océan indien.

Dans sa malchance, Yann Eliès ne peut trouver meilleur support que Marc Guillemot en ce qui concerne la situation actuelle. En fait, ils sont maintenant un peu des partenaires de chair.

En 1985, lors du chavirage de son multicoque Jet Service IV, Guillemot, bassin fracturé et deux jambes cassées avait vécu l'enfer dans l'attente des secours. C'est donc en connaissance de cause que Guillemot peut apporter un support psychologique à Eliès dans l'attente de la frégate australienne.

Naviguant présentement en cercle autour de Generali, Guillemot communique régulièrement avec Eliès via la radio VHF:

«Je suis à 500 mètres dans l'axe du bateau de Yann. Je viens de me rapprocher de lui. Le vent est rentré depuis 2 heures, j'ai entre 28 et 32 noeuds. Avec cette mer un peu agitée, ça risque de remuer pour Yann. Pour l'aider, j'ai tenté de lui lancer des vivres et des médicaments, mais ça s'est terminé avec un paquet dans le cockpit, un autre dans l'eau. Il y a eu un moment très fort émotionnellement. Quand je suis passé derrière son bateau, j'ai vu une main s'agiter à l'intérieur de l'habitacle, et l'ombre de sa tête. On s'est appelé en VHF, et ça a été un grand moment. Je sais ce que c'est de souffrir en mer : je l'ai vécu moi aussi. Ce qui est difficile à vivre, c'est d'être à proximité et de ne pas pouvoir lui apporter une aide physique. La consolation, c'est de se dire que l'aide psychologique compte beaucoup. Entre le moment où je suis arrivé et maintenant, j'ai pu noter un changement dans sa voix qui m'a beaucoup rassuré. On a même fini par blaguer. Avec Yann, on a un peu le même défaut: on est breton, on est têtu! J'ai bien l'intention de rester jusqu'à l'arrivée des secours.»

Eliès, qui n'a bu que du jus de citron depuis hier (c'est ce qu'il a sous la main), a pris tout son courage sous les encouragements de Guillemot et a douloureusement fait ce matin le chemin de deux mètres de distance jusqu'à la trousse médicale afin de récupérer la morphine nécessaire pour calmer ses souffrances à la suite des tentatives infructueuses de Guillemot de lui lancer dans le cockpit des médicaments collés à des bouteilles d'eau.

Avec l'Anglaise Samantha Davies en route et qui fera contact avec le duo sur place ce vendredi soir, l'appui psychologique sera optimal et permettra à Guillemot qui en sera à 24 heures consécutives sans dormir de prendre une pause.

«Je ne suis plus en course pour la course. Je cherche simplement à aller plus vite pour retrouver Yann et Generali, le soutenir et aider comme je peux. D'ailleurs, je viens d'avoir un coup de vent à 45 noeuds, et je suis à fond. Si tout se passe bien, je serai en zone vers minuit. Je pense très fort à Yann, car il va avoir les mêmes conditions que celles que j'ai en ce moment. Ça risque d'être assez inconfortable. Pour Yann, ne pas bouger va être difficile et pour Marco, aussi, ça risque de remuer. J'espère que Yann n'attendra pas trop longtemps le navire australien. Moi, je profite de ces heures pour me reposer et être en forme quand j'arriverai... Tout le monde ferait la même chose dans ces conditions...»

Aux deux marins qui supporteront Eliès au cours des prochaines heures, s'ajoute en matière de support une communication aux deux heures entre le directeur logistique et ami personnel d'Eliès, Erwan Steff, qui encourage le marin via la radio satellite et transmet l'information à la famille immédiate du régatier.

Force est de constater à quel point la communauté des marins est tissée très serrée.

Alors que Michel Desjoyeaux (Foncia) et Roland Jourdain (Veolia) gardent un rythme d'enfer en première et deuxième position, creusant même l'écart sur Jean Le Cam (VM Matériau) et Sébastien Josse (BT), le coeur de la troupe engagé dans ce tour du monde n'y est pas et tous n'en avaient que pour l'accident d'Eliès lors des communications radio ce matin.

Sébastien Josse (BT), présentement 3e dans le groupe de tête, tenait ces propos:

«L'accident de Yann fait froid dans le dos. Je n'aime pas trop ce genre de truc. Je vais faire encore plus attention pour ne pas me faire mal. Nos bateaux sont très raides. Alors, quand on dit qu'il s'arrête dans une vague, ce n'est pas seulement une image. Le bateau s'immobilise et on ne tient plus debout. Il faut donc bien s'attacher, bien se tenir. Je me rappelle souvent cette devise: une main pour le bateau, une autre pour l'homme. Parfois, il faut deux mains pour le bateau.»

