Consternation sur le Vendée Globe alors que l'un des plus gros noms de la course, Loïck Peyron, a annoncé à 17 h, heure de Paris, le démâtage de son Gitana 80 dans des conditions considérées comme clémentes en mers du sud.

Peyron, vice champion de la première édition du Vendée Globe en 1989, triple vainqueur de la Transat anglaise et considéré comme l'un des plus talentueux navigateurs de sa génération, a dû rendre les armes à la suite d'un démâtage dont il ne parvenait toujours pas à identifier la cause. En communication satellite d'urgence il expliquait les circonstances de son avarie :

« Il y avait 30 noeuds de vent et Gitana Eighty était sous un ris dans la grand-voile et le solent à l'avant. Je ne sais pas ce qui s'est passé : j'étais à l'intérieur et, clac, un grand bruit ! J'ai compris que c'était le mât. Je suis sorti et j'ai vu qu'il était cassé en plusieurs morceaux : il restait la bôme et les voiles étaient à l'eau. Il m'a fallu une bonne heure pour faire le ménage et surtout larguer le mât qui tossait sur la coque. Il y avait des morceaux de carbone partout. Mais il n'y a pas de problème sur la coque pour continuer à naviguer. Il était impossible de récupérer plus de matériel : j'ai dû couper le gréement. Il me reste donc juste la bôme, un foc de brise et un morceau de la grand-voile. Je préfère me diriger vers le nord pour rallier l'Australie ou faire le contact avec un bateau affrété spécialement. Je suis extrêmement désolé pour toute l'équipe, mes partenaires : je ne pense qu'à eux en ce moment. Tous ont fait un travail exceptionnel... Je me dépêche de monter un gréement de fortune avant la nuit. »

Il est vraiment dommage de voir un des doyens de ce Vendée Globe disparaître du classement de cette façon, lui qui était dans le groupe de meneurs depuis les débuts de l'épreuve le 9 novembre et qui aura été en tête de l'épreuve pendant pratiquement deux semaines.

Peyron avait dû se faire attendre longuement depuis sa seule participation en 1989 à l'épreuve reine du tour du monde en solitaire. C'est sous la pression de beaucoup d'amis et de commanditaires que le marin de 49 ans avait pris la décision de reprendre le collier de l'épreuve cette année et il est malheureux de voir cette édition du Globe se priver d'une de ses plus grandes personnalités.

L'aventure continue donc avec 24 participants qui, malgré l'avarie de leur confrère, se doivent de continuer à pousser la machine à fond.

La flotte est maintenant positionnée à 600 milles des îles Kerguelen, ces îles de formation volcanique qui sont à plus de 3 300 km de toute terre connue forment l'un des derniers obstacles tangibles jusqu'au cap Horn. Ces îles forcent une navigation complexe, non pas causée par les dévents qui y sont minimaux, mais plutôt par l'immensité du plateau océanique sous-marin (dit de Kerguelen-Heard) de 2,2 millions de km2 qui les entouren.

Le phénomène est impressionnant, voire intimidant : ce plateau océanique fait en sorte que la profondeur normale de la mer, soit entre 2000 et 5000 mètres à ces latitudes, remonte à des profondeurs variant entre 500 et 12 mètres et transforme la houle déjà énorme des mers du sud en véritables pyramides infranchissables tout en formant du même coup une mer croisée dangereuse de type casse bateau que les navigateurs tentent d'éviter à tout prix...

Qui saura le mieux composer avec la situation? Qui établira le mieux l'équilibre sécurité-vitesse pour son bateau? Passage au nord ou au sud? Est-ce qu'un marin en ressortira avec un avantage sur ses poursuivants?

Il est à prévoir que certains, pour la première fois de l'épreuve, prendront les risques associés à des routages différents afin de les contourner et les 48 prochaines heures seront riches en suspens.

Au classement de 16 h, heure de Paris, Jean-Pierre Dick (Virbac Paprec) était toujours leader de la course avec un microscopique 0,3 milles d'avance sur Sébastien Josse (BT) et Roland Jourdain (Veolia) se pointait quant à lui à 21 milles derrière.

Lors des conversations radio de ce matin, les skippers préféraient jouer à cache-cache et ne pas divulguer leurs stratégies bien que certains aient déjà pris des tangentes qui procurent certains indices.

Jean-Pierre Dick (Virbac Paprec) explique :

« Enfin un peu de brise pour partir! J'étais vraiment impressionné avant hier par les conditions météo dans ces mers loin de tout, il faut y aller à la prudence. Vitesse du vent : 24, 25 noeuds, et ma vitesse moyenne se situe entre 18 et 20 noeuds. L'eau est à 4-6° C, c'est la zone de méfiance pour les growlers (petits icebergs dérivants). Pourquoi vais-je vers le sud? Parfois, cette option paye et la route est telle que je la sens. Je ne sais pas encore comment je vais passer les Kerguelen... »

Sébastien Josse (GT) conserve sa philosophie soit d'épargner le bateau en premier lieu :

« Ça glisse et ça avance dans la bonne direction. On voit que chacun fait sa petite option, mais que la météo n'aide pas : on va tous continuer jusqu'au bout comme ça et arriver aux Sables d'Olonne avec un petit peu d'écart. Pour la stratégie, toute la flotte va s'engouffrer entre les Kerguelen et l'île Heard, ça va être de la vitesse pure en remontant avec un flux de nord. Je lève le pied, j'essaye de préserver le bateau, le Vendée Globe c'est long et il ne faut pas se laisser griser par la vitesse pendant 24 h, si c'est pour réparer les 24 heures suivantes », expliquait-il.

