Comme propriétaire des Packers, Harvey Kaye espère gagner un deuxième Super Bowl demain. Il ne sera toutefois pas à Dallas pour accepter le trophée Vince Lombardi en cas de victoire.

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Si Harvey Kaye regardera le match dans un bar de Green Bay, c'est que le stade de Dallas ne compte pas assez de sièges pour accueillir les 112 158 propriétaires des Packers, seule équipe d'un sport professionnel majeur en Amérique du Nord à être détenue uniquement par de simples citoyens. «Si on gagne, je devrai aussi rater la cérémonie au stade lundi, car je donne un cours», dit Harvey Kaye, professeur d'histoire et de sociologie à l'Université du Wisconsin à Green Bay.

Dans le club sélect des proprios millionnaires et milliardaires de la NFL, ceux des Packers font figure d'extraterrestres. Ils sont 112 158 personnes à se partager 4,75 millions d'actions. Personne ne peut détenir plus de 4% des actions. En plus d'être modeste, l'investissement n'est pas très rentable financièrement: pas de participation sur les profits de l'équipe, pas de dividende et pas le droit de revendre ses actions. Si on veut s'en départir, il faut les rendre à l'équipe pour une fraction du prix d'achat.

«C'est un modèle unique dans la NFL, dit Aaron Popkey, directeur adjoint aux communications corporatives des Packers. Personne ne fait de profit sur son investissement. C'est essentiellement un don.»

Au Canada, l'équipe de football des Roughriders de la Saskatchewan fonctionne de la même façon. En Europe, certains clubs de soccer comme le FC Barcelone, qui a environ 170 000 socios, fonctionnent selon le même principe.

À leurs débuts en 1919, les Packers avaient un propriétaire unique: la compagnie de distribution de viande Indian Packing - d'où le nom Packers. Quatre ans et deux proprios plus tard, l'équipe est au bord de la faillite. Quatre citoyens influents de Green Bay - l'éditeur du journal Green Bay Press Gazette, un médecin, un avocat et un épicier - rachètent la dette de l'équipe et la transforment en organisme à but non lucratif. Les citoyens et les commerçants de Green Bay achètent 1000 parts à 5$ chacune pour maintenir l'équipe à flot. En contrepartie, ils en deviennent propriétaires.

En 1935 et en 1950, les citoyens de Green Bay devront à nouveau renflouer les coffres de leur équipe de football. Avec un propriétaire unique, l'équipe n'aurait pas survécue, selon le professeur Harvey Kaye. «Il y avait beaucoup d'équipes de football dans les petites villes du Midwest américain dans les années 30, 40 et 50, dit-il. Le football a seulement gagné en popularité dans les années 60. Seule Green Bay a pu garder son équipe parce qu'elle appartenait à la communauté.»

Avec le système de partage de revenus en vigueur dans la NFL, l'avenir des Packers est assuré à Green Bay, une ville d'environ 101 000 personnes dans l'État du Wisconsin (5,7 millions de personnes). Le magazine Forbes classe même les Packers comme la 14e équipe la plus riche de la NFL, devant des villes hautement plus populeuses comme Miami, San Francisco, Atlanta et Detroit. Les Packers vaudraient 1,018 milliard US.

En 1997, les Packers ont fait leur dernière campagne de financement - 24 millions US - pour payer des rénovations au mythique Lambeau Field. L'équipe est alors passée de 6169 à 112 158 actionnaires. Le conseil d'administration est formé de 45 membres. Parmi eux, un conseil exécutif de sept membres, dont le PDG Mark Murphy (ironiquement, un ancien joueur des Redskins de Washington), se réunit mensuellement.

Chaque année, les actionnaires se réunissent à l'assemblée annuelle des Packers, où on discute à la fois de la saison sur le terrain et des résultats financiers. Les Packers sont la seule équipe de la NFL à publier ses résultats financiers. Durant son année fiscale 2009-2010, les Packers ont généré des profits de 9,8 millions US, comparativement à des profits 20,1 millions US l'année précédente. L'an dernier, le commissaire de la NFL Roger Goodell a assisté à l'assemblée annuelle au Lambeau Field. «C'est une réunion intéressante, pas à cause des sujets discutés, mais parce que toute la ville est réunie», dit Harvey Kaye, professeur d'université et actionnaire des Packers.

Gagne ou perd dimanche, Harvey Kaye vient de vivre sa meilleure saison comme propriétaire. À cause des résultats de l'équipe, mais aussi parce qu'il a enfin mis la main sur des abonnements de saison. Avec 73 128 sièges pour 112 158 propriétaires, il n'y a pas de place pour tout le monde au Lambeau Field les jours de match. «J'ai vu tous les matchs de la ligne des 50 verges, les meilleurs billets disponibles!» dit-il.