C'est un groupe de tête avec un peu de mort dans l'âme qui poursuit sa route vers l'archipel des Kerguelen. Tous les marins étaient désolés, voire touchés, par le démâtage de Loïck Peyron survenu hier en fin de journée. Mais tous savent que c'est aussi ça la course au large...

Peyron (Gitana 80) filait à 6 noeuds ce matin sur gréement de fortune en direction du nord-est avec comme objectif de glisser vers l'Australie en tirant avantage des vents favorables avec l'espérance de croiser le chemin d'un cargo qui pourrait faire office de remorqueur.Le marin gardait le moral malgré tout, et expliquait ce matin que sa déception la plus grande s'adresse à son équipe à terre qui a travaillé deux ans sur Gitana 80 afin de le préparer à affronter cette cinquième édition du Vendée Globe.

« Pour le marin, pour moi, c'est difficile, mais je pense beaucoup plus à tous ces gens qui ont passé des nuits blanches à préparer ce projet et qui étaient d'un optimisme certain quant à nos chances, et ce, plus particulièrement après avoir occupé la position de tête pendant 16 jours », expliquait-il.

Jean-Pierre Dick (Virbac Paprec) est toujours premier au classement suivi de Roland Jourdain (Veolia) à 35 milles derrière, suivi de très près (0,1 mille) par un nouveau venu sur le podium temporaire, en l'occurrence Michel Desjoyeaux (Foncia) qui ne cesse de surprendre dans sa remontée.

Alors que la flotte se prépare à passer les îles de la désolation (Kerguelen) par le sud avec un vent d'ouest à 30 noeuds qui tournera au nord par la suite, les communications radio de ce matin avaient beaucoup plus à voir avec le départ de Peyron qu'avec la situation des skippers eux-mêmes.

Jean-Pierre Dick (Virbac Paprec) expliquait avec émotion :

« Expliquez-moi comment en une seconde le travail de tant de personnes peut-il être anéanti ? Je n'arrive pas encore à admettre cette règle de la voile qui veut que l'on puisse passer d'un état de fier coursier à celui d'épave flottante en l'espace de quelques secondes. C'est la terrible loi des sports à matériel, mais que c'est cruel ! Bravo à toute l'équipe de Gitana. Bravo à Loïck qui a su encore se remettre en question et redémontrer encore son immense talent.»


Michel Desjoyeaux (Foncia), la gazelle de ce Vendée Globe, expliquait par courriel avoir vécu une petite frousse qui aurait pu mettre fin à ses espoirs de victoire. Il s'est retrouvé face à un beau bloc de glace de taille impressionnante, d'une longueur hors de l'eau de 40 mètres et d'une hauteur hors de l'eau de 5 mètres. Le marin est passé à 0,5 mille de l'iceberg.

Maintenant que la flotte navigue très sud dans les 50èmes Hurlants, la possibilité de rencontrer des icebergs dans ces eaux augmente considérablement. La vigilance tant visuelle qu'aux instruments et de mise, car une collision avec l'un de ceux-ci ne pardonne pas. En fait, les marins disent qu'ils ont beaucoup plus peur de ce phénomène par rapport à n'importe quelle tempête.

L'Anglaise Samantha Davies est passée du pur bonheur hier à la frustration aujourd'hui. Son courriel de ce matin expliquait bien sa situation et sa tristesse de voir Peyron abandonner l'épreuve:

« Je suis très frustrée par le fait que Bernard (Stamm) et Brian (Thompson) vont plus vite que moi, mais j'essaie de faire quelque chose pour m'en sortir ! J'ai BESOIN DE VITESSE !! Il y a trop de vent pour le grand gennaker, alors la nuit passée, j'ai décidé de tester le Code 0 : c'est un gennaker de plus petite taille qui vole depuis la tête de mât. Le problème, c'est que je ne suis pas certaine d'aller plus vite! Chaque changement de voile me coûte des milles et beaucoup d'énergie. Une pensée pour Loïck (Peyron). Je suis tellement désolée qu'il ait démâté. C'est incroyablement triste de voir disparaître du classement l'un des héros de la course. C'est un rappel de plus de notre vulnérabilité à tous par ici. »

Vincent Riou (PRB) est maintenant 7e avec pratiquement 130 milles de retard sur la première position. Il avait, lui aussi, le moral un peu dans les talons. En plus de sa blessure qui génère une partie de son ralentissement puisque certaines manoeuvres lui sont impossibles, voilà maintenant que le vainqueur de 2004 doute de sa stratégie :