Michel Desjoyeaux (Foncia), maintenant 5e, ne semble pas vouloir relâcher l'accélérateur. Le skipper maintient qu'il ne pousse pas son bateau à l'extrême malgré les accusations de certains confrères et à entendre la bonne humeur de Desjoyeaux, il n'est pas difficile de se rendre compte que l'ami Mich est vraiment heureux de son coup et qu'il en prépare d'autres...

Si un skipper est sensible à la saveur de ce Vendée Globe, c'est bien Samantha Davies (Roxy).

L'Anglaise, toujours à un peu moins de 600 milles de la tête, se retrouve pratiquement déjà nostalgique des milles qu'elle laisse dans le sillage de son bateau :

« Ça va très bien sur Roxy. Je suis presque triste en regardant le temps déjà écoulé, même maintenant dans le sud où c'est plus dur physiquement. Ici la mer est impossible à décrire, il faut vivre l'expérience, c'est un plaisir d'être là... Je suis super heureuse, j'ai surtout énormément de chance d'avoir pu venir à ce Vendée Globe : c'est un truc dont je vais me souvenir toute ma vie. J'ai vraiment envie de revenir dans quatre ans. Je m'éclate tellement, j'ai un super bateau, il prend soin de moi, il a déjà vu tout ça (bateau vainqueur des éditions 2000 et 2004), donc je n'ai pas peur. Il a été très bien préparé par mon équipe que j'apprécie beaucoup. »

Les trois derniers de classe encore en course, soit le Canadien Derek Hatfield (Spirit of Canada), Raphael Dinelli (Océan Vital) ainsi que Norbert Sedlacek (Nauticsport), vivront des moments occupés dans les prochaines heures. Au menu : vents de 40 à 45 noeuds en moyenne avec rafales à 65 noeuds (120 km/h) et creux de vagues prévus entre 9 et 12 mètres... bref ça va chauffer pour notre Canadien qui avouait pas plus tard qu'hier ne pas être friand des mauvaises conditions du grand sud...

Souhaitons à Hatfield de naviguer de façon sécuritaire et sans encombre...

L'écart en le premier au classement et le dernier est maintenant de plus de 2280 milles nautiques (4200 km). Il ne faudra pas se surprendre de voir l'écart s'agrandir jusqu'à un demi-océan d'ici le cap Horn.

Les positions + retard sur le 1er (milles nautiques)

1- Jean-Pierre Dick-FRA (Paprec-Virbac)

2- Sébastien Josse -FRA (BT) 0,3

3- Roland Jourdain-FRA (Veolia Environnement), 21

4- Mike Golding-GB (Ecover), 28

5- Michel Desjoyeaux-FRA (Foncia), 38

6- Jean Le Cam-FRA (VM Matériaux), 63

7- Vincent Riou-FRA (PRB), 83

8- Armel Le Cléac'h-FRA (Brit Air), 99

9- Yann Eliès-FRA (Generali), 134

10- Marc Guillemot-FRA (Safran), 182

11- Dominique Wavre-SUI (Temenos), 227

12- Brian Thompson-GB (Team Pindar), 526

13- Bernard Stamm-SUI (Cheminée Poujoulat), 556

14- Samantha Davies-GB (Roxy), 593

15- Dee Caffari-GB (Aviva), 752

16- Arnaud Boissières-FR (Akena Verandas), 771

17- Steve White-GB (Toe in Water), 975

18- Jonny Malbon-GB (Artemis), 1039

19- Rich Wilson-USA (Great American), 1258

20- Jean-Baptiste Dejeantly-FRA (Maisonneuve), 1568

21- Derek Hatfield-CAN (Spirit of Canada), 1842

22- Raphaël Dinelli-FRA (Océan Vital), 2257

23- Norbert Sedlacek-AUT (Nauticsport), 2282

24- Loïc Peyron-FRA (Gitana Eighty), Abandon, Démâtage

25- Una Basurko-ESP (Pakea Bizkaia), idem, bris au puits de safran tribord

26- Jérémie Beyou-FRA (Delta Dore), idem, barre de flèche cassée

27- Alex Thompson-GB (Hugo Boss), idem, dommages structurels

28- Kito de Pavent-FRA (Groupe Bel), idem, Démâtage

29- Marc Thiercelin-FRA (DCNS), idem, Démâtage

30- Yannick Bestaven-FRA (Aquarelle.com), idem, Démâtage