Il arrive en retard. Il gare en vitesse sa grosse auto gris métallique en face du dépanneur de Bromont.

«Excusez-moi, je cours comme un malade», dit-il.

La vie de Mario Charpentier est un tourbillon depuis qu'il a décidé, pour la première fois de sa vie, de plonger en politique. Il se présente pour l'ADQ dans Brome-Missisquoi. Il affronte le député libéral, Pierre Paradis, qui règne sur la circonscription depuis 28 ans. Gros défi.

Mario Charpentier est bâti d'un seul bloc. Grand, bien enveloppé, cheveux gris, sourcils noirs broussailleux. Habillé en candidat bon chic bon genre: veston, cravate, manteau long. La quarantaine prospère.

Dans la vraie vie, il est avocat. Il a fondé son bureau au milieu des années 90. Il se présente comme un «entrepreneur et un avocat en droit des affaires».

Il a une maison à Westmount et un «chalet» à Knowlton, un truc à trois étages avec des plafonds de 45 pieds. Le «chalet» a été transformé en quartier général.

«Je suis seul avec une gang, comme à l'époque où j'étais étudiant», dit-il avec un large sourire.

C'est là que je vais coucher ce soir, dans la chambre de ses filles. Deux lits simples recouverts de couettes à carreaux rouges et blancs, une penderie à moitié vide, des fenêtres qui donnent sur le jardin. La pièce est surchauffée.

Sa femme, ses quatre enfants, son chien et son chat vivent à Westmount. Mario Charpentier y fait un saut à l'occasion. Trois enfants fréquentent les écoles privées les mieux cotées de Montréal. La quatrième est inscrite au Trinity College en Ontario.

Droits de scolarité: 40 000$ par année.

Avocat, entrepreneur, père de famille, adéquiste. Un homme sérieux qui respire l'opulence. Un homme qui a lentement gravi les échelons, lui, un fils de mécanicien.

«À la base, je suis un musicien, s'empresse-t-il de me dire. C'est mon petit côté flyé. J'ai composé une chanson pour le parti. J'ai écrit la musique et les paroles, je suis un peu poète. Tu veux l'entendre?»

Je n'ai pas le temps de répondre qu'il a déjà enfoncé son doigt sur une touche. La musique envahit l'auto.

«Confiant, confiant, confiant en l'avenir; le Québec de demain, c'est toi, c'est moi, c'est nous...»

«Pis, aimes-tu ça?»

Premier arrêt: Bedford, la forteresse de son adversaire, Pierre Paradis. Son adjoint a organisé une rencontre avec une poignée de gens associés aux courses de chevaux. La réunion se déroule dans un restaurant.

Les hommes de chevaux se plaignent: l'industrie des courses s'en va chez le diable, Loto-Québec les concurrence, il faut que Québec s'occupe d'eux, ils agonisent.

Mario Charpentier emprunte une feuille de mon calepin. Il prend des notes en hochant la tête. Pendant ce temps, son hamburger agonise... dans la sauce brune.

Même si la cause semble désespérée, il ne baisse pas les bras.

C'est un optimiste qui adore les allégories sportives.

«Même si on a l'air de perdre, il ne faut pas se décourager, lance-t-il à la tablée qui le regarde d'un oeil morne. Les Rangers de New York étaient en avance l'année passée, mais les Canadiens ont gagné!»

Sur ces paroles, le candidat se lève, serre les mains, puis saute dans son auto. Cap sur une résidence pour personnes âgées située à un saut de puce du restaurant.

M. Charpentier ignore les périls qui le guettent.

Dans le hall, il tombe sur Jacqueline, 81 ans. Il lui remet un dépliant, puis se lance dans une explication échevelée où il est question de REER et de FERR. Pendant que Jacqueline regarde, éberluée, ce grand monsieur aux cheveux gris, une dame arrive avec sa marchette et crie: «Je veux un dépliant, moi aussi!»

Son directeur de campagne le tire par la manche. Mario Charpentier s'engouffre dans l'ascenseur. Au deuxième étage, il rencontre un groupe de vieux. Le directeur de la résidence supervise la visite. Une dame lui demande:

«C'est demain qu'on vote?

- Non, demain, c'est le vaccin.

- Hein? Le vote?

- Non, le VACCIN!»

Mario Charpentier finit sa journée au Château Bromont où il a convoqué les médias. Il veut présenter sa plateforme économique. Une vingtaine de personnes s'entassent dans une salle sans fenêtre: des partisans, trois maires, deux journalistes.

Le candidat se lance dans un monologue qui dure 35 minutes. Je l'avoue, je me suis assoupie.

« Pis, j'étais bon?»

Mario Charpentier s'est lancé en politique quasiment sur un coup de tête. Il ne regrette rien, même si ses journées sont longues et éreintantes.

Difficile de s'improviser politicien. «Je me sens très petit, confie-t-il en avalant une salade au St-Hubert. J'ai un certain talent, j'ai reçu des prix, dont celui du leadership. Je ne suis pas un tata.»

Tata ou pas, il est ébranlé par les sondages dévastateurs. Même avec son moral d'acier.

À 22h, Sophie Thibault dévoile les chiffres du dernier coup de sonde: PLQ 46%, PQ 34%, ADQ 12%. Mario Charpentier a les yeux rivés sur l'écran de sa minuscule télévision. Il encaisse le coup.

Le lendemain matin, il a le nez dans les journaux étalés sur la grande table de la salle à manger. Il n'y a pas de café, le frigo est vide. Il prend son déjeuner dans un restaurant de Knowlton. Pour l'instant, il épluche les quotidiens, sourcils froncés.

Il refuse de se laisser abattre par les sondages. «Si Mario Dumont est bon demain au débat, dit-il, on peut gagner les élections! Les séries éliminatoires commencent et on est là!»

Confiant, confiant, confiant...

michele.ouimet@lapresse.ca

CIRCONSCRIPTION:

BROME-MISSISQUOI

CANDIDATS :

Mario Charpentier ADQ

Richard Leclerc PQ

Pierre Paradis PLQ

RÉSULTATS EN 2007:

Pierre Paradis, PLQ 39,8%

Jean L'Écuyer, ADQ 31,5%

Richard Leclerc, PQ 20,3%

Source : Directeur général des élections du Québe