Vincent Riou (PRB), qui lui-même connaît des ennuis physiques à la suite d'une entorse au pied qui le fait souffrir depuis deux semaines, abondait dans le même sens:

«Mes pensées vont à Yann. Ce qui lui est arrivé est ce qui peut arriver de pire à un marin. Moi, ça ne me fait presque ni chaud ni froid quand on casse des bateaux, mais quand c'est un homme qui se blesse, là c'est terrible. On est dans un sport où, en général, on a peu de chance de se blesser. Lorsqu'on navigue dans des mers difficiles avec des bateaux de plus en plus rapides, les chocs sont de plus violents et les risques de se blesser augmentent fortement. La nuit avant que Yann ait son accident, j'ai fait un vrac, pendant que je dormais, j'ai été projeté et j'ai terminé ma course sur la table à carte ! Pour Yann, les heures qui viennent ne vont pas être faciles. Nous, les coureurs, nous sentons impuissants. J'espère que l'évacuation se fera vite. La priorité est de porter assistance aux hommes. Personne n'aura le coeur de naviguer à fond tant que la situation de Yann ne sera pas stabilisée. Nous serons soulagés que lorsqu'il sera secouru.»

La frégate affrétée par le gouvernement australien avec 100 militaires à son bord devrait normalement arriver sur place d'ici 24 heures, soit un peu plus rapidement que prévu. De son côté, le bateau d'Eliès dérive en ce moment en direction même des secours ce qui devrait raccourcir quelque peu l'attente.

Petit imbroglio, en tout cas jusqu'à nouvel ordre : aucun hélicoptère n'est embarqué sur la frégate et la demande d'embarquer deux marins d'expérience afin de ramener Generali à bon port, une fois Eliès évacué, a été refusé par la marine australienne.

Tel que Samantha Davies l'indiquait, la puissance du vent augmente dans la zone où le marin est en péril. C'est donc sous 30 à 40 noeuds de vent, dans une mer formée avec des creux de vagues de 4 à 6m, que Yann Eliès attendra les secours pour une autre longue journée.

Non, mais dans le genre quand ça va mal...

Quelques vidéos :

Marc Guillemot à vue de Yann Eliès et de Generali

Tentative de lancement de vivres par Marc Guillemot

Les positions + retard sur le 1er (milles nautiques)

>>> Suivez la position des skippers

1- Michel Desjoyeaux-FRA (Foncia),

2- Roland Jourdain-FRA (Veolia Environnement), 45

3- Sébastien Josse -FRA (BT), 157

4- Jean Le Cam-FRA (VM Matériaux), 211

5- Armel Le Cléac'h-FRA (Brit Air), 404

6- Vincent Riou-FRA (PRB), 431

7- Jean-Pierre Dick-FRA (Paprec-Virbac), 753

8- Marc Guillemot-FRA (Safran), 939 en détournement autorisé vers Generali

9- Samantha Davies-GB (Roxy), 1069 en détournement autorisé vers Generali

10- Brian Thompson-GB (Team Pindar), 1155

11- Dee Caffari-GB (Aviva), 1676

12- Arnaud Boissières-FR (Akena Verandas), 1730

13- Steve White-GB (Toe in Water), 2313

14- Jonny Malbon-GB (Artemis), 2599

15- Rich Wilson-USA (Great American), 2692

16- Derek Hatfield-CAN (Spirit of Canada), 2962

17- Raphaël Dinelli-FRA (Océan Vital), 3603

18- Norbert Sedlacek-AUT (Nauticsport), 3658

19- Yann Eliès-FRA (Generali), Abandon, Fracture à la jambe

20-Jean-Baptiste Dejeantly-FRA (Maisonneuve), idem, multiples problèmes d'usure

21- Mike Golding-GB (Ecover), idem, Dématâge

22- Bernard Stamm-SUI (Cheminée Poujoulat), idem, Échouage

23- Dominique Wavre-SUI (Temenos), idem Ennuis de quille

24- Loïc Peyron-FRA (Gitana Eighty), idem, Démâtage

25- Una Basurko-ESP (Pakea Bizkaia), idem, Bris au puits de safran tribord

26- Jérémie Beyou-FRA (Delta Dore), idem, Barre de flèche cassée

27- Alex Thompson-GB (Hugo Boss), idem, Dommages structurels

28- Kito de Pavent-FRA (Groupe Bel), idem, Démâtage

29- Marc Thiercelin-FRA (DCNS), idem, Démâtage

30- Yannick Bestaven-FRA (Aquarelle.com), idem, Démâtage