« Mon pied continue de me faire souffrir et j'ai de la difficulté à choisir la bonne toile. Mon pilote me joue des tours et mon bateau ne file pas droit quand je l'utilise alors je me prépare à changer le module de contrôle au complet. C'est dommage ce qui est arrivé à Loïck, mais historiquement le Vendée Globe élimine 35 à 40% des participants avant la fin de course alors...Depuis une semaine, à chaque fois que j'augmente la voilure, dans l'heure qui suit, je doute de mon choix en rapport avec ce que je demande au bateau et ça m'oblige à tout reconfigurer. Je me dois de refaire le point et réévaluer si je pose les bons gestes au bon moment, je ne veux pas casser », expliquait-il.

Jean Le Cam (VM Matériaux), présentement 6e à 88 milles derrière le meneur, expliquait en rapport avec l'abandon de Peyron :

« Mon pauvre chéri (mon bateau) se porte bien! C'est tant mieux pour moi. Maintenant, depuis que l'on fait des bateaux à voiles, il y a des mâts qui tombent. Personne n'est à l'abri d'un démâtage alors je touche du bois! »

Le Canadien Derek Hatfield (Spirit of Canada), quant à lui, pardonnez le québécisme, « en a plein le ponpon ». Pas de temps de parler de Loïck Peyron de son côté...

Le mauvais temps prévu sur la queue de flotte a bel et bien débuté et c'est dans des rafales de 45 noeuds qui augmenteront à 65 noeuds (120 km/h) qu'Hatfield fait de son mieux. Joint ce matin, il indiquait :

«Les conditions sont horribles depuis les dernières 18 heures. Rafales à 45 noeuds. Je me suis fait surprendre avec trop de toile et je me suis tapé un beau vrac. La mer est horrible ce matin. Ce fut une longue bataille pendant toute la nuit. J'ai besoin de dormir puisque je n'ai plus les idées claires. Le vent a faibli un peu ce matin et est passé à 30/35 noeuds, mais la mer n'est pas mieux. Bateau à 25 noeuds à ce moment. Les grosses rafales rentrent toujours. Je ne peux pas vous parler plus longtemps.»

Le prochain jour s'annonce difficile pour le Canadien. Lui qui n'aime vraiment pas le gros temps...

Suivez la position des skippers

Quelques vidéos à regarder concernant le démâtage de Gitana :

Images démâtage Loïck Peyron sur Gitana Eighty

Gréement de fortune Loïck Peyron

Les positions + retard sur le 1er (milles nautiques)

1- Jean-Pierre Dick-FRA (Paprec-Virbac)

2- Roland Jourdain-FRA (Veolia Environnement), 35

3- Michel Desjoyeaux-FRA (Foncia), 35

4- Sébastien Josse -FRA (BT) 40

5- Mike Golding-GB (Ecover), 42

6- Jean Le Cam-FRA (VM Matériaux), 88

7- Vincent Riou-FRA (PRB), 127

8- Armel Le Cléac'h-FRA (Brit Air), 151

9- Yann Eliès-FRA (Generali), 203

10- Marc Guillemot-FRA (Safran), 225

11- Dominique Wavre-SUI (Temenos), 253

12- Brian Thompson-GB (Team Pindar), 562

13- Bernard Stamm-SUI (Cheminée Poujoulat), 584

14- Samantha Davies-GB (Roxy), 648

15- Dee Caffari-GB (Aviva), 832

16- Arnaud Boissières-FR (Akena Verandas), 852

17- Steve White-GB (Toe in Water), 1122

18- Jonny Malbon-GB (Artemis), 1240

19- Rich Wilson-USA (Great American), 1429

20- Jean-Baptiste Dejeantly-FRA (Maisonneuve), 1598

21- Derek Hatfield-CAN (Spirit of Canada), 1967

22- Raphaël Dinelli-FRA (Océan Vital), 2363

23- Norbert Sedlacek-AUT (Nauticsport), 2405

24- Loïc Peyron-FRA (Gitana Eighty), Abandon, Démâtage

25- Una Basurko-ESP (Pakea Bizkaia), idem, bris au puits de safran tribord

26- Jérémie Beyou-FRA (Delta Dore), idem, barre de flèche cassée

27- Alex Thompson-GB (Hugo Boss), idem, dommages structurels

28- Kito de Pavent-FRA (Groupe Bel), idem, Démâtage

29- Marc Thiercelin-FRA (DCNS), idem, Démâtage

30- Yannick Bestaven-FRA (Aquarelle.com), idem, Démâtage