Stéphane Dion a annoncé hier qu'il quittera ses fonctions de chef du Parti libéral du Canada dès que le parti lui aura trouvé un successeur, soit vraisemblablement demain ou d'ici quelques jours.

Après des journées passablement mouvementées aux Communes, la semaine dernière, qui ont abouti à la prorogation du Parlement contre le gré de l'opposition, M. Dion a finalement décidé de se ranger à l'avis de la majorité des députés du caucus libéral et de rendre son tablier bien plus tôt que prévu.

Lors de l'échec de son parti aux élections du 14 octobre, le chef libéral avait promis de tirer sa révérence en mai prochain, à l'occasion du congrès national du PLC Vancouver. Le congrès devait alors y couronner le nouveau chef.

Scénario caduc

Mais l'urgence causée par la crise politique à Ottawa a rendu caduc ce scénario. Hier, l'un des trois prétendants à la succession de M. Dion, Dominic LeBlanc, a annoncé en conférence de presse qu'il renonçait à participer à la course et qu'il se rangeait derrière le chef adjoint du parti, Michael Ignatieff. M. LeBlanc a exhorté les libéraux à mettre en place le plus rapidement possible le prochain chef et que ce choix soit permanent.

De son côté, l'autre participant à la course, l'ancien premier ministre ontarien Bob Rae, a affirmé qu'il souhaite attendre davantage avant de décider s'il poursuivait ou s'il se retirait de la course. M. Rae n'est pas très chaud à l'idée de donner «d'en haut» la direction du parti à son rival Michael Ignatieff. Il a carrément rejeté la solution du couronnement en demandant à ses collègues libéraux de trouver une solution de compromis qui respecterait la volonté des milliers de membres du parti. Il promet de se ranger, si jamais il y a consensus autour d'un candidat, mais il s'oppose à l'idée que ce candidat ne soit choisi que par «quelques personnes», c'est-à-dire uniquement par le caucus et l'exécutif du parti.

«Ce que je propose a un nom, a-t-il dit. C'est la démocratie. C'est la démocratie pour le parti.»

Le caucus libéral se réunira donc demain afin de tenter de choisir un nouveau chef.

Stéphane Dion est d'ailleurs d'avis qu'il existe en ce moment «un sentiment au sein du parti, et très certainement au sein du caucus, que compte tenu des nouvelles circonstances, le nouveau chef doit être en place avant la reprise des travaux de la Chambre».

«Je suis d'accord, a insisté M. Dion. C'est la voie que je recommande à mon parti et à mon caucus. Je veux, comme toujours, faire ce qu'il y a de mieux dans l'intérêt de mon pays et de mon parti, surtout au moment où les emplois et les pensions des Canadiens sont menacés.»

Coalition: «une base solide»

Le chef démissionnaire estime que la coalition que son parti souhaite former avec le NPD, et avec le soutien du Bloc québécois, représente toujours «une base solide pour donner au Canada un gouvernement appuyé par une majorité de députés et correspondant aux aspirations du plus grand nombre de Canadiens. Un tel gouvernement serait donc plus stable qu'un gouvernement conservateur minoritaire incapable de coopérer avec les partis de l'opposition».

M. Dion a promis d'offrir à son successeur un «appui inconditionnel et enthousiaste».

Les députés libéraux qui souhaitent nommer Michael Ignatieff à la tête du parti dès demain estiment que cette façon de faire respecte parfaitement la constitution du parti.

«Le caucus va recommander un chef, a notamment expliqué le député Denis Coderre à La Presse. Cette recommandation-là va ensuite être entérinée par l'exécutif national.»

M. Coderre a rappelé que lors du dernier congrès libéral, le parti - dont Bob Rae - avait rejeté la proposition d'un membre une voix. «Il n'y a donc pas de suffrage universel. Les membres de l'exécutif qui représentent l'ensemble du parti, en ratifiant notre choix, respectent donc la constitution du parti. Ils agissent de façon démocratique.»

»Irresponsable» d'attendre

Son collègue Dominic LeBlanc a estimé pour sa part qu'il serait «irresponsable» d'attendre encore un mois avant de choisir un successeur à M. Dion. Cela donnerait trop peu de temps au nouveau chef pour se préparer à la rentrée parlementaire et à un possible vote de défiance à l'encontre du gouvernement conservateur. «Le scénario idéal, a-t-il dit en conférence de presse, serait l'élection immédiate de Michael Ignatieff. (...) Cela renforcerait l'idée d'une coalition PLC-NPD.»

Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a pour sa part tenu à souligner «l'esprit d'abnégation dont a fait preuve Stéphane Dion en prenant la décision de devancer son départ afin de permettre au PLC de désigner rapidement un nouveau chef». «Nos opinions respectives diffèrent radicalement sur plusieurs plans, notamment concernant le statut du Québec, mais il n'en demeure pas moins que Stéphane Dion a toujours eu comme objectif de servir au mieux les intérêts de la population, selon les convictions qui sont les siennes», a affirmé M. Duceppe. Le chef bloquiste a également affirmé que le changement à la tête du PLC ne modifiait «en rien l'appui du Bloc québécois à la coalition en autant que cette dernière respecte les termes de cette entente».

Quant au chef néo-démocrate, Jack Layton, il a affirmé que «M. Dion et tous les membres du caucus libéral ont fait preuve de courage et de leadership» en mettant leurs différences d'opinions de côté et en formant, avec le NPD, une coalition majoritaire.

DEUX SCÉNARIOS

> Le caucus du parti pourrait décider lors de sa réunion de demain de recommander à l'exécutif national de nommer Michael Ignatieff chef intérimaire, et que son leadership soit par la suite ratifié lors du congrès prévu en mai pour le rendre permanent. Cette option sourit à Michael Ignatieff, qui jouit de l'appui d'une majorité des membres du caucus, mais Bob Rae est contre. On ignore par contre si l'exécutif accepterait de se plier à une telle recommandation.

> Bob Rae et ses partisans sont plutôt en faveur de devancer le congrès prévu pour le mois de mai, afin qu'il se tienne sous une autre forme avant la fin du mois de janvier. Selon eux, les membres du parti doivent absolument être consultés avant de prendre cette importante décision. M. Rae affirme donc s'en remettre à l'exécutif national du Parti libéral, qui s'est réuni hier soir pour examiner quatre différentes options, qui incluent la consultation des membres du parti.